Van Vleuten – Kopecky, une opposition de style
Des Strade Bianche au Ronde van Vlaanderen, le scénario s’est répété. Dans sa coutumière attitude offensive, la néerlandaise Annemiek Van Vleuten s’est essayée, efforcée et épuisée à distancer toutes ses concurrentes, pour s’assurer un triomphe en solitaire. Cette stratégie, aussi simple que chirurgicale, ne comptait plus ses victimes ni ses succès. Deux Giros, trois Monuments et un maillot arc-en-ciel en avaient notamment été le fruit ces dernières années. Mais cette saison, la coureuse de la Movistar tombe sur un os, nommé Lotte Kopecky. En Toscane comme en Flandres, la championne nationale belge a fait preuve d’une éblouissante résistante dans la roue de sa rivale, résistant mont après mont pour renverser la tendance au sprint. Ce duel reprenait effectivement les grandes lignes de l’affrontement entre Tadej Pogacar et Mathieu Van der Poel, magistralement mis en scène ce dimanche autour d’Audenarde. D’un côté, le grimpeur – puncheur insatiable, aérien dans chaque bosse, imbattable dans son domaine. De l’autre, le puncheur – sprinteur, coriace et rapide, faisant de la finalité de la course le fin mot de sa stratégie.
Systématiquement battue au sprint après avoir échoué à s’échapper, Annemiek Van Vleuten semble tomber sur plus fort qu’elle | © Strade Bianche
Sur les deux premières grandes épreuves de la saison, cette opposition de style a tourné en faveur de Lotte Kopecky. À chaque fois, la belge s’est évertuée à garder le contact avec la néerlandaise, jusqu’à ce que sa pointe de vitesse puisse faire la différence. À Sienne, elle avait surpris son monde par cette vaillante résistante, tandis qu’Ashleigh Moolman, Katarzyna Niewiadoma ou Cecilie Uttrup Ludwig tombaient comme des mouches sous les accélérations saillantes de la championne olympique du contre-la-montre. Au sommet du mur, elle s’était finalement arrachée pour dépasser son adversaire et la coiffer au poteau, déboulant sur la Piazza del Campo en vainqueure. Sur le Tour des Flandres, elle a confirmé la profusion espoirs placés en elle par tout un peuple de connaisseurs désespérés par le forfait de leur coqueluche, Wout Van Aert, sur la course masculine. À l’arrivée, la native de Rumst prît la succession de Grace Verbeke, dernière lauréate du Ronde originaire du « plat pays », en 2010. Ironie de l’histoire, ces deux sacres semblent délimiter l’ère d’Annemiek Van Vleuten, d’un côté comme de l’autre.
Annemiek Van Vleuten, symbole de l’hégémonie néerlandaise
En 2011, la native de Vleuten (ça ne s’invente pas) n’était encore qu’une pépite du cyclisme néerlandais, portée par la vague d’une génération dorée, aux côtés de Marianne Vos, autre légende actuelle du cyclisme hollandais. La championne du monde en titre de cyclo-cross sortît en premier du lot au début des années 2010, constituant un palmarès affolant, fait de deux titres olympiques et de treize sacres mondiaux, toutes disciplines confondues. Quand elle disparut progressivement du haut de l’affiche, Annemiek Van Vleuten la remplaça. Depuis 2016, date de création du Women World Tour, celle-ci s’est adjugé 13 victoires individuelles au plus haut rang du cyclisme féminin. Dans ce registre, seule la néo-retraitée Anna Van der Breggen fait mieux, avec 17 bouquets. Mieux, entre 2017 et 2021, la hollandaise a remporté près d’un tiers des courses auxquelles elle a participé (27%), sans posséder une pointe de vitesse capable de la hisser aux devants d’un sprint massif. Des statistiques tout simplement monstrueuses.
Rebelotte sur le Tour des Flandres, où Lotte Kopecky a encore battu Annemiek Van Vleuten au sprint | © Ronde Van Vlaanderen
Lotte Kopecky, figure de la révolte
Or, l’hégémonie Van Vleuten semble aujourd’hui s’éroder, au même titre que celle de sa nation. Il y a bien longtemps que les Néerlandaises n’avaient semblé si peu impériales dans les moments clés de la saison. L’avènement de concurrentes étrangères, telle l’italienne Elsa Balsamo ou la belge Lotte Kopecky met sérieusement à mal cette domination outrancière. Au Women World Tour, ces deux prodiges bousculent une hiérarchie historiquement hiérarchie et s’arrogent à ce jour les deux premières places au détriment des Hollandaises, un fait inédit depuis 2018. Si la transalpine s’est emparée du leadership du classement mondial, allant de pair avec sa tunique arc-en-ciel, c’est bien la « transardennaise » qui semble bien partie pour régner sur les Monuments, tant elle possède toutes les qualités pour.
Lotte Kopecky a fait exploser sa renommée en remportant les Strade Bianche | © Team SD Works
Recrutée cette année par la SD Works, le « wolfpack » du cyclisme féminin, Lotte Kopecky a clairement pour ambition de renverser la table, pour ne plus faire de la domination néerlandaise une implacable fatalité. « A l’aise sur tous les terrains » selon ses propres dires, elle jongle encore entre la route et la piste, des disciplines parfaitement complémentaires pour exceller en classiques. Sur les deux surfaces, elle est d’ailleurs entrée dans une autre dimension en quelques mois. Championne du monde de la course au point sur le vélodrome de Roubaix en octobre dernier, elle est montée pour la première fois sur le podium de grandes classiques ce printemps. Si son couronnement n’a rien d’une surprise, s’inscrivant dans la lignée de ses succès passés sur des catégories d’épreuves inférieures, il marque l’entame d’une nouvelle vie pour la néerlandophone. Une vie de championne.
Plus qu’un passage de témoin, cette transition ouvre des perspectives records
Alors peut-on parler de passage de témoin entre Lotte Kopecky et Annemiek Van Vleuten, son aînée de 13 ans ? Sur le plan des classiques, ça y ressemble bien. Si la belge continue sur une telle forme, elle pourrait bien brasser bientôt le palmarès que la néerlandaise possède en la matière. Solide dans les bosses, impériale au sprint, la jeune femme a toutes les qualités requises pour y briller et ses récentes performantes n’en sont que l’irréfutable preuve. Si elle n’a jamais participé à Liège-Bastogne-Liège, et ne devrait toujours pas y prendre part cette saison, elle fait étal des compétences idéales pour y flamboyer, comme le fit Annemiek Van Vleuten en 2019. Mieux, avec l’apparition de Paris-Roubaix dans le calendrier féminin, Lotte Kopecky peut désormais rêver d’une course de plus dans ses cordes et va tenter d’en faire une réalité dès ce samedi 16 avril.
Lotte Kopecky domine désormais Annemiek Van Vleuten sur les podiums | © Strade Bianche
Néanmoins, à son propre aveu, la recrue du Team SD Works est encore trop limitée en montagne, et souhaite d’abord se concentrer sur les sprints en Grands Tours (Giro et Tour), qu’elle devrait enchaîner cette année. « Je n’ai encore jamais eu l’occasion de gérer le classement général d’une course à étapes. Le Tour de France sera l’occasion d’en savoir plus, mais je viserai d’abord une victoire d’étape. », déclare-t-elle ainsi à nos confrères de L’Equipe. Si la phrase est avant tout pragmatique, elle s’avère également bourrée d’ambition. Il faut dire qu’aux Jeux Olympiques de Tokyo, où le parcours s’est parfois élevé au-delà des 1000 mètres d’altitude, Lotte Kopecky s’était classée quatrième, devançant les principales grimpeuses du peloton. En témoignant de progrès considérables par rapport à ses confrontations passées à la montagne, ce résultat illustre aussi l’immensité des marges de progression dont dispose la belge. Avec l’enrichissement constant du calendrier féminin, celles-ci lui permettent désormais d’envisager un palmarès encore plus vaste et étoffé que celui d’Annemiek Van Vleuten. Avec Van Aert, Evenepoel et Kopecky, le cyclisme belge a encore de beaux jours devant lui.
Par Jean-Guillaume Langrognet