Marc Pacheco, vous êtes un des promoteurs des courses derrière derny en France. A quoi et à qui correspond cette discipline ?
Un derny, à l’origine, est un engin motorisé qui sert à apprendre à rouler vite à l’entraînement, à s’abriter et à virer vite ! C’est pourquoi les courses actuelles se disputent seulement sur invitation en France, avec des habitués. Un règlement obsolète pour les années 2000 interdit les courses derrière engin jusqu’à la catégorie Juniors comprise. Bien piloté, un jeune ne ferait que monter son niveau en pratiquant des exercices adaptés à ses dispositions. C’est pourquoi peu de clubs possèdent ce type d’engin, sinon les gros clubs et quelques individualités plus convaincues des bienfaits de ce type d’entraînement, comme l’a été le VC Lyon-Vaulx-en-Velin sous la houlette de Michel Gros.
Des pros sont ainsi passés derrière le derny ?
En 1982, Michel Gros m’a en effet recruté pour piloter le derny qu’il venait d’acheter et les cinquante-huit coureurs qui sont passés pros par le biais de ce club ont tous roulé derrière le derny. Moreau, Bodrogi, Augé, Dessel, Dumoulin, Calzati, Buffaz, pardon aux autres de ne citer que certains encore en activité en 2010 ! Michel Gros, par la suite avec les équipes pros qu’il a dirigées (NDLR : Festina et Jean Delatour), a toujours fait appel à mes services pour les stages collectifs ou les préparations individuelles spécifiques. Eddy Seigneur a ainsi travaillé derrière derny pour ses multiples titres de champion de France contre-la-montre. La Française des Jeux l’a compris aussi : un derny et un entraîneur sont à la disposition des coureurs en stage et même toute l’année là où ils s’entraînent. D’autres nombreux pros pratiquent individuellement avec un parent, un dirigeant ou en faisant appel à moi ainsi qu’à deux collègues français selon nos régions. Et certains pros comme Sven Nys, avec qui j’ai gagné en août en Belgique en 2009, finalise sa préparation cyclo-cross en participant aux épreuves derrière derny tout le mois d’août.
En quelle saison doit-on pratiquer le derny ?
Il faut surtout bien penser que l’entraînement derrière derny est la touche finale ou de rappel à une condition physique cycliste déjà avancée. Sans foncier ni spécifique préparatoire, on n’arrivera à rien sinon à un dégoût et un renoncement rapide. C’est un engin de torture derrière lequel il faut une grosse volonté !
Quand on voit les coureurs qui sont aux avant-postes à Marquette-lez-Lille, on voit que cette discipline s’adresse avant tout à de gros moteurs ?
« Gros moteur » oui mais pourquoi ! Il y a deux raisons essentielles à ce résultat. La première : Sylvain Chavanel a acheté un derny que pilote son père et en fait énormément à l’entraînement. Christophe Riblon sur la piste en a fait derrière les entraîneurs nationaux et je suppose qu’il ne se prive pas d’en faire sur la route et la suite du classement de Marquette a une raison similaire à évoquer. Ils ont donc gonflé leur « moteur » initial pour être au niveau où ils sont en apprenant à rouler vite. C’est simple, quand vous roulez à l’abri, plus on roule vite, plus on est aspiré jusqu’à 30 % d’économie sur l’effort consenti. On constate donc que derrière derny vous baissez le rythme cardiaque à fréquence de pédalage identique. Inversement, vous augmentez le rythme de jambe en restant au même rythme cardiaque. Vous roulez donc plus vite pour un même effort cardiaque donné. Mais ne rêvons pas, on ne fait jamais avancer un cheval de bois, il faut donc plus qu’une séance, et bien programmée, pour arriver à des progrès significatifs.
Avez-vous un exemple connu ?
Oui. Samuel Dumoulin, au début de sa dernière saison amateur, au bout de dix-sept séances programmées sur piste pour être bien linéaire dans l’exercice, avait baissé de 12 pulsations son seuil à la même vitesse que celle programmée à chaque séance, inversement 8 km/h de mieux au seuil d’origine. Voyez vous-même ce qu’il est devenu ayant appris à rouler vite ! Et les autres coureurs idem, même si les exercices étaient différents selon leur dispositions.
Quelle est la deuxième raison que vous évoquiez ?
Il y a une hiérarchie technique, tactique et psychologique dans les entraîneurs, c’est pourquoi les « gros moteurs » font confiance à ceux qui peuvent assurer leur standing. Ce sont toujours à peu près les mêmes entraîneurs que vous retrouvez dans les 6/8 premiers de toutes les courses importantes de la spécialité. Pour exemple, lors de notre rencontre avec Sylvain Chavanel le matin de l’épreuve, il a été rassuré de savoir qu’il était derrière moi car nous n’étions déjà que deux entraîneurs français, mais surtout de par la confiance dans mon expérience que lui avaient indiqué Samuel Dumoulin et Christophe Moreau, tout comme Riblon qui était satisfait de courir derrière Cyril Simon avec qui il avait déjà évolué en course et dont il connaissait déjà les qualités intrinsèques malgré la jeunesse de Cyril dans cet exercice.
Ne pensez-vous pas malgré tout que le derny fait partie du patrimoine cycliste, qu’on ressort de temps en temps, à l’instar de ce que sont devenus les Six Jours, par exemple ?
Partie du patrimoine évidemment, mais nous n’avons pas l’intention de les sortir de temps en temps ! Nous prenons exemple sur la Belgique avec l’aide précieuse et permanente de Raymond Persyn, entraîneur et organisateur belge, instigateur de l’Europacup actuelle et qui est reparti de zéro aussi dans son pays il y a une quinzaine d’années pour en être à une trentaine d’épreuves en 2010 dans le Benelux. Il est présent sans cesse avec nous, avant, pendant et après. Eh bien en cinq ans, nous en sommes en France à un bilan positif : trois manches et la finale de l’Europacup (Rennes, Montluçon, Nancray et Marquette-lez-Lille), une épreuve pérenne depuis sept ans sur piste à Lurcy-Lévis, une autre cette année à Commercy, un critérium l’an passé à renouveler je pense à Couëron tout comme Crécy il y a trois ans et deux projets pour 2011 déjà très avancés. Il y a du potentiel également sur des critériums déjà existants et qui pourraient tenter l’expérience comme l’a fait Laurent Pillon à Marquette et qui ne démord plus de ce spectacle peu ordinaire, même si ce ne serait qu’une année sur deux par exemple, mais le « nouveau » attire souvent les spectateurs, surtout si la communication est bien faite en amont de l’épreuve avec vous les médias spécialisés et les régionaux.
Et pour les Six Jours ?
Que les instances fédérales, gouvernementales et régionales nous construisent des vélodromes d’hiver dignes de ce nom et non pas des Bercy inabordable en location pour ne pas dire interdits ! Nous pourrons ainsi faire travailler la jeunesse par tous les temps et toutes les saisons, à l’instar d’autres nations qui nous produisent des routiers de qualité et pas des moindres, issus souvent de la piste comme nous en parlent souvent les médias, et pouvoir vous offrir aussi les spectacles si appréciés dans nos pays voisins tous les hivers sur les pistes surchauffées par l’ambiance festive qui y règne et là je peux vous dire que cela fait chaud au cœur de participer à ce genre de fêtes alliant sports et showbiz et de voir tous ces spectateurs ravis et fidèles d’une année sur l’autre. En France, Grenoble résiste et Bordeaux n’a pas échappé aux intrigues liées aux intérêts financiers convoités et aux sponsors mal récompensés faute de savoir-faire.
L’autre limite à cette discipline n’est-elle pas matérielle ? Pas facile de trouver et d’entretenir le derny…
Il n’y a aucune difficulté pour obtenir un derny neuf, c’est moins facile d’occasion et pour cause on se les garde, j’en ai moi-même trois dont deux très récents et quand un collègue prend sa retraite on fait en sorte que son engin reste dans le circuit et soit vendu à un entraîneur motivé ou non équipé. Pour l’entretenir, une bougie neuve quand il le faut, une bonne tension des deux chaînes, des pneus en bon état, un mélange essence/huile synthétique à 2 % et ça roule.
Combien en reste-t-il ?
En France, dix officiellement pour cinq entraîneurs en France recensés pour les compétitions, sans compter ceux possédés par des pros et quelques clubs, ce qui ferait à mon avis vingt. Ne comptons pas ceux qui dorment sous la poussière en état de marche ou pas selon leur âge et c’est dommage. En Europe, je dirais 120/130 connus ! Rien que Munich en possède 40 pour une épreuve sur route importante et le vélodrome sur lequel nous devons rouler tous à l’identique pour cause de sponsors engagés !
Vous pensez développer une Coupe d’Europe, mais combien de pays seraient concernés ?
Nous courons déjà sur cette épreuve en Belgique, en Hollande, en Allemagne et en France, j’ai un projet qui traîne malheureusement et qui dort même pour le moment à Rosas, sur l’Espagne, là où j’organise les stages cyclistes avec 53douze, et Raymond Persyn a de bons contacts avec la Suisse, l’Italie et l’Angleterre dans ses tiroirs.
Derrière ce projet, y a-t-il l’ambition de faire renaître Bordeaux-Paris ?
Personnellement oui, j’ai d’ailleurs déjà proposé le projet à un gros organisateur qui n’a pas mordu pour le moment mais je pense ne pas avoir été assez explicatif. Il aura bientôt de mes nouvelles plus avancées. Et surtout pourquoi pas le Critérium des As qui, de la bouche même de Daniel Mangeas, manque au palmarès. J’étais sur un projet avancé avec un collectif de soutien de quasiment tous les vainqueurs encore vivants, mais les promesses politiques n’ont pas abouties au retour de ce monstre d’épreuve quand on lit son palmarès. Mais là encore je n’ai pas dit mon dernier mot, le temps me manque, mais je ne suis plus seul avec ces deux idées, l’expérience et l’opiniâtreté de tous nous fera réussir, j’espère.
Quel plateau de coureurs serait raisonnable sur Bordeaux-Paris ?
Le plateau de coureur dépend d’abord du nombre d’entraîneurs capables d’être présents et à la hauteur de l’évènement que nous voudrions pérenne donc de haut niveau, ce qui nous mènerait à trente, sachant qu’il doit y avoir en plus des entraîneurs de secours en cas de panne, cinq à six. J’ai fait une enquête auprès de différents directeurs sportifs et de coureurs pour une formule fongible dans le calendrier et surtout adaptée au cyclisme moderne car 600 kilomètres dont 400 derrière derny avec départ à minuit est complètement inconcevable au XXIème siècle. J’ai eu un excellent écho du côté sportif sur ma méthode, qui rentrerait même dans le cadre d’une préparation spécifique avant une ou deux grandes échéances du calendrier international selon les coaches de plusieurs équipes, puisqu’elle est de circonstances, ni destructive, ni « diéselisante » comme vous le supposez… Reste le nerf de la guerre, l’argent et la volonté des pouvoirs sportifs et administratifs. Le paquet cadeau pour « revivre le cyclisme », comme le dit souvent Christian Prudhomme, est prêt !
Quels contacts peut-on donner pour ceux qui veulent en savoir plus ?
Je reste personnellement disponible à toute demande de conseils d’entraînement, d’achat d’engins, de prestations d’entraînement spécifiques individuels ou de groupes et de volonté d’organisation de ce type d’épreuve, pour en faire écho si besoin est à notre groupe déjà en place, duquel je ne saurais pas me désolidariser. Marc Pachéco : 06.03.06.22.28 ou semsi@live.fr.
Propos recueillis le 27 octobre 2010.