Yoann, tu as pris la décision d’arrêter ta carrière naissante de cycliste. Qu’est-ce qui t’a poussé à prendre cette décision ?
Il n’y a pas un fait précis qui m’a poussé à arrêter, pas un événement spécial. En fait, ça fait quatre mois que je me posais des questions, depuis ma reprise cet hiver. Je me demandais si j’étais vraiment sûr de moi. J’ai eu une mononucléose l’an dernier. J’ai vraiment eu du mal à revenir, car j’ai quand même passé sept mois sans course. Les entraînements ont été compliqués puisque je me retrouvais avec des gars qui étaient en forme. Au niveau performance, je me suis retrouvé loin derrière des mecs qui avaient un niveau légèrement inférieur au mien avant mon arrêt. Ça a été difficile.
D’autant que ta reprise ne s’est pas très bien déroulée. Cela a-t-il joué ?
J’ai repris en début d’année sur une course où j’ai bien marché, j’étais content de moi. Mais sur ma deuxième course, je rentre dans une voiture qui a pilé juste devant moi. C’était le même calvaire. J’ai été arrêté pendant deux semaines. Il a fallu revenir à zéro et reprendre les entraînements. Les questions que je me posais déjà sont revenues. Ça a peut-être été le facteur qui m’a poussé à prendre cette décision.
Pourtant tu ne mets pas totalement le sport de côté.
Oui, depuis cet hiver, je me suis mis à la musculation. J’ai commencé chez moi pour le plaisir. Puis je me suis inscrit en salle. Je recherche juste le plaisir d’aller en salle avec des amis et de continuer à faire du sport. Même si l’effort est difficile, ce n’est pas pareil que sur le vélo. Cet été, je vais peut-être aussi faire de la course à pied.
Mais plus de vélo ?
Je ne m’interdis pas de faire du VTT cet hiver, peut-être un cyclo-cross ou deux, mais ce sera vraiment pour le plaisir. Pour faire des petites randonnées entre amis, des sorties le mercredi avec les jeunes, ce genre de petits événements comme ceux-là. En tout cas, pas de grosse compétition. Je ne veux pas revenir au niveau où j’étais où il faut mener une vie stricte.
C’est donc que tu as tiré un trait définitif sur la compétition ?
Dire que je tire un trait, je ne peux pas le dire non plus. C’est une décision que j’ai prise la semaine dernière. Peut-être que dans quatre mois, le vélo me manquera tellement que je reprendrai. On en a vu beaucoup arrêter et reprendre une licence par la suite. Je ne pense pas que ce sera mon cas. Quand j’ai pris ma décision, je me suis senti comme libéré. Je vais enfin mener la vie que je veux mener depuis un bout de temps.
Ton père, Francis Moreau, l’ancien champion olympique de poursuite par équipes à qui nous consacrerons notre « Que sont-ils devenus? » jeudi, doit être déçu.
Je pense que toute ma famille est déçue, mais moi le premier ! Ce n’est pas seulement un choix, c’est aussi quelque part une obligation. J’ai perdu la motivation. J’aurais aimé la retrouver. Pour revenir à mon père, oui, il est obligatoirement déçu, même s’il ne me le dit pas plus que cela. Depuis que je suis petit, nous avons l’habitude de rouler ensemble, c’est quelque chose qui me manquera. C’est à lui que j’ai eu le plus de mal à donner ma décision. Il a tout fait pour me faire progresser. Nous avons discuté au restaurant jeudi dernier en tête à tête. Comme il me l’a dit, s’il avait su que j’étais un âne, il aurait été content que j’arrête. Mais il sait que j’avais des possibilités. Je le savais aussi. Je pense qu’il accepte ma décision tant que j’ai des projets en tête.
Ces projets, quels sont-ils ?
J’ai envie de devenir éducateur en centre études. Cet hiver, je vais passer tous mes diplômes fédéraux pour devenir entraîneur. J’ai aussi le projet d’être ambulancier et de passer mon diplôme d’infirmier l’an prochain. Mon père est content de voir que je cherche à m’en sortir dans la vie active. La vie continue.
Tu le mentionnes, tu avais des possibilités, même pour passer professionnel. N’es-tu pas un peu frustré ?
J’avais même eu des contacts pour être stagiaire dès cet été dans des équipes pros. Je ne regrette pas de ne pas avoir essayé encore. Ça faisait partie des choses que j’avais le plus de mal à faire. Par exemple, c’était devenu compliqué de partir deux semaines en stage. L’ambiance ne me plaisait plus trop parce que je n’étais plus au top et j’aurais préféré rester à la maison. Quand je vois la vie des coureurs cyclistes professionnels, il n’y a plus grand-chose que j’envie. Ce n’est donc pas un regret.
En bref, les sacrifices que cela requiert n’étaient plus possibles à concéder pour toi ?
Disons que ce sont des sacrifices que j’aurais été capable de faire avant, mais cela a changé quand j’ai connu une autre vie, quand j’ai eu ma mononucléose et que j’ai dû arrêter. Je n’arrive plus à les faire maintenant avec la motivation que j’ai actuellement. Comme je l’ai dit avec mon père, si c’est pour faire les choses à moitié, ça ne marchera pas.
Propos recueillis le 3 avril 2015.