Le Ventoux a refermé ses ailes et laissé place à quelques flots de neige, vite refoulés par les rayons du soleil qui, côté sud au moins, font que le blanc du sommet correspond bien aux cailloux explosés par le vent. On espère une saison d’hiver, côté remontées mécaniques et ski de fond, l’espoir fait vivre, certes, mais rien n’est moins sûr.
Même quand les touristes et les cyclistes sont partis, disons depuis le 15 octobre, le vélo n’est jamais loin de l’actualité. Et, cet automne 2017, c’est une info énorme qui est tombée sur la face sud du Ventoux, et Bédoin, car, malheureusement, c’est bien connu, Ventoux = Bédoin, alors que les deux autres côtés, Malaucène et Sault, sont tout aussi durs pour l’un, et au moins aussi beau et spectaculaire pour l’autre.
Enorme comme un vélodrome de 250 mètres, comme les références en la matière, Saint Quentin ou Roubaix, susceptible d’accueillir des compétitions internationales, gradins pour 2/3000 personnes, parking de 800 places, hôtel de 100 chambres, 2 restaurants, 3 musées, une galerie commerciale, une piscine, un spa… Le projet est porté localement, son nom de code est « All Bike Ventoux », et quelque chose nous dit que la diversité des opinions va nous amener bien au delà de la prochaine ouverture du Ventoux aux cyclistes, soit au 15 mai prochain.
3 hectares, c’est la taille du projet, 30 000 mètres carrés pris sur ce qui a longtemps été « la » manne du Vaucluse, l’agriculture, sur la route du Ventoux, à gauche en montant. Même avec des toits végétalisés, pour faire plus proche de la nature, pour beaucoup de locaux, le projet est une forme de provocation : pourquoi pas une patinoire chez les esquimaux ? A première vue, bonne question, sauf qu’un vélodrome couvert permettrait de rassurer ceux et celles pour qui Bédoin = Ventoux = 1912 mètres, donc impossibilité d’y rouler autrement qu’entre mi-mai et mi-octobre, là où les routes sont saturées de vélos.
Tout le Vaucluse regorge de belles routes, et la météo fait qu’on peut y rouler toute l’année, cette équation : Bédoin, Ventoux, vélo sur 5 mois, fait que, en dehors de la saison pleine, Bédoin est presque désert, alors qu’en plein été, c’est trop, notamment, trop d’organisations sauvages qui, sous couvert d’associations caritatives, amènent des cyclistes et des coureurs à pied, tous avec leurs voitures suiveuses pour grimper le Géant de Provence. Des noms ? Imprononçables, comme le nom des associations, disons simplement qu’un site néerlandais recense toutes les organisations dans le Ventoux, devenu, après l’Alpe d’Huez saturé d’organisations, la nouvelle manne, et ne parlons pas de Mon Ventoux, marque déposée par une association flamande !
Le projet de vélodrome à Bédoin, s’il n’est pas le premier projet imaginé avec un anneau, a été mis en lumière par le maire Luc Reynard, lors du conseil municipal du lundi 23 octobre, et depuis, c’est un match à deux. D’un côté, la mairie qui estime, avec raison, que Bédoin manque d’hôtels, mais de là à avoir 100 chambres 5 étoiles, ça reste à démontrer, et de l’autre, le Collectif citoyen Bédoin Ventoux, composé d’associations locales mais pas que bédoinaises, de simples citoyens intéressés par la vie locale, de commerçants… La démocratie participative en action.
Premier rendez-vous, samedi 18 novembre, à 11 heures, place des écoles, juste en face de la mairie. La police municipale est là, il fait très beau, l’ambiance est bon enfant, des cyclistes, des vététistes en sortie matinale se sont arrêtés. C’est parti pour plus de 2 heures de débats, d’interventions. Tout est bien organisé, chacun peut s’exprimer, par oral ou par écrit, et la pétition contre le projet All Bike va recueillir 450 signatures. On n’est pas loin des 20 % des inscrits et habitants de Bédoin, pour un premier tour de piste, c’est pas mal.
Les arguments sont posés : incongruité d’un vélodrome en plein coeur de la Provence où on sue à grosses goutes si on ne part pas à la fraîche en été, terres agricoles qui disparaissent, « verrue » sur la route du Ventoux, saturation devant le trop de cyclistes, leurs incivilités (même si beaucoup sont contents de leur louer les gîtes et emplacements de campings), viabilité du projet, même privé, « mirage » pour l’emploi (100 emplois créés selon le dossier présenté), et surtout, dévitalisation du centre du village. Rien à dire, le collectif a bien préparé son affaire, les arguments sont clairs, bien exposés, les applaudissements sont nourris, et même le maire vient s’exprimer.
En quelques mots, il a placé les enjeux, « il faut lever la tête », il n’a pas dit la tête du guidon, pas de provocation! Mais il a du y penser. C’est l’élu local qui parle, il a forcément la sensibilité rurale, il est issu du monde paysan, et sait bien que l’agriculture souffre énormément, et pas uniquement à cause des nappes phréatiques qui sont très basses, pas ou plus de neige en saison, pas de pluie depuis mi-avril, en gros. Résultat ? La production viticole a chuté de 40 % cette année, même la cave de Bédoin a « oublié » de fêter le Ventoux nouveau, faute de quantités suffisantes pour le « vrai » vin. L’argument de l’eau, bien sûr, mais les toits végétalisés, piscines, spa… Vont forcément encore un peu plus la ponctionner, la nappe ! L’argument de l’hôtellerie, oui, 100 fois oui, et il a en tête le côté « Bédoin ne vit que d’un seul revenu, celui généré par le tourisme vélo », là est le danger comme pour toute entreprise, tout projet qui veut être pérenne.
5 minutes pour le maire, du respect pour l’homme et la fonction au début, puis des sifflets à la fin. Les prochaines élections risquent d’être mouvementées, le scénario est en place, même si le collectif ne veut pas tomber dans le piège, facile, de la minorité municipale.
La cloche est loin d’avoir sonné, et les tours, pas les rounds, vont s’enchaîner. Le plan local d’urbanisme devra être révisé, un compromis de vente a déjà été signé, les débats vont s’enchaîner. Le Tour ne viendra pas au Ventoux en 2018, mais le vélo va faire l’actualité, y compris cet hiver. On vous tiendra au courant.