Nicolas Roux, au-delà d’être un passionné de sport, est avant tout un assidu du vélo, du VTT au cyclosport. A ce titre, et au bout de quinze ans de pratique, il fait le constat d’une certaine dérive du cyclosport à l’heure actuelle qui se vérifie chaque week-end. Parlons des risques énormes pris par certains pour gagner des scratchs ou des podiums de catégories. Citons les « gagne-petit » qui se laissent décrocher du paquet de tête avant un segment chronométré, type montée de l’Izoard sur la Risoul-Queyras, histoire de laisser un trou de 30 secondes qu’ils vont vite combler car le rythme est tempo avant les derniers kilomètres. Ou ceux qui partent en toute fond de grille, histoire de récupérer une minute et les places qui vont avec, comme on l’a vu sur la Time ou l’Etape du Tour. Ou encore les coureurs Environnement, censés empêcher les pollueurs de jeter leurs emballages, mais qui jouent la gagne au général ou en catégories. En Italie, sur la récente Nove Colli, une des épreuves majeures, le 5ème du général a été exclu pour papier jeté, à quand la même chose en France pour ça ou pour les « risque-tout » qui coupent systématiquement les virages? Ne parlons pas des absents systématiques aux podiums protocolaires. Bref, tout un ensemble de dérives que Nicolas Roux soulève, attention ça décoiffe.
Parlons d’abord sécurité et convivialité, qui commencent à manquer sur les cyclosportives actuelles. C’est l’amer constat que fait Nicolas Roux. « Au départ c’était un sport convivial qui permettait de rassembler des gens de tous horizons autour d’une même passion. Désormais beaucoup de coureurs viennent pour faire un gros résultat et prennent les cyclosportives pour des compétitions très importantes. Et tout cela engendre des risques supplémentaires alors qu’il s’agit d’épreuves sur des routes ouvertes à la circulation. On doit malgré tout respecter le code de la route et être conscients du danger. » Des risques d’autant plus dérisoires lorsque l’on prend en considération les enjeux réels des cyclosportives. « Il n’y a rien à gagner, à part un peu de médiatisation et de gloire éphémère. Il faut prendre conscience que ça reste une épreuve pour le plaisir. On peut donner le maximum et gagner tout en respectant les règles de sécurité. Ça ne vaut pas le coup de prendre des risques insensés pour gagner une housse de vélo ou un saucisson ! »
Nicolas Roux n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme car il y a désormais urgence à agir. « Les coureurs doivent faire des efforts pour ne pas se mettre en danger. Un jour ou l’autre les organisateurs n’auront plus les autorisations et nous serons les premiers sanctionnés. On doit se remettre en question. Nous avons notre avenir entre les mains ! »
La part trop importante que prend le résultat aux yeux de certains a détourné les cyclosportives de ses objectifs historiques. « Il y a quinze ans, entre leaders, on se mettait d’accord pour s’arrêter remplir nos bidons. On se départageait dans les bosses. Maintenant c’est la guerre, on se retrouve un peu comme dans des courses FFC. » Et à ce titre Nicolas Roux rappelle en toute simplicité l’esprit originel de ces évènements : « Ce sont des épreuves de masse où on est au milieu d’autres passionnés venus vivre le vélo. » Néanmoins les dérives observées sont parfois aussi dues aux organisateurs eux-mêmes. « S’ils commencent à faire payer le repas d’après-course, on touche le fond, c’est la mort du petit cheval. Car le cœur du cyclosport c’est de se retrouver après l’épreuve et partager les moments que l’on a vécus pendant le parcours. »
Les cyclosportives, avec les milliers de participants qu’elles drainent, sont bien sûr soumises aux mêmes abus que la société civile. Le non respect de l’environnement et la tricherie en font partie. « Il y a énormément de coureurs qui jettent des détritus dans la nature alors que c’est un geste simple de manger et de remettre ensuite le papier dans sa poche. Les comportements de pollueur vont à l’encontre du cyclosport et vont, à terme, détruire notre sport. La seule manière de réguler tout ça, c’est la sanction. En Coupe de France de VTT, un coureur qui jette un papier est éliminé de la compétition ! » Concernant le dopage mécanique, à la mode depuis quelques années, Nicolas Roux a un avis assez inattendu : « Y-a-t-il des gens assez bêtes pour utiliser des moteurs pour gagner des cyclosportives ? Si les tricheurs veulent payer des sommes astronomiques pour gagner une housse de vélo ou un saucisson, qu’ils le fassent ! Ça ne me gêne pas ! » Il ne comprend pas non plus le comportement des coureurs qui se laissent décrocher avant un segment chronométré afin de réaliser le temps scratch. « Si on est forts, on part tous ensemble. Et en haut du col le plus costaud gagne. »
Il faut donc bien faire le constat que le cyclosport est, à moyen terme, menacé. Nicolas Roux est un des premiers touchés et en appelle à une prise de conscience collective. « J’aimerais que les organisateurs, les préfets et les cyclosportifs importants de France se mettent autour d’une table. Pour discuter de l’avenir de notre sport. Pour qu’il soit meilleur et disputé dans de meilleures conditions de sécurité. » Un appel qui fait étrangement écho à ceux entendus dans le cyclisme sur route à la fin du XXème siècle et au début du XXIème.
Et si l’avenir passait par des épreuves de type Explore Corsica, qu’il a gagnée le week-end dernier ? Et qui a été une révélation pour l’un des meilleurs cyclosportifs de France. « Avant de venir sur l’Explore Corsica j’étais plus adepte des cyclos avec un chrono du départ à la fin. L’expérience de la Time-Megève Mont Blanc, avec des temps dans les montées, ne me plaisait pas. » Néanmoins, à la suite de cette nouvelle expérimentation des sections chronométrées, Nicolas Roux a changé d’avis. « Ça a été une très belle expérience, les segments étaient bien placés. On avait la possibilité de se donner un maximum, de se faire plaisir. Les classements étaient là pour mettre les meilleurs devant. » Mais la cohérence du classement, en dépit de la singularité de l’épreuve, n’est pas le seul motif de satisfaction du vainqueur. « On avait le temps de rouler tranquillement avec les gens et de s’arrêter aux ravitos pour échanger avec d’autres passionnés. De plus il est possible que pour l’avenir ce soit la solution pour limiter le danger puisque sur l’Explore Corsica, j’ai vu très peu de coureurs prendre des risques dans les descentes. »
Même si beaucoup reste à faire, le monde professionnel a plutôt bien réussi sa mutation. Souhaitons le même succès dans le futur au monde du cyclosport. – Bertrand Boulenger