Edwige, tout d’abord félicitations pour ta victoire. On aurait pu imaginer te voir hier dans le Ventoux à l’occasion du Tour Cycliste féminin international de l’Ardèche; qu’est ce qui explique que tu aies fait le choix de venir sur la Ventoux Sud ? La perspective des Championnats du Monde?
« Oui c’est dû aux Championnats du Monde, et parce que je participerai au contre-la-montre par équipes dimanche prochain. Nous partons mercredi pour l’Autriche pour faire une petite préparation de cinq jours et comme Le Tour de l’Ardèche se terminait mardi ce n’était pas compatible. »
Le parcours de la Ventoux Sud est plutôt bien adapté pour les deux types d’efforts qu’il y aura aux Mondiaux, pas trop de dénivellation et des parties plates où on peut envoyez-les watts…
« Oui. J’ai déjà fait un chrono hier (samedi 15 septembre, ndlr) dans l’optique des Mondiaux et l’épreuve d’aujourd’hui (dimanche 16 septembre, ndlr) était plus dans la prévision de la course en ligne. Sur ce week-end on a fait un jour pour chaque course. »
Tu n’as pas poussé la curiosité jusqu’à aller voir les filles du Tour de l’Ardèche lors de l’arrivée au Mont Serein?
« (rires) Je ne pouvais car j’étais dans l’Ain pour préparer le chrono par équipes. »
Edwige Pitel
Une cyclosportive n’est pas complètement révélatrice, mais ton résultat est malgré tout un signe de bonne forme. Qu’en penses-tu?
«Je m’estime dans un état de forme correct. Il y avait trois « vraies bosses », je ne me suis pas ménagée dans ces parties et entre deux j’ai beaucoup roulé pour faire des efforts supplémentaires par rapport à Innsbrück. Si je suis venue ici c’est parce que cette cyclo faisait 145 kilomètres avec près de 2200 mètres de dénivelé positif et qu’il y aura 160 kilomètres et 2400 mètres de dénivelé aux Mondiaux. C’est à peu près les mêmes chiffres, même si ce n’est pas réparti de la même façon. A chaque fois que je cours avec les garçons sur des cyclosportives, si je m’accroche dans le groupe de tête je sais que je ferai des efforts au dessus de mon seuil. C’est toujours un bon exercice en terme de préparation pour les courses féminines. »
« L’objectif est d’être au moins dans les cinq premiers »
Comment juges-tu le potentiel de ton équipe pour le contre-la-montre par équipes d’Innsbrück?
« On ne sait pas trop. On sait juste qu’il y aura un avion avec nous: Olga Zabelinskaïa. Concernant les autres filles, je n’ai pas couru avec elles. Dans mon équipe (Cogeaos, ndlr), il y a une certaine stratégie pour placer à chaque fois quatre russes par chrono, c’est la règle chez nous. Du coup je me suis retrouvée à ne pas faire de chrono de préparation avec les filles avec lesquelles je vais courir. Ça s’est décidé au dernier moment que je participe à cette épreuve, rien n’était sûr. Je vais les voir la semaine prochaine (cette semaine, ndlr), et on aura quatre ou cinq jours pour s’adapter. Par contre, j’ai vu qu’elles ont fait une super performance à Madrid où elles ont terminé cinquième. L’objectif est d’être au moins dans les cinq premiers aux Mondiaux. L’apport d’Olga Zabelinskaïa sur un parcours long peut nous avantager. On verra l’homogénéité qu’on pourra mettre dans le groupe. »
As-tu déjà étudié le parcours de ces Mondiaux?
« Non. Ça s’est décidé il y a seulement une semaine pour moi. Je verrais ça jeudi sur place (aujourd’hui, ndlr). Je m’étais vraiment concentrée sur la «route» où là je ne me suis pas contentée de la vidéo, je suis allée voir sur place directement. Je pense que c’est un tracé assez roulant. Mon objectif sera d’être le plus homogène possible et si je peux apporter mon aide jusqu’au bout, je le ferai.»
Vois-tu ta sélection comme une « revanche » par rapport à tout ce que tu as « subi » vis à vis de l’équipe de France?
« Non. Je suis soulagée que la nouvelle équipe revienne sur des sélections centrées sur la performance. C’est pour cette raison que je suis de nouveau intégrée. Evidemment j’ai beaucoup souffert les quatre dernières années d’avoir été évincée sur des critères qui n’étaient pas sportifs, non justifiés et qu’on ne m’a même pas justifié. Je suis soulagée d’être de nouveau dans l’équipe. C’est une normalité et non une revanche car ce n’est plus la même équipe qui est en place et ça ne rattrapera pas le mal qu’il m’ont fait, la principale blessure étant de ne pas avoir fait les Jeux Olympiques en 2016. Ça reste une blessure profonde. Je suis très contente d’être à Innsbrück, très contente de la saison que j’ai fait avec une partie aux Etats-Unis pour être sur certaines coures qui me tenaient à coeur – l’année dernière je n’avais pas pu y aller suite à une chute, j’ai pu rattraper ça – j’ai pu faire la Course by Le Tour grâce à Cogeas et je ne les remercierai jamais assez pour ça…»
« La troisième étape cette saison, c’est Innsbrück. Je me suis préparée pour ça »
Edwige Pitel avec la Cogeas-Mettler – juillet 2018
Tu penses que c’est là que tu as gagné ta sélection, lors de La Course by le Tour?
« Pour l’équipe de France, probablement. Je sais que mes performances aux Etats-Unis les avaient déjà interpellées, mais c’est clair que j’ai marqué des points en faisant 15ème et première Française sur la Course by Le Tour. Ils ont vu qu’ils pouvaient me faire confiance, que j’étais toujours là, toujours présente dans les bosses… A l’international on ne m’avait pas trop vue comme je ne pouvais plus courir. Autant dans les cyclosportives tous les garçons connaissent mon niveau et savent que je suis toujours présente mais je n’avais pas forcement l’occasion de le montrer sur la scène internationale. La Course by le Tour était à double enjeu: montrer ma forme à la fédération et me faire plaisir sur une course qui me correspond et que je rêvais de faire. C’était un crève-coeur de ne pas avoir pu y participer l’année dernière. Derrière mon écran, j’avais trouvé ça magnifique entre l’engouement populaire, sportif, médiatique, les beaux décors… tout est réuni pour faire une superbe course et j’avais envie d’y participer. Cette année, j’ai pu la faire, c’était la deuxième étape, la troisième étape cette saison, c’est Innsbrück. Je me suis préparée pour ça. Cette année ça s’est déroulé comme je l’espérais.»
Tu as repéré in situ le circuit; que t’inspire-t-il, que peux-tu en dire?
« La descente de la grande boucle pour les féminines n’est pas dure. Mis à part un ou deux virages où il faut faire attention, elle n’est pas très technique. Ça sera plus difficile dans la ville où il faudra faire attention à ne pas prendre des cassures bêtement. On sera sur le plat, il faudra pédaler davantage. Il y a aussi un petit « pétard » dans la ville qui va faire mal. Les difficultés seront dans les montées. Les garçons emprunteront une descente qu’il n’y aura pas sur le circuit féminin, autant chez eux des écarts pourraient se faire dans cette partie, mais pas chez les femmes.»
A titre de curiosité, quel braquet penses-tu mettre sur un circuit comme celui-là?
« Bonne question ! Je n’ai pas encore tranché. J’avais fait la « reco » avec un certain braquet me disant que ça serait celui-ci que je prendrai, puis je suis retournée faire le parcours avec un braquet un peu plus gros, et lors d’exercices je me suis dit que c’était même encore trop petit… Je ne sais pas encore. Si il n’y avait qu’une seule bosse je partirai avec un braquet « normal », c’est la répétition qui va être difficile. Faut-il mettre un braquet plus petit pour s’économiser ou un braquet normal? Je n’ai pas encore tranché.»
Et sur tes reconnaissances, tu mettais quel braquet?
« (rires) Je ne vais rien dire avant pour ne pas donner d’infos aux adversaires.»
Tu parlais d’une nouvelle dynamique au niveau de l’équipe. Comment appréhendes-tu les choses avec les autres filles?
« Honnêtement je pense qu’il y a eu des tensions avec ce qui s’est passé car les sélections n’étaient pas uniquement faites sur le plan sportif. Certaines qui m’ont vu revenir dans le jeu pour Rio, alors qu’elles croyaient que j’étais « éliminée », l’ont plus ou moins mal pris… Maintenant, tout le monde savait qu’il n’y aurait pas d’ambiguité sur le plan sportif avec Paul Brousse. Au fond d’elles-mêmes elles savent très bien que ce n’est pas juste ce qui m’est arrivé. Je pense que ça va revenir à la normale comme ce l’était il y a trois ou quatre ans. Il n’y avait aucun problème avec ces jeunes que j’ai vu grandir, on avait de très bonnes relations, ça se passait très bien jusqu’à ce qu’on m’élimine sur un plan non sportif. J’espère que ça reviendra à la normale comme ça l’était avant, il n’y a pas de raison.»
« Si je continue, ça ne sera que pour les Jeux Olympiques.»
Certaines études disent que les femmes sont vraisemblablement plus endurantes que les hommes, c’est ce qu’on constate dans certaines disciplines. Penses-tu qu’une femme peut durer plus longtemps dans sa carrière qu’un homme?
« La densité moins grande chez la femme permettrait plus cela. J’ai lu ces études qui disent que les femmes sont plus endurantes, mais je ne crois pas que la raison soit là. Les hommes sont professionnels très jeunes, à 18 ou 19 ans, font une carrière de 10 ou 15 ans et passent à autre chose. Il y a toujours des exceptions qui vont jusque 40 ou 45 ans. Chez les femmes il faut dire que c’est aussi rare. Les filles performantes ont une moyenne d’âge de 30 à 35 ans. Si on regarde les athlètes performantes en contre-la-montre, elles ont ces âges-là. Aux Jeux Olympiques de Rio, c’est Kristin Armstrong qui gagne le chrono à 43 ans, et les filles derrière avaient toutes la trentaine. Il y a aussi un certain nombre de filles qui ont fait autre chose avant et sont devenues professionnelles après. Tandis que chez les garçons, si tu n’es pas professionnel très jeune tu n’as pas de carrière possible. Chez les filles, il y a toujours une possibilité de rentrer plus tard dans le jeu. Ça va évoluer je pense. Plus les filles iront vers le même système que les garçons avec un professionnalisme exacerbé, plus elles arrêteront tôt. Quand tu fais 15 ans de circuit, tu commences à avoir envie de faire autre chose derrière. »
Pour en revenir aux Championnats du Monde, quelles sont tes favorites, tes principales adversaires?
« Clairement, les favorites sont pour moi Annemiek Van Vleuten et Anna van der Breggen avec derrière Elisa Longo Borghini et Ashleigh Moolman. Ce sont les quatre qui se détachent. On peut peut-être rajouter Cecilie Uttrup Ludwig qui aura sa carte à jouer pour le Danemark. Ces femmes là se détachent des autres. Si je prends La Course by le Tour et l’ensemble des courses difficiles, je dirais que nous sommes quinze ou vingt à se valoir. Après ça sera la circonstance de course qui fait que tu seras cinquième ou vingtième. »
On voit chez les garçons qu’il y a souvent des débats par rapport à l’appartenance de l’équipe qui peut influencer ou influer sur le résultat. Est-ce que tu dirais que c’est quelque-chose de moins marqué chez les féminines?
« Oui, c’est clairement moins marqué. On peut se poser la question par rapport à ce qui s’est passé lors des Championnats d’Europe concernant les Hollandaises. Elles se sont emmêlées les pinceaux. Y avait-il des rivalités? Ce sont des choses que j’ai pu entendre mais je n’en suis pas convaincue. C’est la première fois qu’elles se ratent et je pense que ça sera aussi la dernière. Ça leur a servi de leçon. Quoiqu’il en soit je pense que ça joue beaucoup moins chez les femmes. Evidemment si tu te retrouves en échappée avec une fille que tu connais ça aide et c’est plus facile car il y a des habitudes, des liens. Mais de là à ce que l’une se sacrifie pour l’autre parce qu’elle est de son équipe, je n’y crois pas.»
On parlait tout à l’heure des Jeux Olympiques. Rio ça rime avec Tokyo, qu’est-ce ça t’inspire?
« (rires) On dit souvent que deux ans ce n’est pas loin, mais à mon âge c’est beaucoup. Je jongle aussi avec mon travail à côté, je ne suis pas professionnelle du cyclisme. C’est difficile de gérer tout ça. Je verrai à la fin de la saison si je décide d’arrêter. Si je continue, ça ne sera que pour les Jeux Olympiques.»
A suivre dans les prochains jours, l’interview de Pierre-Yves Chatelon