Tout l’été, Vélo 101 célèbre les anniversaires : les 20 ans de l’Etape du Tour, la 50ème édition du Tour de l’Avenir, la 100ème édition du Tour de France, les 20 ans des Championnats du Monde de VTT à Métabief, la 30ème édition du Roc d’Azur… A douze jours de l’Etape du Tour entre Annecy et le Semnoz, nous avons convié celui qui, seize années durant, organisa l’événement, Jean-François Alcan, à revenir sur l’aventure.
Jean-François Alcan, la première Etape du Tour partait il y a vingt ans, en juillet 1993. Qui en a eu l’idée ?
Jean-Paul Le Gall et Dominique Demeur, un joaillier réputé, étaient venus rencontrer Jean-Marie Leblanc, Directeur Général du Tour à cette époque, pour proposer d’organiser une étape réservée aux amateurs juste avant les pros le même jour avec un départ différé tôt le matin. Jean-Marie accepta sans hésiter mais en aucun cas le même jour, plutôt quelques jours avant le passage des coureurs pros, et il voulut aussi que le projet soit porté par Vélo Magazine, le magazine du Groupe Amaury. Jean-Paul et Dominique ont eu cette idée, Claude Droussent alors rédacteur en chef de Vélo Magazine a soutenu le projet avec vigueur, et moi-même alors responsable de la promotion des magazines de L’Equipe en fut le « bras armé », l’organisateur en fait.
A quand remonte cette idée de lancer une cyclo Etape du Tour ?
Dans les années 90 avec l’avènement des cyclosportives dont les têtes d’affiche étaient à l’époque la Marmotte, la Bernard Hinault ou bien l’Ardéchoise. L’Etape du Tour a suivi et s’est engouffrée dans cette voie qui prenait beaucoup d’ampleur.
Quel en était la philosophie et quel était le parcours ?
La philosophie principale de cette épreuve était très simple : permettre à tous les passionnés de vélo, ces amoureux fous du Tour de France, de passer du rôle de spectateur au rôle d’acteur. Formidable idée, magique, rouler sur une étape du Tour comme les pros, un véritable rêve devenu réalité ! Le premier parcours Tarbes-Pau, les Pyrénées avec deux villes incontournables des parcours du Tour de France, et en prime un col iconique, géant : le Tourmalet !
Les chiffres de participation étaient loin de ceux d’aujourd’hui, avez-vous été surpris ?
1700 coureurs la première année avec un lancement tardif et à peine quatre mois pour s’organiser, c’était le balbutiement de l’Etape du Tour. Nous étions déjà contents de cette participation. Nous avons souffert sur l’organisation mais on sentait déjà le vent d’un futur succès avec de nombreux commentaires positifs par les professionnels de ce milieu.
Une édition n°2 est-elle tombée sous le sens très vite ou a-t-il fallu convaincre en interne de continuer ?
Les fondations étaient posées, jamais dans l’esprit des dirigeants du Groupe Amaury il n’a été question de stopper cet essai. Nous avons même décidé de passer très vite la vitesse supérieure en liant encore plus l’histoire de l’Etape du Tour à celle de Vélo Magazine.
Au plan administratif, dans les négociations, est-il plus facile d’être dans la roue du Tour ?
Bien entendu, c’est indéniable. La force du Tour est étonnante, le poids du Groupe Amaury dans le cyclisme permet de facilité bien des choses. Cependant, au fur et à mesure, l’Etape du Tour a su tisser sa toile toute seule et su défendre ses caractéristiques auprès des différentes administrations (Préfectures, Gendarmerie, Conseils Généraux etc.) et cela de manière autonome.
Quelle a été l’évolution des chiffres et quand le projet est-il devenu rentable ?
Au départ l’Etape du Tour devait soutenir Vélo Magazine, c’était un investissement promotionnel. Mais au vu de l’évolution du nombre de coureurs et de partenaires, le projet est devenu rentable. En quelle année ? Pas évident, je pense au début des années 2000 et au passage de l’épreuve chez ASO, bien mieux équipé en termes de marketing événementiel.
Pour vous, quelles ont été les grandes étapes de l’Etape du Tour ?
Après la création de l’épreuve en 1993, l’épreuve a vite pris son rythme de croisière à 5 à 6 000 coureurs. En 1998, nous avons tenté l’expérience de qualifications à l’Etape du Tour, cela à la demande des préfectures qui estimaient que tous les coureurs n’avaient pas le niveau d’une telle épreuve. Belle expérience que ces deux qualifications dans le Périgord et le Mâconnais, mais un échec sur le nombre de participants. Puis vinrent les années 2000 et ma relation privilégiée avec un homme qui m’aida à ancrer définitivement l’Etape du Tour dans le gotha des cyclosportives, le major général Roland Gilles, à l’époque simple colonel. Sa passion pour le vélo et son aura au sein de la Gendarmerie m’ont permis d’obtenir le sésame suprême : la fermeture totale de la route pour tous du premier au dernier.
C’est à ce moment, aidé par l’engouement du vélo au début des années 2000, que l’Etape du Tour est passée à la vitesse supérieure…
Oui, tant au nombre des participants qu’au nombre de partenaires exposant sur le village accueil. Enfin, en 2002, il y a eu le transfert de l’épreuve chez ASO, une nouvelle dimension pour l’événement avec plus de moyens et plus de gens concernés par sa réussite. C’est aussi à cette époque que l’Etape du Tour s’est fortement internationalisée.
20 ans après, quels souvenirs vous restent de cette édition 1993 ?
Houlà, 20 ans déjà ! Bien loin d’abord des magnifiques rencontres Josy Pouyeto la Madame Tour de France de Pau, Marc Brüning le Directeur des Sports du CG 65, qui m’ont soutenu au début, toutes ces années et encore maintenant. Le premier vainqueur Christophe Rinero qui termina 4ème du Tour de France quelques années plus tard. La rencontre avec Alain Prost qui devint un fidèle de l’épreuve. Un immense mur à gravir pour organiser cette magnifique épreuve, avec l’aide de mon fidèle compagnon de route Jean-Paul Legall. Et puis surtout tous ces visages aux sourires rayonnants au départ de cette 1ère édition, au départ d’une grande saga qui continue encore aujourd’hui de faire rêver plein de cyclistes amateurs.
Vous étiez dans la voiture de tête le plus souvent, y-a-il un coureur qui vous ait le plus marqué ?
Pas spécialement. C’est vrai que Thierry Bourguignon était impressionnant en 1995 et que les multiples victoires d’Igor Pavlov récompensèrent un coureur d’une grande humilité. Mais l’Etape du Tour c’est surtout le coureur du fond de peloton, celui qui s’est lancé le défi d’affronter une étape de la Grande Boucle, son challenge et son défi personnel. J’aime sentir ce plaisir qu’éprouve ce type de participants et moi c’est surtout pour eux que je crée et organise ces épreuves de masse.
Entre 1993 et 2000, quelles ont été les éditions les plus marquantes, au plan des chiffres, des émotions d’organisateur, des difficultés rencontrées ?
Pour moi la plus belle de toutes sportivement, certainement la plus dure, ce fut Foix-Loudenvielle en 2007 avec cinq cols, près de 180 kilomètres et l’ascension superbe du Port de Balès. Mais chacune fut un réel plaisir. Difficile d’en sortir une plus qu’une autre que ce soit dans les Alpes, les Pyrénées ou le Massif Central. Peut-être que mon cœur est resté sur Aime-La Plagne-L’Alpe d’Huez en 1995, le début de l’ascension fulgurante de l’épreuve avec plus de 6 000 engagés et la perte d’un jeune coureur de 18 ans, Sylvain Chaigneau (NDLR : seul décès à ce jour de la course). J’ai aussi aimé Saint-Galmier-Saint-Flour atypique, et Limoges-Saint-Flour au cœur des volcans d’Auvergne. Et enfin la plus terrible, Carpentras-Le Mont Ventoux quand la température au sommet a chuté jusqu’à 0°. Nous avons dû stopper la course au Chalet Reynard pour 3000 participants, debout sur une table en pleine tempête, le colonel Soubelet de la Gendarmerie interdisant le passage.
Les anecdotes ne manquent pas…
Des anecdotes, j’en ai des wagons entiers, je pourrai probablement écrire un livre. Je voulais juste dire que l’Etape du Tour, ce sont seize années de ma vie, une tonne d’émotions, des centaines de rencontres, des joies et des peines, mais ce que je garde le plus au fond de mon cœur c’est la véritable aventure humaine que j’ai vécue avec tous les gens qui ont travaillé avec moi dans mon équipe. J’ai eu la chance incroyable de pouvoir m’exprimer et travailler sur un événement que j’ai vu naître, que j’ai pu faire grandir sans que je sois bridé et cela c’est rare.