Qu’est-ce qui peut bien pousser ces coureurs d’une autre trempe à s’engager pour une vingtaine d’heures d’efforts sur des parcours marathons de près de 600 kilomètres et 10000 mètres de dénivelé ? La tendance aux événements Ultras n’est pas encore tellement prononcée dans l’Hexagone, néanmoins elle attire une poignée d’aficionados du genre. Des guerriers avides d’un cyclisme de légende, d’une aventure humaine surtout, qui dépasse l’esprit compétitif tel qu’on l’entend d’ordinaire. Sur ces épreuves où il convient d’aller chercher au-delà de ses limites physiques et psychiques – où l’on découvre que l’organisme s’en va puiser des ressources insoupçonnées – le combat est livré avant tout contre soi-même, avec soi-même. C’est le défi qu’a relevé la vingtaine de participants au Raid Provence Extrême samedi et dimanche.
Au départ de la Route du Ventoux, le magasin de Bedoin installé pile au pied du Géant de Provence, deux catégories de coureurs. D’abord les Grands Randonneurs, partis les premiers pour un périple en totale autonomie, et équipés de toutes les affaires dont ils auront besoin pour le défi. Ensuite les Ultras, assistés chacun par un véhicule suiveur, et chronométrés avec classement à l’arrivée. Pour tous, 582 kilomètres et 9500 mètres de dénivelé dans l’arrière-pays provençal, par-delà le Mont Ventoux, le plateau de Valensole, les gorges du Verdon, le col d’Ayens, la vallée d’Asse, la Montagne de Lure, la vallée du Jabron, le Luberon et les Alpilles jusqu’à l’arrivée à Saint-Rémy-de-Provence.
Un périple à travers des paysages grandioses, et par un très beau temps. Trop beau temps même car courir sur de telles distances par la canicule est un handicap supplémentaire. Les fortes chaleurs auront fait des victimes, tous n’auront pas eu l’espoir de rallier l’arrivée. Pour y parvenir dans un Ultra tel que celui-ci dans lequel, c’est la règle pour ce type d’épreuve, les relais sont interdits, chacun devant rouler à distance l’un de l’autre, il faut savoir se gérer à la perfection dans tous les domaines. Côté matériel d’abord, si certains avaient opté pour deux vélos, d’autres ont misé sur le confort en ajoutant un prolongateur à leur guidon afin de bénéficier d’une meilleure position et de soulager les avant-bras de temps à autres.
Il convient ensuite de bien savoir s’alimenter. Durant les deux tours de cadran environ, il faudra boire beaucoup (eau, eau gazeuse, Coca, boisson énergétique) et penser à ingurgiter quelque chose toutes les heures. Si la chaleur a un effet coupe-faim, gels, barres et petits sandwichs restent les bienvenus sur l’interminable route du Raid Provence Extrême. Les neuf haltes ravitaillement qui sont prévues à chaque poste de contrôle (obligatoires pour tous) sont quant à elles, et c’est là le seul petit effort qui pourra être réalisé par les organisateurs, un peu légères en l’absence notamment de plat chaud proposé aux concurrents.
Question gestion des efforts enfin, mieux vaut limiter au maximum les arrêts, qu’on mettra à profit pour manger ou satisfaire un besoin naturel. Pas plus. Sur 24h15 entre Bedoin et Saint-Rémy-de-Provence, le temps réalisé par Thomas Bécarud, notre envoyé spécial se sera arrêté en tout et pour tout moins de trois quarts d’heure.
Se lancer dans un Ultra, c’est aussi savoir s’armer mentalement quand, en fin d’après-midi, après déjà dix heures passées sur le vélo, la fatigue et les crampes vous gagnent et qu’on n’a pas encore réalisé la moitié du tracé ! Heureusement la nuit est là pour rafraîchir les corps. Le pilotage, à la lueur des phares des voitures assistantes (pour les seuls coureurs Ultras), devient automatique. De nuit, la sensation de vitesse est accrue, de quoi donner un second souffle à ceux à qui il ne restera plus « que » 150 kilomètres lorsque le soleil se lèvera, piquant les yeux restés éveillés toute la nuit.
La Montagne de Lure franchie sous les étoiles, un spectacle emprunt d’une magie indescriptible, comme celle qui règne au moment du coucher du soleil sur les gorges du Verdon, il est dit qu’on ira au bout de l’aventure. Un défi conclu en tête en 21h24 par Omar Di Felice, au terme d’un duel entamé dès le Mont Ventoux avec Ralph Diseviscourt. Chacun des concurrents ayant pris son rythme dans le Ventoux, où les deux de tête ont fait le trou, la course à la victoire se sera résumée à un mano a mano entre les deux.
Mais à l’arrivée du Raid Provence Extrême, la victoire est collective. Chaque finisher se voit remettre la même récompense, notamment une paire de pédales Look Kéo et un casque Casco. Avant de se retrouver autour d’une paëlla pour clôturer un challenge qui restera marqué dans les mémoires.