A l’occasion de la Ronde Tahitienne, dont la 3ème édition a eu lieu dimanche sur la côte est de Tahiti, Vélo 101 est parti à la découverte du cyclisme polynésien à travers une série de reportages consacrés au vélo du bout du monde.
Il y a trois ans lorsque Benoît Rivals mit sur pied la 1ère édition de la Ronde Tahitienne, Rocky Arapa était un garçon corpulent. Son employé chez Oviri Import, une entreprise de literie installée à Mahina, sur la baie de Matavai, avait arrêté toute activité sportive après s’être essayé plus jeune au football. En juillet 2012, au moment d’enfourcher le vélo sur une invitation de son boss, ce sont 142 kg (pour 1,80 mètre) qu’affichait alors le jeune Tahitien. Rocky est venu faire une sortie un dimanche matin en mode loisir, sur un VTC Giant. Il est revenu une fois, puis une autre. « J’y ai pris goût, raconte tout simplement le garçon de 34 ans. J’ai rapidement commencé à perdre du poids, je me sentais mieux. J’ai appris à dépasser mes limites et je me suis aperçu que j’aimais ça. »
Ce jour de juillet 2012, Rocky Arapa vient sans le savoir d’être happé par la passion du vélo. Une discipline dont il ne connaît rien encore mais dont il va faire l’apprentissage au contact de Benoît Rivals, son employeur président du Vélo Club de Tahiti. Sur cette île du Pacifique de 190 kilomètres de circonférence dont seul le littoral est habité et carrossable (le cœur est occupé par des montagnes vierges d’une beauté spectaculaire), neuf clubs cyclistes se mesurent durant la saison, laquelle s’étend de mars à août, à raison d’une course chaque dimanche. A chaque fois, ce sont une trentaine de coureurs que l’on retrouve au départ, sur des circuits qui empruntent fréquemment les mêmes routes.
Lorsqu’il prend le départ de sa première course, Rocky Arapa n’en maîtrise aucunement les rudiments. « Benoît m’a donné des conseils mais je ne connaissais pas les courses, poursuit celui qui accuse alors encore un sérieux surpoids. J’ai pété après un demi-tour de circuit. Pour autant je ne me suis pas démotivé. Ça m’a boosté au contraire pour aller chercher encore plus loin. J’ai aussi compris que mon poids était un obstacle. » A compter de cet instant, le coureur licencié au VCT porte ses efforts sur son alimentation et multiplie les sorties, à raison d’une heure après le travail tous les jours. Seul le long de la côte sauvage dont les cocotiers sont malmenés par les alizés d’est, ce vent qu’on appelle ici le maramu. « Je ne savais pas comment m’entraîner, alors je roulais sans autre objectif que de faire des heures sur la selle », précise-t-il.
Pourtant un premier objectif se dessine bientôt dans l’esprit du coureur profane. Un objectif autour duquel une cinquantaine de clubs du Pacifique se retrouve chaque année en Polynésie française : le Tour de l’Amitié. C’est l’épreuve reine des îles, créée en 1993 et courue en sept étapes sur Tahiti et son île sœur Moorea. Rocky Arapa n’a pas un an de vélo dans les jambes lorsqu’il se présente au départ en mai 2013. Il a fait l’acquisition d’un Scott trop grand pour lui. Et il doit faire face aux railleries du peloton. « Les gars me voyaient abandonner dès la première étape, souligne-t-il. Avec mes kilos en trop et mon vélo trop grand, on me voyait comme un boulet. » Pour Rocky il s’agit d’une source supplémentaire de motivation. Certes, il souffre terriblement dans les redoutables ascensions que s’en va chercher la course en bifurquant dans les terres. Certes, il termine souvent seul. Mais il tient bon avec la volonté et la persévérance qui le caractérisent.
Pourtant son aventure aurait pu s’arrêter très tôt. Victime d’une chute dans la deuxième étape, le coureur du VC Tahiti casse sa fourche. En Polynésie, les clubs manquent cruellement de moyens. Chaque coureur doit investir dans son propre matériel. Et réparer par lui-même. Compte tenu des circonstances, les commissaires acceptent de le laisser repartir le lendemain, à condition bien sûr que le vélo soit en état de marche. « Dans mon malheur, nous étions un dimanche, les commerces étaient fermés et la course repartait à 7h00 le lundi matin, raconte le Tahitien. Et puis soudain j’ai pensé à mon vieux VTC. J’en ai récupéré la fourche, je l’ai percée pour l’adapter à mon Scott. Mais les étriers de freins n’étaient pas compatibles, alors je suis reparti sans freins avant ! »
Quand il se présente sur la ligne de départ le lendemain, chacun est étonné de le revoir. Rocky Arapa, qui bouclera le Tour de l’Amitié, vient de gagner le respect du peloton. « J’ai terminé la course à bout, je ne pouvais même plus marcher, mais ça a été une très belle expérience. J’aime me faire mal et là je me suis prouvé à quel point je pouvais me surpasser. » Dès lors, il noue des liens très forts avec d’autres coureurs de l’île. Et bénéficie de leur part de conseils avisés qui vont l’aider à progresser et mieux sentir la course. Il s’essaie en outre à la piste sur le vélodrome de Pirae et au VTT dans les vallées de la Fautaua et de la Papenoo, dont le calendrier prend le relais de la route après l’hiver austral. Il constitue pour cela un groupe d’amis aventuriers qui tire sa force de son amitié et se baptise le Team Camassoulo, du nom d’un cri de guerre que scandent les enfants quand ils jouent dans les bois.
Au sein du Vélo Club de Tahiti, Rocky Arapa s’est également trouvé une place de mascotte. Ses coéquipiers s’empressent de relever sa générosité et sa solidarité sans limite. Parce qu’il sait trop bien ce que c’est que de peiner seul à l’arrière d’un groupe, Rocky n’hésite pas à aller chercher les coureurs attardés pour les remonter. L’esprit d’équipe. « Il y a une belle cohésion au VCT, souligne-t-il. On fait tout ensemble, et pas seulement du vélo, ce qui renforce les liens et nous fait avancer. Désormais je me sens aussi plus ouvert. Je n’ai plus peur d’aller demander un conseil. A vélo, tu t’améliores constamment mais tu as toujours un truc à apprendre. »
Aujourd’hui, sur le Scott Foil qui est venu remplacer son vélo trop grand, Rocky Arapa est tombé à 85 kg. Il roule trois bonnes heures tous les jours à sa sortie du travail, quand le soleil se couche derrière l’île de Moorea, a appris à mouliner grâce au VTT, à sprinter avec la piste, à mieux s’alimenter aussi. Il y a deux semaines à Papeete, sur le critérium organisé sur le front de mer, un coureur signait le meilleur résultat de sa jeune carrière en grimpant sur la 3ème marche du podium après avoir animé l’épreuve avec une science cycliste affirmée. Son nom : Rocky Arapa.