Cette fois c’est officiel. Mathilde Favre, que nous avons rencontrée à l’inauguration des nouveaux locaux Biofrais et GrandFrais à Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie) nous l’a confirmé : elle arrête sa carrière. La main droite bandée et avec une attelle, quelques éraflures au visage bien masquées par le maquillage, c’est la chute de trop pour celle que tous ses amis surnomment Mathou. Elle revient avec nous et avec lucidité sur le pourquoi de cet arrêt la situation du cyclisme féminin et son approche de la discipline.
Mathilde, comment en es-tu venue à prendre la décision de mettre un terme à ta carrière ?
Je traverse une période un peu compliquée. Je suis tombée au bout d’un kilomètre sur la première manche de Coupe de France au GP de Chambéry au début du mois de mars. Je me suis fracturé le métacarpe de la main droite. Je suis à nouveau arrêtée après une première période d’arrêt au mois de juillet l’an dernier. C’était ma première course depuis le Tour de Bretagne l’an dernier où je suis tombée et où j’ai souffert de l’épaule. C’est un peu compliqué mentalement. L’année dernière, je disais en plaisantant qu’à la prochaine grosse gamelle, j’arrêterai. Avant de toucher le sol à Chambéry, quelque part, ma décision était déjà prise. Mais je n’ai pas voulu prendre de décision à chaud pour ne pas avoir de regrets. Ça fait trois semaines que cela tourne en boucle dans ma tête. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de tourner la page.
Cette décision fait donc suite à plusieurs chutes dont tu as été victime.
Il arrive un moment où le corps dit stop. En 2015, je m’étais fait renverser par une victoire et je m’étais cassé le coccyx. Je commençais à m’en remettre quand je suis tombée au Tour de Bretagne. J’ai fait six mois de rééducation pour me remettre dans le bain et je retombe dès ma première course. C’est beaucoup pour une seule personne.
Cette chute est intervenue à domicile. Cela a-t-il eu un impact sur ta décision ?
Tout le monde sait que Chambéry est une course très nerveuse. C’est la première Coupe de France, tout le monde veut être devant et il y a souvent beaucoup de chutes. Parfois graves, comme ce fut le cas l’an dernier avec une participante qui a été plongée dans le coma. C’est le fait de tomber dès le premier kilomètre qui a surtout fait la différence. Si j’étais tombée dans le final en ayant pris des risques inconsidérés, j’aurais accepté mon sort en me disant que je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Là, ce n’était pas de ma faute.
Dirais-tu que les filles entretiennent le même rapport à la blessure que les garçons ?
Le vélo est un sport de guerrier. Si on n’est pas prêts à faire ce sport, on ne tient pas longtemps. La différence par rapport aux garçons, c’est que l’on n’est pas dans le même niveau de professionnalisme. Lorsqu’ils tombent, ils sont suivis par une foule de spécialistes. Nous, lorsque nous tombons, nous devons continuer à assurer notre travail ou les études pour certaines. Si on se fait très mal, cela nous handicape pour le reste.
Dans ces conditions, pouvais-tu être suivie par tous les spécialistes compétents après ta chute au Tour de Bretagne l’an dernier ?
Forcément, nous n’avons pas accès à autant de soins que les professionnels. J’ai tout de même pu faire pas mal de séances d’ostéopathie. Mais ça ne passait pas. J’ai enchaîné les examens, radios, IRM, échographies, rien n’était cassé et les ligaments n’étaient pas touchés. J’ai donc pas mal douté dans la tête. Je me demandais si ce n’était pas moi qui inventait les douleurs. C’est là que j’ai rencontré deux personnes de chez Compex. À partir de là, ça a été un petit miracle. Ils ont trouvé ce qu’il se passait et j’ai pu entamer un protocole de rééducation.
De quelle manière vas-tu rebondir ?
Le vélo prend tellement de temps, d’énergie et de sacrifices qu’il est impossible de s’y adonner qu’à moitié. J’ai mon travail à côté. Je suis éducatrice spécialisée sur Lausanne où j’encadre un jeune autiste et des élèves en parascolaire. J’ai plein de projets dans la tête. Je veux profiter des choses qu’il est impossible de faire avec le vélo, faire d’autres sports. Je ne vais pas couper les ponts avec le vélo, car cela reste une passion, c’est une famille qui se crée. Je garderai une place dans le club avec les plus jeunes. Je ne serai jamais très loin de l’équipe.
Comment perçois-tu l’évolution du cyclisme féminin ?
Cela va dans le bon sens, mais il reste beaucoup de chemin à faire. J’ai tout de même l’impression que si l’on avance d’un pas, on recule de deux. On médiatise la discipline de plus en plus, c’est bien. Des structures professionnelles se créent avec FDJ-Nouvelle Aquitaine Futuroscope. Mais à côté de ça, le Tour de Bretagne et la Route de France disparaissent alors qu’il s’agit d’épreuves majeures du calendrier français. Il y a un paradoxe par rapport à cela en France où l’on n’a pas encore trouvé la méthode pour développer le cyclisme féminin.
L’avenir du cyclisme féminin passe-t-il par des structures affiliées aux équipes masculines ou totalement indépendantes ?
L’association à des équipes pros masculines pourrait être un levier pour le cyclisme féminin pour bénéficier des mêmes conditions au niveau matériel. Je ne pense pas que cela coûterait beaucoup d’argent aux équipes masculines. Quand on compare les budgets des équipes masculines et féminines, on constate un écart phénoménal. Il ne faudrait pas grand-chose pour donner de l’élan à ce sport.
Lorsque l’on évolue dans une équipe sponsorisée par BioFrais, apporte-t-on un soin tout particulier à la diététique ?
Forcément, quand on arrive à haut niveau chaque détail compte, notamment pour les grimpeurs. La morphologie fait beaucoup, mais la diététique, c’est le petit plus qui fait la différence. On ne peut pas négliger ce point-là. Il y a l’entraînement, le repos et l’alimentation. Je n’avais pas de secret. Je ne suis pas dans la mode sans gluten ou vegan. Je suis pour manger de tout, équilibré tout en continuant à me faire plaisir. Ce n’est que du vélo et il y a plus important dans la vie.
Les méthodes d’entraînement sont elles semblables et aussi scientifiques que chez les hommes ou travaille-t-on encore à la sensation ?
A très haut niveau, c’est exactement la même chose que les hommes avec la même rigueur. Mais quand on ne fait pas que cela, comme 99% du peloton français féminin, on a un programme plus ou moins défini, à adapter en fonction du travail et de la fatigue engendrée par ce qui se trouve autour. Sans ligne de conduite, on finit par se perdre et à vouloir trop faire, on finit par se brûler les ailes. De plus en plus de filles ont un entraîneur personnel. J’avais la chance d’être dans un club où des personnes étaient compétentes pour cela.
La Course by le Tour changera de cadre et passera des Champs-Elysées à l’Izoard. Quel regard portes-tu sur ce changement ?
Pour y avoir participé, c’est une épreuve à part. Le cadre est prestigieux. Ça donne une bonne image du cyclisme féminin. Pour l’Izoard, il est encore difficile de se prononcer. Je préfère attendre de voir avant de porter un jugement. Je pense néanmoins que ce n’est pas assez révélateur du niveau international féminin. Ce sera une épreuve très courte, 70 kilomètres, mais ce sera très difficile et mythique avec l’Izoard. Je pense cependant que les retombées médiatiques étaient meilleures sur les Champs-Elysées.
N’aurait-il pas fallu évoluer vers un format de course par étapes avec trois étapes sur deux jours ?
Pourquoi pas. Une épreuve sur plusieurs jours regroupant différents types d’étapes, susceptibles de réussir à plusieurs profils, pourrait être intéressante. Il faut aller étape par étape. On n’arrivera pas à créer un Tour de France féminin tout de suite. Mais petit à petit, on peut arriver à une formule qui soit satisfaisante pour tout le monde.
Remerciements à Christelle Chaumontet et Stéphane Cognet.