Vincent, quel est le moment de vie spécifique que vous retiendrez de la saison 2013 ?
Je retiendrai surtout le début de saison fantastique que nous avons eu. Tout nous souriait. Nous étions euphoriques. On gagne les trois premières manches de la Coupe de France, on fait un triplé à Bordeaux-Saintes et un quadruplé à Troyes-Dijon. C’était de la folie ! L’ambiance était excellente dans l’équipe. La préparation a été éprouvante et nos longues sorties ont tissé des liens très forts entre les coureurs et l’encadrement. Les trois semaines de stage ont payé. Nos premières victoires en classe 2 ont été aussi un moment fort pour l’équipe avec les victoires de Rudy Barbier lors de la deuxième étape de Paris-Arras puis celle de Benoît Sinner aux Boucles de la Mayenne. Là, on s’est dit qu’on avait passé un cap.
A l’inverse, le Championnat de France et la déception de Yann Guyot reste un moment pénible…
Pénible, non. C’est vrai qu’on était déçus pour Yann car il avait fait beaucoup de sacrifices pour arriver en forme. En plus, en tant que Breton, il était sur ses terres. Je reste persuadé qu’il était le plus costaud du groupe de tête mais il a fait un peu trop d’efforts dans le dernier tour. C’est dommage car il aurait fait un très beau champion de France. Mais bon, il a été battu à la régulière. Les chutes avec fractures de Mathieu Teychenne ou Julien Pion par exemple sont plus ennuyeuses à mes yeux.
Le Vendée U a coiffé l’Armée de Terre sur le poteau pour la victoire en Coupe de France. Comment l’avez-vous analysé ?
En début de saison, l’objectif était un Top 10 voire 5 en Coupe de France. En 2012, nous nous étions sauvés lors de la dernière manche… Sur le coup, on était très déçus car on pensait qu’on pouvait ramener cette coupe à Saint-Germain-en-Laye. Mais après une analyse rapide, l’équipe Vendée U a été plus complète que nous et elle a fini la saison en trombe. Nous, nous étions un peu fatigués. On n’a pas réussi à trouver le second souffle. 2ème au final, c’est très bien quand même. On a perdu beaucoup de points lors des Boucles de la Marne où nos lacunes en contre-la-montre ont été un sérieux handicap.
Comment fonctionne l’équipe sur le plan budgétaire ?
Nous sommes militaires donc nous sommes payés (soldés) en fonction de nos grades. L’Armée de Terre met aussi à notre disposition un bus et elle prend en compte une petite partie du carburant et de l’autoroute. De plus, nous logeons dans les casernes lors de nos déplacements. Après, nous trouvons des partenaires privées. Nous ne touchons aucune subvention, contrairement aux autres DN. Avec la crise et les budgets en baisse, le manager David Lima Da Costa et moi-même allons à la pêche aux sponsors. Il faut arrêter de croire que tout est facile. Nous avons aussi nos contraintes.
Et en matière de partenaires, on peut vous rapprocher à une équipe continentale. L’étiquette Armée de Terre aide-t-elle à démarcher les sponsors ?
Au début, ce n’était pas évident car personne ne nous connaissait. Après un an d’existence, les premières victoires ont permis de présenter un bilan et de plus gros partenaires, comme Skoda ou Oakley, ont adhéré au projet. En 2012 et 2013, Hutchinson, GMPA, Time, Gir’s ou Casco sont arrivés. En 2014 Klesia et Six2 vont nous rejoindre. Nos maillots camouflés attirent les regards, ce qui est un argument supplémentaire pour accrocher un sponsor. Aujourd’hui, nous commençons à être connus dans le milieu cycliste. Mais si d’autres partenaires veulent nous rejoindre, ils sont les bienvenus…
Entre deux week-ends de compétition, quelle est la semaine-type d’un coureur de l’Armée de Terre, comme Yoann Barbas par exemple ?
Chaque semaine est différente en fonction des objectifs. La semaine précédant une manche de Coupe de France, si Yoann fait partie du groupe, il reste à la caserne et fait du derrière scooter avec Jean-Pierre Dutilleul ou Michel Frazey. Cette année, systématiquement, toutes les manches ont été reconnues en groupe pour bien s’imprégner du circuit et des endroits stratégiques. Pour préparer le Tour de Savoie, Yoann est descendu chez lui dans les Pyrénées pour monter des cols et retrouver son coup de pédale de grimpeur. Puis il a fait un stage en Savoie pour reconnaître les étapes en compagnie de Benoît Sinner et Yann Guyot. Entre deux objectifs majeurs, Yoann a trois jours de récupération par semaine chez lui.
Les entraînements sont-ils systématiquement réalisés en groupe pour soigner la cohésion et répondre aux objectifs d’image ?
En règle générale, le premier rassemblement a lieu en décembre, à la montagne dans un chalet : l’intégration des nouveaux se fait de façon naturelle. Puis l’accent est mis sur le travail en groupe avec des stages organisés en janvier à Brignoles et février à Collioure. Pour les manches de Coupe de France, les coureurs sont regroupés pendant une semaine entière. Le reste du temps, la plupart des cyclistes rentrent chez eux. Les Parisiens comme Benoît Sinner, Dany Maffeïs ou Alexandre Delétang et Romain Le Roux aiment rester à la caserne et s’entraînent souvent ensemble. Ponctuellement, des regroupements d’une semaine sont organisés pour préparer une épreuve ou un championnat.
Vos coureurs abandonnent peu voire jamais, quelle est la consigne à ce niveau-là ?
Il n’est pas facile de rentrer dans l’équipe mais il est encore plus difficile d’y rester. A l’Armée, nos coureurs ont des droits mais aussi des devoirs. Un coureur qui rentre chez nous et qui ne s’investit pas dans sa préparation pour la réussite de l’équipe peut se retrouver à conduire des camions l’année suivante. En plus d’être coureur cycliste, ils sont aussi militaires, avec l’image qui en résulte. Après, un coureur peut être fatigué ou malade, c’est humain, mais c’est vrai qu’en règle générale ils abandonnent très peu.
Etre en première ligne, aller au combat, mener de front, en rase campagne, comment les coureurs réagissent-ils aux jeux de mots innombrables qui peuvent être faits à leur compte ?
Il y a une chose qui est sûre : on ne se prend pas au sérieux entre nous. L’ambiance est excellente dans l’équipe et les coureurs aiment plaisanter entre eux. C’est vrai qu’à chacune de nos victoires, le titre des articles tourne autour de jeux de mots. En général c’est plutôt sympathique et ça rappelle notre spécificité.
Quels sont les manques, les loupés, les profils de coureurs qui vous ont fait défaut cette saison ?
Il nous a manqué des rouleurs et David Lima Da Costa a recruté des spécialistes du contre-la-montre comme Bruno Armirail, Kévin Lebreton, Jordan Levasseur ou Lucien Capot. Dès qu’il y avait un contre-la-montre individuel sur une course, on savait que le classement général final serait compromis. Pourtant, nos coureurs ont travaillé cette discipline cette année. Hervé Boussard est même venu nous apporter ses conseils avant sa tragique disparition.
Propos recueillis le 18 novembre 2013.