A l’occasion de la Ronde Tahitienne, dont la 3ème édition aura lieu dimanche sur la côte est de Tahiti, Vélo 101 part à la découverte du cyclisme polynésien à travers une série de reportages consacrés au vélo du bout du monde.
Il aurait été plus naturel qu’il se fascine pour le va’a, ces pirogues polynésiennes qui filent sur le lagon et pour lesquelles on se passionne dans le Pacifique. Mais Taruia Krainer n’a jamais pris goût à cette discipline élevée au rang de sport national à Tahiti, où il est né et a grandi. A Arue, dans les faubourgs de Papeete, juste au pied de la colline du Tahara’a que les cyclos de la Ronde Tahitienne graviront dimanche, le jeune homme s’est progressivement laissé gagner par une passion familiale mais beaucoup moins populaire dans les Iles de la Société : le cyclisme. « J’avais essayé plusieurs sports, dit-il. Le football, le taekwondo, le surf que je pratique toujours, mais le vélo s’est imposé de lui-même. »
C’est devant les images du Tour de France, diffusées aux premières heures du jour à Tahiti du fait des douze heures de décalage horaire avec la métropole, que s’est forgée la passion de Taruia Krainer. C’était l’époque où Jan Ullrich défiait en vain Lance Armstrong. Celle où le jeune garçon rejoignait son père dans le salon au beau milieu de la nuit pour suivre en direct la dernière heure de course. « Je me levais tous les matins à 3 ou 4 heures pour regarder les arrivées, se remémore-t-il. J’étais impressionné par la vitesse, les panoramas. Je découvrais la France. Après l’arrivée je me recouchais. C’étaient les vacances. » De là sont nés les rêves de Taruia. Le désir surtout d’imiter ces champions de l’autre face de la planète.
A 13 ans, il prend sa première licence en Minime 1 au club de Fei Pi à Arue. Bien que la pratique du cyclisme sur route à Tahiti soit réduite à la seule route de ceinture, qui fait le tour de l’île sur 130 kilomètres, on y recense dix clubs rassemblant quelques 250 licenciés. « Le vélo en Polynésie se situe à l’extrême opposé du va’a, reconnaît Taruia Krainer. Il n’y a pas beaucoup de coureurs, pas beaucoup de routes, on prend tout le temps les mêmes, ce qui ne donne pas toujours envie d’aller rouler… Une sortie d’entraînement, c’est à gauche en quittant la maison le premier jour, à droite le lendemain, et ainsi de suite. » Mais sur le vélo prêté par son oncle, un Peugeot jaune d’une vingtaine de kilos avec vitesses au cadre, le jeune Tahitien prend rapidement beaucoup de plaisir. D’autant que les résultats suivent. A la fin de ses années Cadets, alors qu’il court avec les vétérans, Taruia Krainer a déjà tout gagné sur le fenua.
Se pose alors une question fondamentale pour un jeune homme qui ambitionne d’aller plus haut. « On ne peut pas faire carrière à Tahiti, alors pour progresser j’ai décidé de venir en France. Nous avons recherché des Pôles Espoirs sur Internet et avons découvert celui de Saint-Brieuc, que j’ai intégré en 2007 en même temps que l’UC Briochine de Michel Gouédard. Quitter ma famille pour me rendre seul en métropole, c’était l’inconnue et à la fois c’était très excitant. » A 16 ans, le jeune champion de Polynésie laisse derrière lui ce bout de terre au milieu de l’océan dont la verte nature, luxuriante et généreuse, contraste avec le bleu limpide du lagon. Il rejoint pour la première fois la Bretagne, découvre des clubs structurés et s’adapte à la rigueur du climat. « Je savais ce qu’était la grêle mais je n’en avais encore jamais vue », s’amuse-t-il aujourd’hui.
Celui qui pratique la pêche au harpon dans les eaux claires du Pacifique prend alors de la caisse auprès du peloton national. Lorsqu’il rentre dans les Iles du Vent en 2010 pour y disputer le Tour de l’Amitié, l’épreuve reine en Polynésie française qu’il s’adjugera deux ans plus tard, Taruia Krainer tape dans l’œil avisé d’Henri Sannier, parrain de la course par étapes. « Je l’ai vu faire des performances extraordinaires, notamment dans les étapes de montagne, car Tahiti n’est pas une île toute plate bordée de cocotiers mais c’est très pentu », témoigne le journaliste. Et l’intéressé de confirmer : « on a effectivement des cols, du moins des routes qui montent sur les volcans éteints au cœur de l’île, parfois sur 10 bornes à 8 %, mais ce sont des voies sans issues et on ne les redescend jamais en course. » « J’ai recommandé Taruia auprès de Jean-René Bernaudeau, reprend Henri Sannier. Et il l’a intégré au Vendée U en 2012. »
Taruia Krainer n’aura guère besoin de temps d’adaptation au plus haut niveau amateur. 2ème des Boucles de la Loire, 5ème du Tour d’Eure-et-Loir, il accroche en fin de saison 2012 la 70ème édition de Paris-Tours Espoirs. Devant Warren Barguil et Maxime Renault, qu’il a attaqués à 3 kilomètres de l’arrivée sur l’avenue de Grammont. Un DUT Mesures Physiques en poche, le coureur tahitien rentré deux mois au pays l’hiver dernier est un modèle auprès des jeunes polynésiens. « On me demande des conseils, j’ai déjà aiguillé quatre ou cinq coureurs qui souhaitaient savoir comment s’y prendre pour suivre mon parcours, mais ça leur paraît souvent compliqué et beaucoup n’ont pas envie de venir en France. »
Aujourd’hui établi à La Roche-sur-Yon, en Vendée, Taruia Krainer se consacre pleinement à son ambition de passer un jour à l’échelon supérieur. « Mon rêve est de passer pro. Quand je vois que mon ancien coéquipier Bryan Nauleau l’a exaucé à 25 ans avec Europcar, je me dis que j’ai encore un peu de temps. Je suis satisfait de ma régularité cette saison. Je n’ai pas connu de coup de moins bien. J’ai même failli gagner la quatrième étape du Tour de Bretagne à Fouesnant. J’ai porté une attaque dans le plus dur à 400 mètres de l’arrivée et je n’ai été rejoint qu’à 75 mètres du but. » A 23 ans, l’âge qu’il aura dimanche le jour de la Ronde Tahitienne, un clin d’œil qui ne lui a pas échappé, tous les espoirs de Taruia Krainer sont encore permis.