La fulgurante éclosion d’Egan Bernal

Révélé par deux médailles aux championnats juniors de VTT cross-country en 2014 et 2015 puis reconnu depuis son titre au Tour de l’Avenir en 2017, Egan Bernal est courtisé par les plus grandes Worldteams, à l’instar de la Movistar, de la Bahreïn-Merida et du Team Sky, bien décidés à racheter le contrat lui le colombien à la formation italienne Androni Giocattoli. Le natif de Zipaquira choisit finalement l’écurie britannique, déclarant réaliser ainsi « un rêve ». Effectivement, grâce à la force collective et aux moyens techniques et intellectuels de l’équipe, la carrière d’Egan Bernal ne tarde pas à s’envoler. Des tops 10 de courses de second-rang, il passe vite à l’échelon supérieur, remportant son tour national dès le mois de février, devant ses compatriotes Nairo Quintana, Rigoberto Uran ou encore Daniel Felipe Martinez. Lancé par ce succès, le colombien multiplie alors les performances de haut-vol et les coups d’éclats, avec une impressionnante régularité. Deuxième d’un Tour de Romandie peu montagneux puis solide vainqueur du regretté Tour de Californie, il est aligné sur le Tour avec un statut d’équipier de luxe.

Loyal à ses leaders Geraint Thomas et Christopher Froome, il participe grandement au sacre du premier tout en œuvrant au podium du second, se faisant ainsi leur lieutenant. Par son altruisme mais aussi ses aptitudes en montagne, Egan Bernal y construit sa renommée et accroît fortement sa côte auprès du staff britannique. Connu du grand public et rassuré par ses qualités au plus haut niveau, la carrière du sud-américain est bel et bien lancée.

Egan Bernal, meilleur équipier du Tour 2018Egan Bernal, meilleur équipier du Tour 2018 | © ASO / Alex Broadway

 

Le sacre prématuré avec les Ineos-Grenadiers

Un an, un Tour de Suisse et un Paris-Nice plus tard, c’est avec une autre stature qu’Egan Bernal se présente sur la Grande Boucle. Co-leader du Team INEOS aux côtés de Geraint Thomas, il devient l’égal de celui qu’il servait douze mois plus tôt. Mieux : l’élève dépasse le maître. En légère délicatesse dans les Vosges, il est ensuite le dernier à tenir la roue de Thibaut Pinot au Prat d’Albis, alors que Geraint Thomas a craqué dès l’attaque du franc-comtois. Cinquième du classement général à la sortie des Pyrénées, Egan Bernal poursuit sa montée en puissance et se déchaine dans les Alpes. Audacieux attaquant dans le col du Galibier, il gagne de précieuses dizaines de secondes sur ses rivaux se replace sur le podium dès l’entrée d’un menu bien chargé. Plus frais que ses adversaires, il remet ça le lendemain, provoquant l’explosion totale du groupe des favoris dans le col de l’Iseran. Thibaut Pinot est out, Julian Alaphilippe à la rue, Steven Kruijswijk et Emmanuel Buchman incapable de tenir sa cadence. Si l’étape est prématurément interrompue en raison de conditions climatiques chaotiques, le coup de force a déjà pris effet. Egan Bernal revêt le maillot jaune dans la voiture de son équipe, avant de rayonner sur les Champs-Elysées deux jours plus tard.

Mettant un terme aux échecs successifs de ses prédécesseurs Luis Herrera, Nairo Quintana et Rigoberto Uran, Egan Bernal devient le premier colombien à remporter la Grande Boucle, grimpant sur la première marche du podium grâce à ses fantastiques aptitudes d’escalador sud-américain. Au pays, c’est tout une nation qui rugit, l’accueillant en héros à son retour, lors d’une grande messe populaire. A 22 ans, la légende d’Egan Bernal est née.

Egan Bernal, vainqueur du Tour 2019Egan Bernal, vainqueur du Tour 2019 | © ASO

 

La première défaillance

Maintenant qu’il est au sommet de l’Olympe, Egan Bernal ne peut qu’en descendre. Venu au départ de Nice avec le statut de favori malgré un Critérium du Dauphiné inquiétant (non partant à la 4e étape), il se montre immédiatement en-deçà du niveau de ses rivaux slovènes Primoz Roglic et Tadej Pogacar, sans perte de temps dans un premier temps. Mais l’usure de la course assaillant son organisme ne fait qu’accroître ses faiblesses, qui finissent par éclater au grand jour dans la traversée du Massif Central, puis du Jura. Lâché par les meilleurs au Puy Mary, le colombien essuie ensuite une terrible défaillance dès le pied du Grand Colombier, abandonnant tout espoir de bien figurer au classement général. Affaibli physiquement mais aussi mentalement, il plonge et ne se relève pas. L’abandon se présente alors comme la seule issue possible. A Grenoble, Egan Bernal quitte le Tour par la petite porte, bien loin des lauriers de l’édition précédente.

Cette première défaillance affecte durement le moral du jeune homme pendant de long mois. Après une ascension d’une telle fulgurance, la chute est d’autant plus violente. Pour la première fois, son destin s’écarte de celui d’un conte de fée. Le colombien est d’autant plus aigri que ses maux de dos, cause de son abandon, persistent péniblement. En mars 2021, il fait part de son inquiétude à la presse, prêt à « vivre avec la douleur ».

Egan Bernal, victime de maux de dos, lâche dès le pied du Grand Colombier, sur le Tour 2020Egan Bernal, victime de maux de dos, lâche dès le pied du Grand Colombier, sur le Tour 2020 | © ASO

 

Le sursaut transalpin

C’est donc avec une préparation sans bouquets que le colombien se présente au départ du Giro en mai. Si son potentiel est bien connu, son état de forme est en revanche incertain. Sa capacité de vaincre les Joao Almeida, Remco Evenepoel ou Simon Yates est mise en doute, d’autant plus que sa performance sur le prologue de Turin n’est pas franchement fulgurante. Sans impressionner, le colombien va en fait construire sa victoire avec autorité. Porté par un collectif implacable, il ne quitte pas les avants postes, creusant patiemment et lentement son avance, au gré des déconvenues de ses adversaires.

Se contentant d’hausser le ton lorsque cela est nécessaire, il glane deux succès sur la route de Milan, affirmant sa supériorité aux moments clés de la course. D’abord, il s’impose en patron au Campo Felice, au terme de la première semaine, avant d’asseoir sa domination huit jours plus tard dans l’enfer du Passo Giau. Malgré un contre-la-montre moyen à Milan, il s’assure son sacre italien en conservant 1 minute 30 d’avance sur Damiano Caruso, réalisant ainsi la passe de deux en Grand Tour. Egan is back.

Egan Bernal, vainqueur en rose sur la 16e étape du Giro 2021Egan Bernal, vainqueur en rose sur la 16e étape du Giro 2021 | © Giro d’Italia

 

La fâcheuse rechute

C’est après une longue coupure de deux mois puis une préparation espagnole sans coups d’éclats qu’Egan Bernal se présente au départ de Burgos pour tenter le Grand Chelem des trois Grands Tours. Le gain de forme n’intervient pas, et les déceptions s’enchaînent. Largué sur le chrono inaugural (+27s sur Roglic), Egan Bernal ne cesse d’afficher sa fébrilité, à l’instar du raidard de l’Alto de la Montaña de Cullera, où, après avoir demandé à ses équipiers de mettre le feu, il concède finalement 14 secondes à Primoz Roglic au classement général. Il rompt finalement au terme de la première semaine, sur les pentes de l’Alto de Velefique, où il concède plus d’une minute au leader slovène. Pire, il ne parvient pas à assumer son statut de leader face à son coéquipier Adam Yates, qui le distance à plusieurs reprises en tentant de l’aider.

Piégé deux jours plus tard à Rincon de la Victoria, il ne décolle plus de la 7e place du classement général, à près de trois minutes de son rival de Trbovjle. Sur la 17e étape, son fabuleux coup de panache, avec une attaque à 60 bornes de l’arrivée, n’est malheureusement pas récompensée, le colombien finissant avec le groupe des favoris. Et il conclut l’épreuve piégé en Galice, en compagnie de con compatriote Miguel Angel Lopez, accusant à l’arrivée un retard proche des 7 minutes sur Primoz Roglic. A Saint-Jacques de Compostelle, l’addition est lourde, se chiffrant à plus de 10 minutes (13:27). Bien loin des standards d’un vainqueur du Tour.Egan Bernal, lâché par Primoz Roglic et les favoris sur la 9e étape de la Vuelta 2021Egan Bernal, lâché par Primoz Roglic et les favoris sur la 9e étape de la Vuelta 2021 | © Photo Gomez Sport / La Vuelta

Forcément, cette contre-performance a de quoi cristalliser les tensions, qui ne tardent pas à éclater. Le bouc-émissaire s’appelle Matteo Tossato, directeur sportif du Team INEOS-Grenadiers, à qui Egan Bernal reproche l’absence de décision quant au leadership de la formation. En fait, le colombien a très mal supporté la cohabitation avec Adam Yates, frustré du manque de soutien du britannique du fait de son statut de coleader. Et avec ces rumeurs de départ croissantes, il le fait bien sentir. Si son truculent agent, Giuseppe Acquadro, se montre rassurant sur l’avenir de son poulain au Royaume-Uni, à deux ans du terme de son contrat, le célèbre journaliste Italien, Beppe Conti, indique tout l’inverse. En quête d’un champion fiable, l’équipe Israël Start-Up Nation se tient ainsi prête à émettre une proposition. Egan Bernal pourrait alors y retrouver Chris Froome, également réfugié de l’écurie britannique.

Par Jean-Guillaume Langrognet