Prologue, bordures, côtes et col, c’est un programme tout à fait complet qu’avait aménagé l’organisation du Tour de la Provence pour animer ses quatre journées d’épreuves. Le public n’en a pas été déçu, chaque étape apportant son lot quotidien de spectacle, éliminant des favoris pour en faire apparaître de nouveaux. Néanmoins, le plus grand d’entre eux, Julian Alaphillippe, ne cessait de confirmer sa stature pour l’allégeance finale, brillant sur les trois premiers terrains évoqués. Mais en cyclisme, la montagne reste reine. Et son prince, Nairo Quintana, rescapé des bordures, l’a célébré avec panache, renouant avec le succès à la petite station de sports d’hiver de Lure. Distancé par Julian Alaphilippe sur chacune des étapes précédentes, le colombien a émergé là où le français a coulé. Récit de ces destins croisés.
Prologue : Berre l’Etang – Berre l’Etang : Alaphilippe se place
Sur les rivages de l’étang de Berre, dans une lutte face au Mistral, Julian Alaphilippe s’était d’abord montré costaud pour son retour à la compétition. Tombé malade au terme de sa préparation hivernale, le français se rassurait quant à sa condition au gré d’une belle sixième place, au milieu des spécialistes de l’exercice chronométré du plateau. En une poignée de kilomètres (7,1, exactement), il s’arrogeait déjà une petite marge sur l’ensemble de ses rivaux au classement général, et comptait déjà 14 secondes d’avance sur Nairo Quintana. « Je voulais juste me faire mal et voir ce que ça allait donner ». Relativement satisfait de sa performance, le natif de Saint-Amand-Montrond savait toutefois que le mal n’était pas fait.
Julian Alaphilippe fut à son aise sur le prologue de Berre l’Etang | © Tour de la Provence
1) Istres – Les Saintes-Maries-de-la-Mer : Alaphilippe engrange, Quintana résiste
« Mouvementée », voilà comment Julian Alaphilippe annonçait la journée. Pourtant le français aime ça, le mouvement. Eduqué au cyclisme de haut niveau à l’école Quick-Step, il s’est parfaitement familiarisé avec les bordures, au point d’en faire ses alliées. Et s’il n’a pas mis le feu aux poudres, ce vendredi, à 70 kilomètres de l’arrivée, il a naturellement accompagné le mouvement, largement épaulé par ses équipiers. L’échappée reprise précocement, il profitait même des sprints intermédiaires pour emplir sa besace de bonifications, au cas-où la victoire finale se jouerait pour une poignée de secondes au sommet de la Montagne de Lure.
A l’arrivée, il en empochait même quatre nouvelles au gré d’une troisième place, blotti dans le sillage d’Elia Viviani, vainqueur du jour, et de Sep Vanmarcke, son dauphin. Ce bilan comptable s’accompagnait également de l’élimination de plusieurs rivaux dans sa quête de la victoire finale, tels Michael Storer, Ivan Sosa ou encore Richard Carapaz, enrhumés par le vent. Pourtant, en zone mixte, le résident d’Andorre ne s’y trompait pas, son principal adversaire restait en jeu. Dans l’ombre des classicmen, Nairo Quintana résistait.
Julian Alaphilippe et son équipe Quick-Step Alpha Vinyl ont amplement contribué à la formation de bordures | © Tour de la Provence
2) Arles -Manosque : Alaphilippe poursuit sa moisson de bonifications
Pour la première fois sur cette 7e édition du Tour de la Provence, la route s’élevait. Aux abords de Manosque, elle ne cessait plus de se cabrer, jusqu’à proposer aux coureurs une arrivée en montée. Alexis Gougeard, dernier des baroudeurs, repris à deux kilomètres du terme, il restait aux puncheurs à se départager. A ce jeu-là, Bryan Coquard a été le plus fort. Déjà vainqueur la semaine dernière sur l’Etoile de Bessèges, la recrue du Team Cofidis n’a pas hésité à démarrer de loin pour résister jusqu’au franchissement de la ligne.
Dans son sillage, il emmenait Julian Alaphilippe, incapable de le déborder mais bien heureux de récupérer six secondes de bonifications supplémentaires. De la sorte, le coureur de Quick Step Alpha Vinyl augmentait son avance à 30 secondes sur Nairo Quintana, 6e du jour. En retrait mais bien présent dans l’emballage final, le colombien se montrait satisfait d’un débours limité, sachant pertinemment que l’étape du lendemain serait l’épreuve de vérité.
A Manosque, Julian Alaphilippe a empoché les six secondes de bonifications de la 2e place | © Compte Twitter de Christophe Castaner
3) Manosque – La Montagne de Lure
Toutefois, avec ce retard, le grimpeur du Team Arkea Samsic ne pouvait pas de contenter d’attendre la flamme rouge pour attaquer, s’il voulait se hisser au sommet du podium final. C’est donc à plus de quatre bornes de l’arrivée qu’il a pris les choses en main, en conclusion d’un superbe travail d’accélération mené par ses équipiers. Définitivement envolé à l’avant de la course, le retour express de Julian Alaphilippe venait momentanément contrecarrer son plan de bataille. Impressionnant d’explosivité, le français semblait effectivement maître de son sujet, n’hésitant pas à collaborer avec son adversaire pour creuser l’écart.
Le moment fatidique où Julian Alaphilippe a craqué | © Capture d’écran l’Equipe
Non content de jouer les premier rôles, « Nairoman » multipliait alors les accélérations, en fin maître de la partition du grimpeur. Main sur les cocottes, corps en danseuse, le natif de Combita affichait une forme rafraichissante, après avoir traversé la saison passée comme un fantôme. D’ailleurs, ses efforts ne tardèrent pas à payer. D’un énième « coup de cul », il laissait sur place son rival, décontenancé par une perte soudaine de forces. Comme à son habitude, la défaillance de Julian Alaphilippe n’a pas prévenu. Pétillant jusqu’alors, le champion du monde ralentissait brusquement son rythme, tournant difficilement son pédalier, se déhanchant sur la chaussée. Repris puis lâché par Ivan Sosa, il fut finalement récupéré par un groupe de survivant, auquel il s’est accroché tant bien que mal.
Franchissant la ligne d’arrivée avec 47 secondes de retard sur le colombien, il adressait ses adieux à ses rêves de victoires, et échouait à la même place que l’an passé. Deuxième et contraint de regarder son bourreau en contre-plongée sur le podium, il ruminait son « erreur de jeunesse », selon ses dires, celle d’avoir sauté sur le colombien lors de son attaque.
Nairo Quintana, maître grimpeur et splendide vainqueur au sommet de la Montagne de Lure | © Tour de la Provence
En réalité, cette défaillance en rappelle d’autres intervenues dans de mêmes conditions. Elle évoque naturellement son échec face au binôme Egan Bernal – Ivan Sosa au Chalet Reynard l’an passé, mais refait également surgir sa dégringolade au classement général du Tour de France 2019 dans les deux dernières étapes alpestres. En fait, elles apparaissent comme un aveu d’impuissance lorsque la pente commence à durer. Julian Alaphilippe est un fabuleux puncheur. Il l’a prouvé à maintes reprises. Mais il ne sera vraisemblablement le grimpeur qu’il rêve secrètement d’incarner sur la Ronde de Juillet. Nairo Quintana, aujourd’hui, le lui a démontré.
Par Jean-Guillaume Langrognet