Ton poste n’est pas très répandu chez la gente féminine dans le monde du cyclisme. A ta connaissance, y a t-il d’autres femmes chauffeur de bus ?
Oui, en effet, il y a les deux sœurs Linda et Vanessa Cossard, Linda était chez la FDJ mais est désormais chez Trek Segafredo, c’était elle la première. Désormais, chez la FDJ, c’est sa sœur Vanessa. Il y a également Carina chez Bora, et moi-même chez Cofidis.
Avez-vous une relation particulière entre vous ?
Non pas forcément, quel que soit le poste occupé par les femmes, qu’elles soient masseuses, kiné, chauffeur ou médecin, on se côtoie, on se respecte et cela se passe très bien., aussi bien qu’avec les hommes.
Étais-tu masseuse avant d’être chauffeuse de bus ?
Oui en effet, j’étais masseuse dans une équipe amateur et pour passer dans le monde professionnel j‘ai dû passer mon permis transport en commun pour accéder plus facilement à ce poste. J’ai également mon permis poids lourd depuis 2012.
Cela t’arrive t-il de conduire le bus puis d’enchaîner avec des massages ?
Oui, cela m’arrive de conduire, de masser, de m’occuper du linge et de la collation si le cuisinier n’est pas là.
Si je devais décrire une journée type, je dirais qu’on se donne rendez-vous à 8h pour le petit-déjeuner et on finit aux alentours de 21h30/22h selon la longueur du transfert que l’on doit faire après la course entre l’arrivée de l’étape du jour et l’hôtel.
Penses-tu que la parité numérique entre hommes et femmes chauffeurs de bus tend à arriver ?
Je pense que cela restera quand même un milieu avec une majorité d’hommes parce que c’est déjà difficile en tant que femme d’oser s’imposer dans la famille des chauffeurs de bus, oser passer les permis et en avoir les capacités. Cependant, je pense que c’est accessible aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
Est-ce que les hommes t’ont tout de suite intégré la première fois qu’ils t’ont vu au volant du bus ?
Cela s’est bien passé, c’est très bien perçu, également par les coureurs, car on a tendance à avoir une conduite plus souple. D’autre part, nous sommes des assistantes avant d’être des chauffeurs donc ils nous connaissent déjà. En plus, j’entends souvent des commentaires très sympathiques des spectateurs que je croise sur le bord des routes. Enfin, si j’ai besoin, je sais que je peux demander de l’aide aux autres chauffeurs, il n’y a pas de problème, mon poste est très bien accepté.
Tu parles d’instinct maternel, cela te sert-il au quotidien ?
Oui effectivement. Quand les coureurs rentrent de course et qu’ils se sentent mal ou qu’ils sont frustrés, il faut les laisser retomber en pression mais pendant les massages, les confidences arrivent et cela leurs fait du bien de discuter, y compris d’autres choses que de la course. Les sujets de conversation sont différents parce que je suis une femme.
Que penses-tu de la suppression des bises des hôtesses du Tour Down Under et de la Vuelta ? Quel est ton point de vue de femme concernant ce débat ?
Je trouve cela dommage. Mettre des miss sur le podium, c’est une tradition et c’est une sorte de récompense pour le vainqueur d’être quelques secondes aux côtés de jolies femmes qui sont belles à regarder. Je trouve qu’on fait une grosse marche arrière, car enlever les femmes d’un milieu où elles essaient justement de rentrer et où elles essaient d’apporter une touche de féminité dans un monde majoritairement masculin, c’est très dommage pour les coureurs et pour les spectateurs.
Tu as 28 ans, tu as forcément une vie personnelle, avec beaucoup de déplacements. Comment imagines-tu ton futur en tant que femme ?
C’est une question que je me pose régulièrement et j’en ai déjà parlé avec les autres chauffeurs de bus femmes. A quel moment vais-je m’arrêter ? Est-ce que je vais m’arrêter ? Nous sommes des passionné et devoir mettre un terme à cette vie ce n’est pas simple.
Il n’y a pas de femmes mécaniciens dans les équipes, qu’en penses-tu ?
Je pense que c’est une question de goût et que les femmes n’ont pas forcément envie de passer leur journée avec du noir partout sur les mains, mais qu’elles en seraient tout à fait capables car il faut être méticuleux.
Concernant les cuisiniers, il y a beaucoup d’hommes, mais il y a désormais quelques femmes, par exemple chez Bora, c’est une cuisinière. Je pense que le véritable problème de ces métiers-là, c’est le manque de disponibilité des femmes. Il faudrait être intéressée, célibataire et sans enfant pour assurer de tels postes. Il faut trouver du temps et c’est là que cela devient compliqué. Il y a de plus en plus de femmes dans le milieu du cyclisme et cela évolue, j’espère que d’autres femmes vont nous suivre !
Mathilde Duriez, Vélo101