Vous êtes partis très tôt, 6 h du matin, c’est pour l’humidité ambiante, la chaleur, les deux cumulées ?
Non, c’est pour partir dès que le jour apparaît. Question d’organisation à mon avis, car même s’il n’y a pas beaucoup de kilomètres, les écarts sont importants. Les podiums se font au sommet après un repas léger. Le retour se fait par minibus en sens inverse de la montée. 2h30 de trajet où l’on prend conscience de ce que l’on vient de réaliser. Je suis arrivé à mon hôtel vers 15h30. Sachant que la nuit tombe à 18h, les derniers ont dû être limite. C’est pourquoi il y a un délai sur 3 check points time.
On ne souffre pas de la chaleur, car dans les gorges, il n’y a pas de soleil sur 20 km, puis en altitude, on change de climat graduellement.
Quelles étaient les nationalités qui prédominaient dans le peloton ?
Les Taïwanais étaient les plus représentés bien sûr. Venaient ensuite, les Japonais, Thaïlandais et Australiens.
Il y avait pas mal de pros dont Nibali, Pujol, Ebsen… Nombreux étant ceux dans des équipes asiatiques comme le français Damien Monier (ex Cofidis). Cadel Evans était là aussi pour représenter BMC. Le niveau était donc très relevé.
Les femmes étaient-elles en nombre ?
Oui les organisateurs ont voulu mettre l’accent sur la participation des femmes. Avec de nombreuses invitées mises en avant. Et, surtout, une équité parfaite dans le montant des primes au 6 premières (15 000€ pour la gagnante).
Quelles étaient les marques les plus présentes, on imagine que si les Barhain Merida étaient là, c’était pour la promo de Merida, marque taïwanaise emblématique ?
Oui, la marque Merida était très présente, même au delà des pros. BMC aussi. Sinon, chez les cyclos, on retrouvait beaucoup de Pinarello et de Giant.
Raconte-nous ta course ?
Le départ a été neutralisé sur 18 km jusqu’au pied de la bosse. Une ambiance sympa où l’on a pu discuter avant de se lancer dans les gorges de Taroko.
Le rythme s’est accéléré progressivement. Les pourcentages étaient légers, un échauffement parfait pour mon vieux moteur. Les sensations étaient très correctes. Je me suis calé dans les 20/30 premiers, et régulièrement dans la roue de Nibali. Ce n’est pas tous les jours, alors j’en ai profité !
5 hommes sont partis à l’avant. Ça m’a démangé, mais je m’étais promis de rester sage. Au fil de l’ascension, le peloton s’est amoindri. Au bout de 40 km, nous n’étions plus qu’une soixantaine, j’étais encore au côté de Nibali. On a même échangé quelques mots ! L’ardoisier nous a alors annoncé 3’30’’ d’avance pour les échappés dont le vainqueur 2014.
Un premier équipier de Nibali a durci le rythme. Je n’étais pas mal. Il s’est écarté, coupant son effort. Un second en a remis une couche. Ça allait toujours. Puis, ce fut au tour du troisième. J’étais transcendé par le scénario « comme à la télé ». 50 km que l’on grimpait et j’étais toujours là, avec un réel plaisir, au milieu de ces pros. Le groupe a fondu. J’étais bien placé à côté du requin de Messine. Alors que je dégoulinais, bouche grande ouverte, je ne voyais aucune goutte perler sur son front, il respirait quasi normalement. C’est là qu’il a produit son attaque, d’une intensité que je n’avais encore jamais vu.Tout a explosé. Ils se sont envolés à 4 ou 5. Puis, un autre groupe de 5 s’est formé. J’ai presque réussi la jonction avant qu’ils n’accélèrent, et que je ne lâche. Derrière moi, le trou était fait, et je me retrouvais seul dans des pentes moyennes face au vent. Pas top !
Ma chance arrivait alors avec la crevaison d’un jeune pro de 7 Eleven. Je me suis calé dans sa roue en ne pouvant lui offrir qu’une poignée de relais en 20 km. Dans les fortes pentes, je faisais l’élastique, mais je revenais toujours. Les 10 dernières bornes furent horribles, avec une succession de rampes à 15/19%. Nous approchions les 3000m d’altitude et les rôles se sont alors inversés. Le jeune a commencé à gémir de douleur. Je l’ai encouragé jusqu’au bout pour le laisser faire le finish.
Cette montée est un vrai défi. Je n’ai aucune référence qui s’en rapproche. Le paysage est grandiose et l’effort particulier. J’ai adoré.
Au niveau des braquets, avais-tu fait le bon choix finalement ?
J’avais installé un compact en 36/52 et une cassette en 11/28. Je suis passé avec, car j’étais dans un bon jour, mais c’était un peu juste. Habitué au 39, j’avais peur pour les parties intermédiaires, mais elles se sont montées sur la plaque. A refaire, je prendrais un 34/50 avec un 11/28 derrière. La plupart des pros avaient un 34.
Concernant les ravitos et le repas d’arrivée, ça marchait comment ?
A Taïwan, lorsqu’il s’agit d’alimentation, il ne manque jamais de rien.
Je ne me suis pas arrêté, mais les stands étaient très fournis. Il y avait des zones précises pour les voitures d’équipe et j’ai pu en profiter.
Au bord de la route, de nombreux spectateurs arrosent et propose des bouteilles.
A l’arrivée, on a eu droit à du café au lait sucré ou autres boissons épicés. Puis, on basculait 1km pour les podiums et là, il y avait un repas en plein air, avec de la soupe de pâtes, du riz, café…
Par contre, le soir, le dîner était exceptionnel avec un buffet gargantuesque de grande qualité servi dans un hôtel de luxe. Il y avait de grandes tables rondes, propices à de supers rencontres.
Et niveau organisation, sécurité, qu’en as-tu pensé ?
Il y avait un nombre de volontaires impressionnant, des motos ambulances et voitures de course en nombre.
Ce qui prédomine, c’est surtout un dévouement et une attention pour les cyclistes juste géniaux.
Le prix de l’inscription, 140 €, est largement justifié.
Combien as-tu fini au général ?
20ème en 3h40’30’’, 2ème des amateurs et 1er de la catégorie 40 /49 ans. Tous les pros élites sont classés à part.
Chaque catégorie est appelée jusqu’au 6ème, le tout dans une rapidité et un décor protocolaire sympa. On a reçu de jolis trophées pour un souvenir inoubliable, ce qui manque cruellement sur l’Etape du Tour par exemple.
Tu parles d’une de tes meilleures expériences de vélo, parce que tu as côtoyé les pros notamment, quelles raisons font que ?
Non, pas uniquement de par leur présence. C’est un tout. Les pros sont là pour le business et les gros prices money. Autant je suis navré quand j’en vois certains gagner et écraser nos cyclos, autant là, j’étais content de savoir qu’ils allaient bagarrer. Les règles étaient claires avant le départ, et cela permet de voir concrètement ce qui nous sépare des meilleurs.
Avec un peu de recul et en lisant les commentaires des finishers, je pense que c’est un ensemble de paramètres qui font la singularité de ce challenge. La première réaction du vainqueur Nibali au sommet conforte mon sentiment, « je n’ai jamais vécu une telle ascension ». Les images d’Oscar Pujol, lauréat 2016, sous oxygène à l’arrivée en dit long sur l’exigence de la grimpée. Des gars qui ont un vécu et un entraînement à toutes épreuves sont surpris. Pourtant, les chiffres ne sont pas monstrueux : environ 3h30 d’effort, 3500m de dénivelé positif. Une Marmotte est bien plus difficile.
Seulement, nous sommes habitués aux enchaînements. La douleur d’une reprise de col après une longue descente est terrible, mais nous la connaissons. Ici, la douleur inévitable arrive par une usure que l’on n’a jamais connue. Finir cramé au bout de 5 h dans le vent sur le plat n’est pas moins éprouvant, mais nous connaissons. Lorsque l’on aborde une pente, on se met en mode grimpeur, et y rester pendant 80 km, c’est nouveau, donc différent.
La gestion de cette épreuve est primordiale. La terminer est donc un challenge pour beaucoup.
A l’arrivée il règne aussi une ambiance particulière de respect. Le résultat semble secondaire. On est absorbé par la grandeur des lieux.
Pour conclure, quel est ton sentiment sur ce Taïwan Kom Challenge ?
Il s’agit d’une course de rêve qui restera parmi les meilleures de ma carrière cycliste.
Je crois avoir réalisé ma plus belle perf 2017. Je boucle donc cette saison par une journée très émouvante pour moi, c’est fabuleux. Le sport est magique parfois, quand tout est là…
En bref, une épreuve exotique que je conseille à tous les cyclistes qui aiment grimper. Y associer un voyage et la partager sont des plus.