Petit mais costaud. Gil Beisseyre n’est pas un homme grand mais il peut-être considéré comme un grand homme du sport français, son palmarès plaide en ce sens ! Grand sportif depuis son plus jeune âge, cet Auvergnat pure souche a grimpé aux cotés des futures stars du cyclisme des années 1990. Il les a même battues mais n’a pas voulu basculer avec eux. Il a posé son vélo aux pieds de Jules comme jadis son ancêtre arverne et a chaussé ses running pour aller découvrir d’autres espaces et y laisser son empreinte ! Rencontre avec un homme simple, qui a des convictions et sait les partager.
Gil, que faites-vous actuellement ?
Je suis opérateur numérique en poste chez Varel Europe, entreprise fabriquant des outils de forage, trépans, pour l’industrie minière. Il n’est pas facile de se dégager du temps pour l’entraînement, mais surtout il serait dommage de ne pas profiter pleinement de voir grandir mon fils. Pour la petite histoire, je suis en reconversion professionnelle. Voilà deux ans, je suivais une préqualification pour les métiers d’opérateur numérique. Alors que je participais à une course locale, un traileur est venu me serrer la main et me faire part de son « admiration et plaisir de me rencontrer, me connaissant par les revues. » Quinze jours plus tard, je postulais pour un emploi dans l’entreprise citée plus haut. Sans le savoir encore, à ma grande surprise et la sienne aussi, son patron, Patrick Boivin, n’était autre que la personne rencontrée deux semaines auparavant !
Où résidez-vous désormais ?
Je réside depuis maintenant six ans dans les Pyrénées, un petit village en plaine à mi-distance de Tarbes et Pau, à cheval sur les départements des Pyrénées-Atlantiques et des Hautes-Pyrénées. Avec l’avantage d’avoir les montagnes à vol d’oiseau qui s’offrent devant soi, sans les inconvénients des difficultés hivernales. Pour le petit clin d’œil, c’est en terre béarnaise en 1991 que j’ai réalisé mon premier fait d’arme à vélo au niveau national lors du Tour du Béarn en remportant la dernière étape, de montagne évidement, entre Jurançon et Artix avec Marie-Blanque et 30 kilomètres d’échappée solitaire dans le final, devant Didier Rous. La nuit précédente, j’avais fait un rêve prémonitoire puisque aux travers des yeux d’un aigle, je planais paisiblement au-dessus des montagnes…
Auvergnat d’origine vous avez pratiqué le cyclisme de nombreuses années à très bon niveau. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
Si je devais ne retenir qu’une course qui résumerait à elle seule l’approche de ma pratique du vélo, ma relation avec le sport à cette époque jusqu’à ce jour, ce serait le Tour d’Auvergne 1992, que nous avons remporté de la plus belle des manières, dans la souffrance et dans la joie. Je dis nous car autour de moi il y avait cinq potes, tous Auvergnats, prêts à se surpasser, aller au bout d’eux-mêmes pour m’épauler afin de conserver le maillot de leader que j’avais pris lors de la troisième étape Brioude-Puy de Dôme. Sur cette épreuve, on ne nous fit pas de cadeaux. Ce fut une course remportée à la pédale avec une joyeuse bande de copains sachant se sortir les tripes, envers et contre tous, preuve qu’il était possible, même à l’époque « héroïque », pour celui qui voulait y croire et avait un brin d’innocence et de caractère, de ne pas se laisser entraîner, endoctriner par des discours débonnaires. Il y aurait tant à raconter…
Par exemple ?
Comment j’ai remporté au bluff le Tour du Doubs 1993. Le Circuit Franco-Belge, avec l’arrivée sur le vélodrome et les derniers secteurs-pavés communs à Paris-Roubaix quelques heures avant le passage de pros et la seconde victoire de Duclos, et comment je suis passé à deux doigts de remporter le lendemain la dernière étape. Mon stage d’une semaine à Aix-en-Provence en 1992 avec les Castos. Comment moi le grimpeur j’ai remporté le classement de meilleur sprinteur du Tour du Lot, le critérium pro de Brioude en 1991 remporté par Roche où je suis 3ème et seul amateur parmi les six ultimes échappés alors que ça se joue à la pédale, sous la pluie et sur un circuit technique tel un GP de F1. Ma seconde place de l’étape Montluçon-sommet du Puy de Dôme lors de la Route de France en 1990 devant Virenque, Brochard, Dojwa, Robin et autres futurs pros… De sacrés souvenirs !
Pour quelles raisons avez-vous arrêté le vélo ?
La saison 1994, que je venais de boucler sous le maillot d’Antony Berny Cycliste aux couleurs Castorama fut mon dernier exercice à deux roues. La scoumoune m’a bien trop souvent accompagné à mon goût, m’empêchant de m’illustrer au devant de la course, à armes égales avec les meilleurs, plutôt que de devoir faire mon numéro de l’arrière. J’avais un plan pour passer pro avec Agrigel-La Creuse qui allait voir le jour en 1996. Il me fallait pour cela faire une saison de plus chez les amateurs. Mais à l’aube d’embrasser une carrière pro j’ai eu des complications sentimentales. Je me suis retrouvé seul sans soutien et confiance, cela sonnait comme un désaveu…
Pourquoi vous êtes-vous investi dans la course à pied, le trail en particulier ?
A ce moment, le destin m’a mené vers un nouveau chemin, un autre club… Med celui-ci. A Superbagnères pour l’été 1995, en tant que moniteur VTT, j’ai entrepris finalement petit à petit ma transition vers le trail. Dès que j’avais un moment de libre j’allais courir les sentiers de montagne des alentours. En 1998, je suis retourné à Brioude, ma ville natale, et j’ai débuté mes premières courses en montagne, entamant par là même ma seconde carrière sportive après trois années de relâche avec toutes formes de compétitions intensives.
Comment avez-vous géré votre transfert de discipline ?
En ce qui me concerne, mon transfert de discipline ne s’est pas effectué du jour au lendemain mais aura été tout progressif puisqu’il s’est écoulé une période de trois années sabbatiques entre la fin de mon parcours à vélo et le début de celui en running. Evidement, quand je me suis mis à m’entraîner sérieusement et régulièrement pour préparer mon challenge de décrocher une place en équipe de France de course de montagne, dix ans après celle à deux roues, j’ai apprécié le fait que les séances pédestres soient relativement plus courtes et moins astreignantes qu’à vélo. Ca tombait bien car je n’ai jamais été un acharné de l’entraînement. Je dirais qu’en course à pied le rapport heures d’entraînement-performance est des plus intéressants pour celui qui veut se faire plaisir en compétition sans pour autant devoir faire de grosses concessions sur d’autres domaines de sa vie. C’est le plan idéal pour un cycliste désireux de découvrir une nouvelle discipline, un autre milieu. Ne pas lâcher le sport, se faire plaisir sans pour autant devoir y consacrer trop de temps. Côté gestion des blessures, j’ai surtout connu la tendinite due au syndrome de l’essuie-glace, après ma première victoire sur les Templiers, en 2001. Problème résolu avec le temps, de la mésothérapie, des semelles orthopédiques et des étirements adéquats. Je pense qu’il est important de s’entourer de professionnels compétents dans le domaine de la santé, ayant une bonne connaissance de la course à pied, et d’avoir un suivi régulier afin d’anticiper au mieux les risques de blessures.
Grâce à votre vécu, quels conseils donneriez-vous à un sportif voulant passer du cyclisme au trail ?
A un cycliste qui désirerait couper du milieu, changer de discipline et avoir des résultats assez rapidement, je conseillerais dans un premier temps d’aller voir du côté de la montagne, du trail, d’autant plus s’il appréciait déjà les cols à vélo. L’effort à pied en montée étant proche du geste du cycliste qui appuie sur les manivelles pour avancer, la puissance de celui-ci ne pourra qu’être a son avantage. Par contre, même si le cycliste est plutôt bon descendeur, il en sera autrement sur les épreuves avec montées et descentes, du point de vue musculaire. Au début, il serait judicieux de viser les courses avec arrivée en altitude, de se faire, casser et renforcer progressivement les muscles à ce type d’effort et d’enchaînement bien particulier afin d’éviter les trop gros traumatismes du lendemain et risques de blessures à plus long terme. Pour ensuite passer à des distance plus longues et aller sur les sentiers du trail et ultra-trail. Le vélo est très complémentaire pour travailler le foncier, la caisse et également en récupération après une épreuve ou un entraînement dur. Rien de mieux que d’aller faire tourner les jambes pour éliminer courbatures et contractures.
Quelle est l’erreur à éviter ?
L’erreur à éviter, propre au cycliste, serait de penser qu’il faut aligner le nombre de séances et les kilomètres pour préparer et réussir une course longue distance et qu’il faut courir à l’entraînement sur aussi long. Il faut toujours avoir à l’esprit que la course à pied n’est pas un sport porté et que la répétition des chocs dus au contact avec le sol est un facteur à prendre en considération. Rien de tel qu’un stage sur trois jours, par exemple : 1h15 cap avec travail de VMA par des 30″/30″ le matin, sortie récup vélo l’après-midi, le lendemain trois à quatre heures de rando-trail en montagne en alternant course et marche suivant le profil pour finir le troisième jour avec un travail au seuil à vélo le matin et un footing avec lignes droites l’après-midi. Progressivité, alternance et assimilation sont, comme pour le vélo, les maîtres-mots. Côté « métier », je dirais que le cycliste est bien armé et que tout ce qu’il a appris et appliqué est un plus et même un atout pour réussir et le servira dans sa reconversion : gestion de son effort, connaissance de lui-même, alimentation avant, pendant et après, récupération…
Pratiquez-vous toujours un peu de vélo ou de VTT ?
La dernière fois que je suis monté sur le vélo de route c’était durant l’été 2007 pour emmener mon cousin en vacances découvrir les quelques cols mythiques des Pyrénées. J’avoue que je ne montais pas avec les mêmes braquets, mais le démarrage est toujours là. Sinon, un peu de VTT, mais depuis la naissance d’Estéban, c’est surtout pour aller le promener dans le siège arrière ou chercher le lait à la ferme voisine.
Vous qui avez pratiqué ces deux disciplines à très bon niveau, quel regard portez-vous sur leur popularité, leur lien avec la nature ?
Le TRAIL est et doit rester un Terrain de Rencontres et d’Amitiés, un Idéal de Libertés ! Une grande différence du point de vue éthique dans la course à pied, au niveau sportif et selon les disciplines où je les ai pratiqués. Le rapport à l’argent et l’enjeu, personne n’a jamais voulu m’acheter ou me vendre une course, à l’inverse du vélo… Bien évidement, la plupart des épreuves pédestres que j’ai disputées étaient, à la différence du vélo de haut niveau, sans valeur pécuniaire. Ca aide à préserver le milieu. Et puis à pied tu es plutôt seul avec toi-même, difficile de se cacher pour venir coiffer tout le monde au dernier moment ou d’avoir toute une équipe qui bosse pour toi. C’est sûr qu’il n’y a pas ce côté stratégie à prendre en compte, qui est aussi parfois palpitant, que la lecture de la course est beaucoup plus simple, limpide et qu’à la fin le plus fort l’emporte.
Et quid du respect de l’éthique ?
Côté dopage, je dirais qu’il en est de même, comme dans tous milieux et disciplines. Le risque est proportionnel à l’enjeu et à l’argent, et même sans rien à gagner on peut très bien trouver une brebis égarée qui veut tout simplement finir devant son éternel rival. Côté convivialité, le traileur se rapproche du cyclosportif, sérieux dans l’approche mais bon vivant et prêt à se lâcher dès que l’occasion se présente et si elle se présente pas… la provoquer ! En fait, la compétition est l’occasion de se réunir et partager avant, pendant et après de bons moments sans se prendre la tête, ni au sérieux. Se retrouver entre passionnés de tous horizons, échanger dans la convivialité. C’est un retour vers des valeurs oubliées, pourtant fondamentales, un style de vie et une façon de courir autrement. Le traileur, par définition, est proche de la nature et des grands espaces. Plutôt que d’être accro au temps, au chrono donc à la performance, il privilégie l’étendue dans laquelle il évolue. C’est aussi une recherche de liberté, d’aventure, loin des règles trop conformistes, rigides et étouffantes dans lesquelles nous noie déjà assez notre société ne vantant que trop rendement et rentabilité… oubliant que l’être est avant tout humain.
Après le vélo et le trail, quels seront les futurs challenges du talentueux Gil Besseyre ?
Pour l’heure, je dois être en phase de gestation car je n’ai pas de nouveaux challenges en vue, à part celui d’être père !
Propos recueillis par Jean-Baptiste Trauchessec.