Marion, comment s’est effectué ce montage pour que tu sois au départ du Giro Rosa ?
L’hiver dernier j’avais pris contact avec quelques équipes pro mais la saison des transferts était close. En mai, j’ai relancé quelques équipes pour simplement faire un essai sur des courses UCI car j’avais quelques week-ends de libres dans l’été. L’équipe Servetto Stradalli AluRecycling m’a proposé de se rencontrer à Sestrières pour un petit test qui a été concluant et m’a proposé de participer au Giro Rosa. Je n’en demandais pas autant ! Mais face à une proposition comme ça, je n’ai pas tardé à prendre mes dispositions au niveau de mon travail pour y participer !!
Tu espérais, un jour, faire ce genre de course ?
Pas du tout ! Tout s’est passé très vite. Il y a 2 ans, j’attaquais tout juste le vélo de route en compétition et n’osais même m’aligner sur les courses UFOLEP en GS. Mon club, la Roue d’Or Sanaryenne, m’a poussé à participer à ce genre de course et j’y ai vite pris goût. Partant de rien, ma progression a été très rapide et je me suis très vite retrouvée à participer à des Coupes de France et Championnats de France. Mon niveau étant correct et mon compagnon Rémi Chenu m’a mis en relation avec le milieu professionnel. J’ai eu l’opportunité de participer au Tour de l’Ardèche Feminin (UCI 2.2) avec l’équipe Lares Waowdeals et encore mieux au Giro Rosa avec ma nouvelle équipe Servetto Stradalli AluRecycling.
Comment as-tu évolué physiquement sur une course par étapes de 10 jours ?
Ayant signé mon contrat avec mon équipe trois semaines avant le Giro, je n’ai eu que très peu de temps pour me préparer et m’habituer à mon nouveau matériel. En effet, je planifiais de participer aux championnats de France UFOLEP et championnats du monde UCI Granfondo qui sont seulement des courses d’un jour et de petite distance. J’arrivais tout de même en forme avec un bon résultat sur le championnat de France FFC Élite à Mantes-la-jolie le week-end d’avant. N’ayant jamais couru à un niveau WorldTour, dès la première étape en ligne, j’ai compris que cela allait être dur ! J’avais l’habitude de rouler à une trentaine de km/h en moyenne sur les courses cyclosportives, et ça m’a fait drôle de me retrouver à plus de 45 km/h de moyenne sur le plat et à devoir gérer un peloton de 170 filles entassées les unes sur les autres. Je suis plutôt une spécialiste des cols, mais j’arrivais sur les difficultés trop entamée pour donner tout ce que j’avais dans le ventre ! En début de Giro, les jambes ne se portaient pas si mal au vu des étapes de la veille, grâce aux massages j’imagine. Mais le plus dur a été au bout de 5-6 jours, quand le corps s’épuise et qu’on ne voit plus trop le bout du tunnel. Je me levais le matin avec la tête qui tournait et parfois je prenais le vélo encore dans cet état ! J’ai compris qu’il fallait manger encore plus et je me suis retrouvée finalement pas trop mal le dernier jour, en signant ma meilleure place (66ème).
Tu es sans doute parmi les trois meilleures filles sur les cyclos en France, quelle est la principale différence avec ce haut niveau féminin ?
La différence…c’est que ça va encore plus vite ! Les filles à ce niveau ont beaucoup plus de puissance que les cyclos. J’ai vite compris à chaque relance qu’il fallait que je descende une dent de plus que d’habitude pour suivre le rythme. De même, sur le plat, quand ça visse à plus de 50 km/h, je me retrouvais à mouliner à 120 tours pour suivre le rythme car je n’avais pas la puissance suffisante pour descendre une dent ! Je sais ce qu’il va falloir que je travaille !
Comment sont acceptées les « petites équipes » et les filles moins connues dans ce peloton ?
Je ne pense pas qu’il y ait une discrimination vis-à-vis des petites équipes. Peut-être un peu de désintérêt de la part des autre, mais sur le vélo, quoi qu’il arrive, il faut se faire sa place et jouer des coudes !
Quelle est l’étape où tu as le plus souffert ?
Difficile de trouver une seule étape où j’ai le plus souffert car elles ont été nombreuses à faire mal ! Je pourrais citer l’avant-dernière étape avec le final au Zoncolan. Je suis partie sur la course dans un état de fatigue avancé, les portions plates étaient encore parcourues à 45 à l’heure, puis nous nous sommes pris un orage dantesque avec une visibilité à un mètre, plus de freins… Et enfin, le terrible Zoncolan avec des pentes à 20% qui ne finissent jamais. Le soir j’ai bien dormi !
Et celle où tu t’es fait le plus plaisir ?
L’étape où je me suis fait le plus plaisir est celle de Corbetta, le troisième jour. A l’opposé de mon domaine de prédilection, il s’agissait d’un circuit tout plat de 15 km à parcourir 8 fois. Nous passions donc plusieurs fois dans la magnifique ville de Corbetta joliment décorée pour l’occasion, les spectateurs étaient au rendez-vous et le fait de connaître le circuit était plus sécurisant vis-à-vis des chutes et cela m’a permis de rester placée aux avant-postes et ainsi de ne pas subir la course.
Quel était ton braquet sur le Zoncolan, et est-ce ta montée la plus difficile jusqu’à présent ?
Nous avons abordé le Zoncolan avec des braquets de 34×28. Nous n’avions pas plus gros contrairement à certaines équipes en 34×32. Il est certain que ces quelques dents m’ont manqué. En effet, il y a environ 8 km à plus de 15% et de long passage à plus de 20%. Les voitures étaient interdites, seules les motos avec un mécano et un vélo de rechange sur l’épaule pouvaient monter. J’ai vu plusieurs motos se tomber dessus, tomber sur des coureuses ou même être en panne tellement c’était raide ! J’ai fait la montée à une cadence de 40 tours par minutes à 6km/h, en zigzaguant pour aplanir un peu la montée ! J’ai pris mon mal en patience et attendu que ça passe ! Il s’agit en effet de la montée la plus dure que j’ai jamais faite ! De tels pourcentages aussi longtemps sont extrêmement rares ! Il n’y a pas un replat pour reprendre son souffle et aucun braquet n’est vraiment adapté à de telles pentes. En plus de la difficulté de la montée, je suis arrivée après neuf jours de courses avec plus rien dans les jambes ce qui n’a pas aidé mon ascension !
Est-ce que ce Giro est une expérience qui te donne envie de franchir le cap du professionnalisme ou préfères-tu continuer dans la voie « loisir/ vie active » que tu as choisie ?
Oui cette expérience me donne envie de persévérer au moins l’année prochaine car je sais que j’ai une marge de progression. Je pourrais ainsi voir mon niveau et découvrir les grandes courses WorldTour. Je vais donc plutôt continuer dans la voie « vélo pro + vie active » car les salaires ne sont pas suffisants pour en vivre. Mon emploi du temps risque d’être chargé !
Dirais-tu, à partir de ton expérience, que dix jours c’est le format idéal pour un Tour féminin ?
Pour moi, les dix jours de courses ont été un peu longs mais je n’avais pas la préparation adéquate. Le niveau étant au-dessus de mes courses habituelles, j’ai accumulé énormément de fatigue et j’étais bien contente de m’arrêter après dix jours de courses ! Mais pour les filles réellement professionnelles, je pense que cette durée est nécessaire pour faire la différence entre elles et assurer un beau spectacle. Un Tour de France de trois semaines me parait trop long ! Je pense qu’il y a un tiers du peloton qui tiendrait le coup, et avec la fatigue la course serait moins dynamique et intéressante.
Au plan logistique, comment étiez-vous traitées ?
Nous avons fait pas mal de route ! Pendant six jours, toutes les équipes étaient logées dans un grand hôtel vers Milan et nous rayonnions autour avec 1h-1h30 de route matin et soir. Puis nous avons eu plusieurs transferts de 4h de route. Ça ne laissait pas beaucoup de temps pour dormir ni pour les massages, que nous finissions parfois à 22h ! A la frontière suisse, nous avons fait quelques petites auberges sympas où nous avons très bien mangé ! Après au niveau logistique sur les courses, ce n’était pas toujours l’idéal pour des petites équipes comme la nôtre qui ne disposait pas de bus. Nous n’avions pas toujours le confort d’avoir des toilettes et douches à disposition, de pouvoir se changer tranquillement ou même d’attendre le départ de la course à l’abri de la chaleur. De même, avec un staff réduit, il était très difficile de se ravitailler en eau pendant la course alors que d’autres équipes « prenaient leur douche » avec des bidons frais !!
Quelle va être la suite de ta saison ?
Il n’y a pas de courses UCI prévues en août, donc je m’entraînerai sur des courses FFC vers chez moi et quelques cyclosportives pour le plaisir. Puis le prochain objectif sera le Tour de l’Ardèche Féminin mi-septembre.