Toute situation génère gagnants et perdants. Même les plus dramatiques, desquelles les profiteurs ne se félicitent pas toujours. Disons-le clairement : aucun organisateur de course cycliste ne se réjouit de la pandémie de COVID-19 sévissant actuellement. Mais force est de constater que certains d’entre eux ont bénéficié des annulations en pagaille et des incertitudes régaliennes pour réunir un plateau inhabituellement prestigieux.
Parmi eux, figurent notamment les courageuses têtes pensantes des courses françaises de second rang, celles que les chaînes de télévision achètent pour une bouchée de pain, celles que seuls les passionnés connaissent. Il n’est pas ici question de Paris-Nice, de Paris-Roubaix ou du Tour de France, mais de l’Etoile de Bessèges, du Tour de la Provence ou de la Classique de l’Ardèche. Appartenant au calendrier UCI ProSeries (échelon inférieur du Word Tour) ou aux circuits continentaux, elles ne constituent jamais un objectif pour les grands champions, contentant d’animer les débats entre héros locaux, en guise de préparation aux grands rendez-vous.
© GP la Marseillaise
Epreuves cyclistes étrangères annulées, courses Françaises maintenues
Il s’agit donc ici de s’intéresser aux effets connus par ces courses entre 2019 et 2021, en se penchant sur l’évolution du prestige de leur liste de départ, mise en perspective avec les annulations et reports parallèles. Seules les épreuves de début de saison seront ici évoquées, par souci d’exhaustivité. Cette qualification s’applique à toutes les courses disputées avant le départ de Paris-Nice, soit entre mi-janvier et début mars. Pour les plus profanes d’entre vous, il faut savoir que sauf évènement exceptionnel, le calendrier cycliste est fixe d’une saison à l’autre, la saison gardant le même déroulement. Ainsi, l’ordonnancement des épreuves reste similaire, seules les dates changent légèrement. Cet élément s’avère particulièrement utile pour évaluer l’impact de l’annulation d’épreuves sur la startlist d’autres, puisqu’il évite naturellement tout biais de calendrier.
Encore nulle en 2019, la pandémie a commencé à ébranler le calendrier cycliste à partir de la deuxième quinzaine de février 2020, jusqu’à mettre l’ensemble du sport sous cloche au terme de Paris-Nice. La saison 2021 a ensuite été marquée par de nombreux reports et annulations. Ceux-ci ont eu la particularité d’être géographiquement ciblées. Aucune course extra-européenne de l’hiver n’a été disputée. Moultes épreuves ibériques ont été déplacées. Toutes les courses françaises ont eu lieu. Divergences de politiques étrangères, d’ouverture des frontières et de restrictions sanitaires locales peuvent expliquer de telles différences. Au sein de l’Hexagone, une accalmie temporaire des contaminations suivant le second confinement, couplée avec la mise en place systématique d’une bulle sanitaire ont donné lieu à un contexte favorable au sport, à la plus grande joie des organisateurs de France.
Le calendrier suivant illustre ces bouleversements. Basé sur le début de saison 2020, il distingue les épreuves maintenues à leur place en 2021 des courses reportées ou tout bonnement annulées. En ce faisant, il met clairement en lumière la persistance du calendrier français face au déboisement des épreuves étrangères, jusqu’à obtenir un début de saison à moitié tricolore. Il montre nettement que les courses hexagonales ont été débarrassées de fait de leurs concurrentes, incitant dès lors l’ensemble du peloton international à y prendre part.
Calendrier du début de saison 2020. En rouge, les courses annulées ou reportées en 2021 / En bleu, les épreuves maintenues en 2021 | © Vélo 101
Le Monde cycliste en France
Il s’agit maintenant d’évaluer les effets de ces modifications majeures de calendrier sur le prestige des plateaux. Pour cela, nous avons utilisé l’indice Sartlist Quality de Procycingstats. Celui-ci, dont la traduction s’apparenterait à « prestige de la liste de départ », utilise un classement propre au site comme référence.
Son fonctionnement est similaire au classement UCI, en valorisant davantage les épreuves d’échelons inférieurs au World Tour. Il pourrait donc être qualifié de « plus juste » à cet égard. Mieux un participant est classé, plus il rapporte de points de prestige à l’édition d’une course. Ces scores s’échelonnent de 50 points pour un coureur du top-10 mondial à 1 point pour un homme classé entre la 500e et la 1000e place.
Dans le graphique ci-dessous, cet indice est mesuré sur une période de trois ans, de 2019 à 2021. Entre 2019 et 2020, aucun facteur exogène n’est censé exister, la pandémie n’ayant pas encore fait ses effets pour les courses hivernales. En 2021, en revanche, les résultats peuvent être directement corrélés avec de nombreuses annulations parallèles.
A lire comme suivant : en 2019, la startlist quality du GP la Marseillaise était de 282 | © Vélo 101
Ainsi, l’année 2021 apparaît bel et bien comme un excellent cru pour les organisateurs français. Comme l’illustre le graphique, toutes les courses françaises de second rang du début de saison ont vu le prestige de leur plateau s’accroître significativement, tandis qu’il apparaissait relativement stable entre 2019 et 2020. Pour l’Etoile de Bessèges ou le Tour des Alpes-Maritimes et du Var, cette valeur varie même du simple au double, symbolisant l’ampleur de l’effet mis en lumière.
Habituellement absente dans le Gard, la célèbre formation INEOS-Grenadiers avait ainsi amené la grosse artillerie sur la dernière édition de l’Etoile de Bessèges. Egan Bernal, Filippo Ganna, Michal Kwiatkowski ou encore Geraint Thomas s’étaient alors élancé de Bellegarde pour tenter de prendre la succession de Benoit Cosnefroy ou classement général. Ce fut finalement le belge Tim Wellens, vainqueur de quatre étapes en Grands Tours, qui l’emporta au Sanctuaire Notre-Dame-des-Mines d’Alès. Jamais le gagnant n’avait compté un tel palmarès depuis Fabio Baldato, lauréat de l’Etoile de Bessèges en 2003.
L’effet Français confirmé à l’étranger
Seule exception sur ce graphique : Paris-Nice. Quelque soit l’année et le contexte (en 2020, de nombreuses équipes s’étaient retirées de la course avant son départ, forçant l’organisation à faire appel à plus de coureurs et d’autres formations), la « course au soleil » conserve une liste de départ au prestige similaire. Cette différence vis-à-vis des autres cas étudiés pourrait-elle être due au prestige naturel de l’épreuve, la seule classée au calendrier World Tour ?
Pour le savoir, il est nécessaire de s’attarder aux épreuves étrangères de début de saison maintenues en 2021, tous niveaux de classifications confondus.
A lire comme suivant : en 2019, la startlist quality de l’UAE Tour était de 740 | © Vélo 101
De nouveau, on constate une certaine stabilité de prestige de la startlist pour les courses les plus fameuses, qu’il s’agisse d’épreuves World Tour (UAE Tour et Het Nieuwsblad) ou de grands rendez-vous des classicmen (Kuurne-Bussel-Kuurne). En revanche, des épreuves plus locales, comme le Trofeo Laigueglia ou le Samyn jouissent d’un effet similaire aux courses françaises de second rang.
Habituellement réservée aux coureurs transalpins, la classique italienne avait effectivement vu le gratin mondial débarquer en Ligurie. Le grand Bauke Mollema l’avait d’ailleurs emporté, devant l’idole Egan Bernal et le prometteur Mauri Vansevenant. Le premier italien, Giulio Ciccone, était relégué à la 5e position.
Si l’on suit cette logique, la diminution des annulations et des reports pour cette saison 2022 devrait produire l’effet inverse. Avec le maintien de l’ensemble des classiques et courses par étapes espagnoles et le retour d’épreuves du Moyen-Orient, les organisateurs français devraient retrouver leurs standards d’antan. Toutefois, le plateau annoncé du GP la Marseillaise, épreuve d’ouverture de la saison hexagonale, affiche actuellement une startlist quality de 342, soit moins que les 443 de l’an passé, certes, mais plus que les 298 de 2020.
Un phénomène similaire est observé du côté de l’Etoile de Bessèges. La France aurait-elle (partiellement) réussi à fidéliser le monde du vélo ?
Par Jean-Guillaume Langrognet