Stéphane Delage, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Vélo 101 ?
Je suis diététicien, avec une spécialité dans la nutrition du sport et la micronutrition. J’exerce en libéral dans un cabinet à Bordeaux. Je suis en outre, ancien nageur et triathlète. Je ne nage plus pour l’instant mais cours et roule toujours 4 à 5 fois par semaine, en guise de préparation à des trails et des courses de montagne.
Vis-à-vis de l’équipe Ag2r La Mondiale, vous êtes l’interface entre le partenaire Ergy Sport et l’équipe cycliste ?
Je ne suis pas encore intervenu auprès des coureurs de l’Ag2r La Mondiale. Mais en effet, je suis prestataire pour le laboratoire Nutergia. J’anime pour celui-ci de nombreuses formations et interviens si besoin auprès des partenaires sportifs.
Quels sont les thèmes que vous allez aborder avec eux ?
L’alimentation avant, pendant et après l’effort devrait être abordée. Mais pas seulement. Il me semble essentiel de discuter également de micronutrition et surtout d’évoquer les désagréments susceptibles de perturber les coureurs dans leur pratique. Je pense tout particulièrement aux troubles digestifs, au problème d’acidification, de blessure chronique, etc.
Aurez-vous une démarche coureur par coureur avec entretiens individuels ou en groupe ?
Les deux. Une intervention générale est intéressante. Toutefois, il m’apparaît nécessaire ensuite de proposer aux coureurs désireux un suivi personnalisé. C’est justement tout l’intérêt de collaborer avec le laboratoire Nutergia. Celui-ci a mis au point un questionnaire complet, le IOMET (Ionique Minéral Enzymo-thérapie) qui permet justement de déterminer le profil nutritionnel du sportif et de lui proposer ainsi, une alimentation adaptée et, si nécessaire, une complémentation spécifique et individualisée. Le travail ne se fait pas en aveugle. Le suivi devrait être régulier (tous les trois mois avec une disponibilité permanente si besoin). Les prises de sang peuvent présenter un intérêt quand la clinique n’est pas révélatrice.
Quels sont les avantages et les inconvénients des trois formules ?
Les trois formules se complètent au sein d’un travail en équipe avec les médecins, les entraîneurs, le diététicien, le préparateur physique ou mental et le cuisinier.
De votre expérience, diriez-vous que les sportifs de haut niveau s’alimentent bien ou plutôt mal ?
Je n’aime pas parler de bien ou de mal en alimentation. Cela ne veut rien dire. De quel droit pourrais-je qualifier l’alimentation d’un coureur de mauvaise alimentation ? Je préfère davantage parler, avec mes connaissances, mon expérience et ma pratique en compétition, d’alimentation adaptée ou inadaptée aux exigences de la discipline et au terrain de l’individu. Le terrain de l’individu, trop rarement considéré, et pourtant essentiel pour gommer les déséquilibres et restaurer un état de santé optimal, garant d’une optimisation du couple santé-performance.
Les coureurs d’Ag2r La Mondiale ont prévu sur les grands événements d’avoir leur camion-restauration. Est-ce une bonne chose ?
Je dirais même que c’est génial et indispensable. Quelques coureurs pros m’ont rapporté que lors d’un Tour d’Espagne, l’alimentation à l’hôtel était totalement inadaptée et les portions étaient insuffisantes. Dès lors, il semble difficile ensuite pour ces coureurs de pouvoir réaliser de belles étapes et de bien récupérer. Je me demande même comment il est possible de placer les coureurs dans de telles conditions.
On sait malgré tout que le métabolisme est personnel à chacun. Peut-on avoir un fonctionnement « à l’unité » ?
Absolument. Je pense qu’il est essentiel d’individualiser la prise en charge avec néanmoins, en toile de fond, une trame commune.
En quoi les micro-nutriments sont-ils si importants dans la gestion de l’effort et surtout pour la récupération ?
Les micronutriments sont des cofacteurs enzymatiques, c’est-à-dire que sans eux, les réactions chimiques au sein de notre organisme sont contrariées. Un déficit en magnésium par exemple réduit les capacités de stockage du glycogène au sein du muscle. Le risque est de souffrir ensuite en course d’une extinction prématurée des réserves glucidiques et donc d’une possible hypoglycémie. Nous pourrions citer bien d’autres exemples encore.
On entend de plus en plus parler de la spiruline, qu’en pensez-vous ?
La spiruline est une sorte d’algue-plancton capable d’apporter de nombreux micronutriments, des acides aminés et de la chlorophylle. Cette dernière est une chélatrice de toxines et de métaux.
On parle beaucoup du sans-gluten. Thibaut Pinot s’y est notamment essayé, sans succès. S’agit-il d’une mode ou d’un vrai plus ?
Je crois qu’il y a beaucoup de confusion autour du gluten. Allergie, ou intolérance : certains sont perdus. L’idée n’est pas de faire un procès au gluten, mais de se recentrer sur la personne. Dans le cas du coureur que vous citez, y a-t-il eu au préalable une anamnèse complète ? Y a-t-il eu une étude de son fonctionnement intestinal ? Souffre-t-il de ballonnements, de troubles du transit, de colites, de surcharge hépatique, de fatigue chronique, de mycoses, de troubles du sommeil, de tendinite ? C’est à dire, son terrain a-t-il fait l’objet d’interrogations, d’analyse ? Ce que je peux vous dire, c’est que nombreux sont les sportifs qui souffrent de perturbations digestives. Les cyclistes consomment beaucoup de sucre et de produits sucrés en course, beaucoup d’amidon, et il n’est pas exclu qu’ils développent progressivement un déséquilibre de la flore intestinale de type mycose-candidose. Dans pareil cas, la digestion du gluten peut devenir soudainement problématique.
Quels peuvent en être les effets ?
Je le vois régulièrement au cabinet. Une candidose intestinale, et c’est le début de la fin et le coureur ne roule plus à 100% de ses capacités. Fatigue, mauvaise récupération, prise de poids rapide ou difficulté à en perdre, diarrhée, tendinite…Je partage tout à fait l’avis du Docteur Georges Mouton : « Prendre en charge la santé d’un sportif, c’est avant tout prendre en charge la santé de son intestin ». J’ai d’ailleurs consacré un chapitre entier à la candidose dans mon nouvel ouvrage qui sortira à la fin du mois (« Santé et performances sportives – Diététique et Micronutrition de l’effort – Questions de pratiquants – Editions du Dauphin). En présence d’une candidose, l’individualisation de l’alimentation/complémentation prend tout son sens.
Combien de temps faut-il, selon vous, pour vraiment bénéficier du régime sans-gluten ?
Je ne conseille pas le régime sans gluten hormis pour les cas d’allergie diagnostiquée. Je préconise davantage de limiter celui-ci sans toutefois totalement l’exclure avec la consommation de petit épeautre.
Faut-il absolument diminuer son taux de masse grasse en se privant de certains aliments ou comment gérer ses apports caloriques quotidiens ?
Là encore, tout dépend du profil. Un coureur de classique de début de saison risque de souffrir du froid si son taux de masse grasse est trop bas. Je crois surtout qu’il faut veiller à un apport suffisant d’acides gras essentiels sous forme d’huile bios, vierges, de premières pression à froid, de poissons gras, d’oléagineux sans toutefois éliminer les graisses saturées. Certains acides gras ont des vertus immunitaires très intéressantes. Ils participent en outre à une bonne souplesse et fluidité membranaire, et donc à de meilleurs échanges cellulaires.
Les traitements par les plantes, les huiles essentielles, les herbes font-ils partie de votre panel d’actions ?
Essentiellement les compléments alimentaires sans colorant, conservateur et édulcorant, la phytothérapie. Mais seulement si nécessaire. Une étude du terrain et du contenu de l’assiette doit avoir été réalisée au préalable.
Quelle est la place pour le plaisir dans tout ça et notamment la consommation de vin ?
L’alcool contrarie la récupération. Seul le vin rouge, avec ses antioxydants, pourrait avoir des vertus santé. Je pense qu’une consommation modérée de ce breuvage, à l’écart d’échéances importantes, est tout à fait possible.
Selon vous, sur une échelle de 1 à 101, à quel niveau sommes-nous dans le vélo dans cette approche de la micronutrition ?
Difficile de répondre précisément à cette question, car il existe une très grande hétérogénéité. Certains coureurs ont fait de la nutrition, à l’instar de l’entraînement spécifique, une priorité. D’autres s’en moquent et/ou n’ont pas réellement pris conscience des bienfaits d’une alimentation adaptée. Mais d’un autre côté, que voulez-vous dire à un coureur qui mange mal, mais qui gagne ? Que peut-être bientôt, pour continuer à gagner, il devra revoir le contenu de son assiette ? Toucher à l’assiette, c’est un peu toucher à l’affectif. Alors prudence. Je dirais donc 50. Il me semble que les choses commencent à bouger.