Martine Cano, vous avez été élue à la tête de la Fédération Française de Cyclotourisme en décembre dernier. Comment votre parcours s’est-il construit auparavant ?
J’ai une formation de linguiste avec une agrégation d’allemand, un doctorat de littérature germanique et j’ai fait carrière dans l’Education nationale au lycée et à l’université. J’ai adhéré à la FFCT en 1969, et j’ai toujours pratiqué depuis, en club, en famille, avec des amis. Cela fait partie de ma vie. La participation à un voyage itinérant pour les jeunes m’a donné envie d’en savoir davantage et je me suis rapidement investie dans la formation. Avant d’envoyer spontanément quelques écrits à la fédération, j’ai été sollicitée à la fin des années 80 pour intégrer l’équipe de rédaction de notre mensuel Cyclotourisme. À compter de ce moment, j’ai toujours participé à une ou plusieurs commissions fédérales. J’ai été élue au comité directeur en décembre 2001 puis je suis devenue vice-présidente fin 2009 et présidente en décembre dernier.
Combien de présidentes de fédérations êtes-vous en France ?
En 2010, il n’y avait que cinq femmes présidentes pour 121 fédérations. En 2014, elles étaient quatorze. Aujourd’hui, nous devons avoisiner la vingtaine, ce qui reste très minoritaire.
Comment l’expliquez-vous ?
Il y a sans doute encore des stéréotypes. Les femmes ont été longtemps cantonnées au rôle de secrétaire. Et les freins familiaux, notamment lorsque les enfants sont jeunes, existent encore. Beaucoup considèrent encore que monsieur pédale pendant que madame garde les enfants et prépare le repas. Cela a heureusement tendance à s’estomper. La société évolue aussi. Il y a trente-quarante ans, une ou des femmes effectuant un voyage à vélo sans être accompagnées par des hommes, cela était suspect. Nous étions regardées un peu de travers à l’époque. Aujourd’hui, cela devient banal. Même s’ils s’en défendent, il y a encore quelques machistes parmi les hommes. Mais les femmes ont tendance à s’affirmer et elles sont de plus en plus nombreuses à prendre des responsabilités, notamment dans les clubs et les structures départementales. Au niveau régional, il n’y a, à ce jour, que deux femmes présidentes, en Pays de la Loire et Île-de-France.
Au sein de la FFCT quelle est la proportion de licenciées femmes ?
La proportion s’établit à environ 18 % et reste stable depuis quelques années alors que pour certaines manifestations, notamment la semaine fédérale, elle est de 45 %. Il y a bien plus de femmes qui font du vélo, mais souvent elles hésitent à franchir le pas et à rejoindre un club.
Quelles sont vos actions pour les attirer ?
En 2012, une grande action « Toutes à vélo » a été menée, avec plus de 3000 femmes rejoignant la capitale au terme de voyages à vélo de trois à dix jours selon le lieu de départ. À Paris, elles étaient plus de 5000 à pédaler devant les monuments les plus prestigieux. Nous avons renouvelé cette action en 2016 en convergeant vers Strasbourg et bientôt nous dévoilerons le rendez-vous de 2020. Ces initiatives ont été démultipliées dans les départements où sont organisés de nombreux voyages réservés aux femmes qui aiment à se retrouver entre copines et prennent ainsi confiance en leurs possibilités.
On voit que le terroir français, le Tour de France attirent le monde entier. Comment intégrez-vous cette donne nouvelle ?
Notre site veloenfrance.fr propose plus de 3000 itinéraires téléchargeables gratuitement avec des traductions en anglais, allemand, néerlandais et espagnol. Les touristes à vélo des autres pays aiment certes les sites rendus célèbres par le Tour de France comme les grands cols alpins ou pyrénéens ou encore les sites reconnus par l’Unesco et incontournables du tourisme comme le Val de Loire et ses châteaux pour ne donner qu’un exemple. Toutefois, nos clubs ont à cœur de faire également découvrir des sites moins connus, de petites routes tranquilles qui révèlent parfois de belles surprises. Les amoureux de montagne connaissent l’Alpe d’Huez, mais pas forcément la vallée de La Bérarde. Sur la côte Atlantique, il n’y a pas que les îles sur-fréquentées en été, un petit détour par Talmont-sur-Gironde offre ainsi une échappée fort agréable. On pourrait ainsi multiplier les exemples.
Côté sport-santé, quelles sont les actions que vous entendez mettre en action le plus vite possible ?
Nous venons de lancer en février une grande campagne « Offrez du vélo à votre santé » avec des conseils santé pour nos clubs, mais aussi le grand public et notamment un jeu qui permet de gagner un stage sport-santé que nous organisons dans notre centre national basé en Auvergne, « Les 4 vents ». Le médecin fédéral, Yves Yau, est intervenu l’an dernier dans le magazine de la santé pour expliquer les bienfaits du vélo sur notre santé et nous avons chaque mois une rubrique dédiée dans la revue Cyclotourisme. Le site de la FFCT dispense également des conseils et notre commission sport-santé multiplie les réunions de sensibilisation dans les régions. D’autres actions plus personnalisées vont progressivement se mettre en place pour compléter ce dispositif.
Le monde du vélo est particulièrement divisé entre les différentes fédérations. Un devoir de rassemblement s’impose-t-il pour mener à bien des actions avec plus d’efficacité ?
Cela serait possible si chacun avait les mêmes objectifs, mais actuellement les intérêts sont différents. Certains ne pensent que pratique urbaine, d’autres que pratique sportive, ou que voies réservées. Mais il n’y a pas le cycliste des villes et le cycliste des champs, notre pratique est plurielle. Un voyageur traverse des villes, un usager quotidien qui va au travail à vélo aime aussi aller se mettre au vert pendant ses congés et pédaler en campagne. Il faut voir les choses de façon globale. Le comité de promotion du vélo regroupait toutes les associations actuelles. Il est regrettable qu’il n’existe plus et ne soit plus le lieu où nous pouvions justement exprimer de manière commune toutes les tendances actuelles du vélo en France. Quoi qu’il en soit, la Fédération sera toujours moteur afin d’encourager des actions regroupant l’ensemble des acteurs du vélo et continuera de jouer son rôle fédérateur pour permettre le développement du vélo en France.
Si vous étiez ministre des sports, quelles seraient la ou les premières mesures que vous prendriez en faveur du vélo ?
Le ministre des sports pense d’abord pratique sportive, mais il y a aussi la politique des transports, la politique de la ville, l’aménagement du territoire qui sont concernés. Si j’en avais le pouvoir, je souhaiterais généraliser le transport des vélos dans les trains et les cars afin de favoriser l’inter-modalité, nous avons de grands progrès à faire en ce domaine par rapport à nos voisins européens. Cela implique également davantage de parkings sécurisés pour les vélos. Comme on peut le voir dans d’autres pays, on pourrait rendre les vélos prioritaires sur les ronds-points, source de danger importante pour les cyclistes et supprimer toutes les chicanes et autres obstacles soi-disant destinés à augmenter la sécurité, mais qui ne font qu’apporter des écueils supplémentaires sur nos routes et pistes cyclables. Quand on a pédalé dans les pays nordiques ou en Europe centrale, on voit que nous avons une grande marge de progression. On pourrait également imaginer, plutôt que de subventionner les vélos à assistance électrique, une baisse de la TVA sur tous les vélos. On a su le faire pour inciter les habitants à isoler leurs logements, ce serait un signe fort que de les inciter à changer de mode de transport.
Votre population, comme tout le vélo en général, possède une moyenne d’âge plutôt élevée. Comment attirer les plus jeunes couches de population ?
Il est vrai que les enfants font souvent une pause lorsqu’ils deviennent adultes, fondent une famille et ne reviennent vers une pratique régulière que tardivement lorsqu’ils sont plus disponibles. Mais le stress de la vie moderne rend la pratique de plein air nécessaire. Parallèlement à nos randonnées habituelles, nous allons proposer des défis sous forme de raids pour retrouver un peu la notion d’aventure que beaucoup recherchent aujourd’hui. Nos écoles de cyclotourisme rencontrent un véritable succès auprès des jeunes qui sont friands de cette activité diversifiée. Notre souhait serait d’augmenter plus largement le nombre de ces écoles qui est de 350 actuellement et pas assez pour répondre à une demande réelle.
Le succès de la semaine fédérale vous incite-t-il à organiser d’autres grandes manifestations ?
Moins connus que la semaine fédérale et ses 12 à 15 000 participants, nous proposons chaque année des grands rendez-vous organisés lors des week-ends prolongés du printemps. Le prochain aura lieu à Pâques dans le village gardois de Vénéjean. Les rencontres pascales lancent traditionnellement la saison, toujours dans un village de Provence, et cela depuis 1924 ! Ces week-ends ne rassemblent « que » 1500 à 2000 personnes, mais il faut prendre en compte qu’il est difficile d’obtenir les autorisations pour ces manifestations. En automne, les Roc’h des Monts d’Arrée constituent le must en matière de VTT et drainent plus de 6000 fans des sentiers. Nous avons les Vertes Tout-Terrain qui regroupent les passionnés du VTT dans une dizaine de régions différentes. Et puis il y a aussi les Cyclomontagnardes, les rendez-vous dans les massifs montagneux avec des programmes adaptés sont aussi un moyen pour découvrir la pratique dans des sites connus.
Vous exposerez au Paris Bike Festival en mai prochain. Pourquoi ?
Nous serons effectivement partenaires de ce nouvel évènement en formant le vœu que cela devienne vraiment une manifestation phare pour la promotion du vélo en France. La disparition du salon du cycle est totalement anachronique dans le contexte actuel où tout le monde parle du vélo sous toutes ses formes et de toutes les valeurs qu’il peut apporter aux pratiquants dans les domaines évoqués ci-dessus. Il serait bien que cette initiative se pérennise sous une forme originale et axée à la fois sur les matériels, mais aussi sur toutes les formes de pratiques. Qu’il s’agisse de sport, de tourisme, de pratique urbaine, familiale, de loisir, d’activité thérapeutique, voire ludique pour les plus jeunes etc. La marge de progression est très importante en France et il faut répondre à toutes les demandes, proposer toutes les possibilités qu’offre le vélo et que beaucoup de nos concitoyens ignorent encore.
Comment voyez-vous la FFCT à l’échelle 2030 ?
2030 c’est loin et déjà demain. Aujourd’hui les associations, les spécialistes et beaucoup d’élus dans nos collectivités évoquent le vélo. On peut souhaiter que la transition énergétique ait avancé, ce qui sera bénéfique à la santé de tous. Le nombre des cyclistes en général aura doublé, la circulation urbaine sera plus apaisée, et le rôle des fédérations sera renforcé. La FFCT a déjà publié une charte cyclable, un livre blanc sur les aménagements dangereux, nous sommes investis à la fois dans le tourisme, l’aménagement des territoires et la pratique sportive : nous souhaitons que ces différentes composantes soient reconnues pour ne plus subir les décisions, mais être un interlocuteur associé et incontournable.