« L’année 2020 a été très difficile, on est passé de 112 000 à 104 000 licenciés […] ça nous inquiétait beaucoup ». Par ces mots, prononcés au début de l’été 2021, Michel Callot, président de la Fédération Française de Cyclisme, ne cachait pas les sueurs froides que lui a procuré la pandémie de COVID-19. Nommé en 2017 à la tête d’une organisation qui entamait déjà une certaine décroissance de son nombre de licenciés, le bressois n’avait pas réussi à stopper l’hémorragie, bien au contraire. Or, les licences représentant près d’un tiers des recettes de la FFC (6 millions d’euros sur 20 millions en mars 2020), cette décrue mettait en jeu la puissance-même de l’institution. Par son influence sur le budget, elle devenait susceptible de se répercuter sur la sphère « haut-niveau », à l’image des déboires financiers actuellement connus par nombre de fédérations nationales, l’Irlande en tête.
En outre, à l’approche de l’incontournable évènement que constituent les Jeux Olympiques de Paris en 2024, chaque fédération est engagée dans une course aux dotations, directement liée aux chances de médailles. Pour la FFC, ce n’est donc pas le moment de baisser la voilure sur l’investissement touchant au BMX, au VTT, à la piste ou encore à la route. Ce second effet apparaît donc comme un catalyseur du premier.
Dès lors, la chute à peine constatée, il est devenu urgent pour la FFC d’endiguer ses pertes de licenciés en mettant le doigt sur les sources de fuites. Ces maux sont-ils graves, docteur ?
La chute brutale des licenciés FFC a rompu avec leur augmentation continue jusque là
Dès l’année 2019, nos confrères de « Direct Vélo » constataient une inquiétante baisse du nombre de licenciés FFC, d’autant plus préoccupante qu’elle concernait le sport cycliste en général et non quelques disciplines isolées. Ainsi, le BMX ou le VTT, en vogue jusque-là auprès des plus jeunes pratiquants, adoptaient à leur tour la tendance diminutive du cyclisme traditionnel. Surtout, les plus jeunes catégories de pratiquants connaissaient une décroissance consternante quant à l’avenir de la Petite Reine dans l’Hexagone.
Naturellement, la pandémie de COVID-19 et les confinements successifs qu’il a induits ont accéléré ce mouvement. Les cyclistes, privés non seulement de compétition mais aussi de toute possibilité de sortie, ont été éloignés de leur sport durant de longue période. Les enfants, mis à l’écart du virus, ont été mis hors de portée de la pratique du vélo en club. Ainsi, le nombre total de licenciés FFC, déjà pâle depuis trois ans, a décru de 7,9% par rapport à 2019, et même de 10,5% pour les licences « compétition ».
Néanmoins, cette débâcle n’a pas empêché Michel Callot d’être reconduit à la tête de la fédération pour quatre nouvelles années en 2021, sa liste « Tous ensemble » recueillant près de 84% des voix. Dès lors, l’aindinois s’est attelé à comprendre les raisons du désastre.
Le cyclisme traditionnel à la peine, mais pourquoi ?
Depuis l’aube du XXIe siècle, le cyclisme sur route est en perte d’ampleur parmi l’ensemble des licenciés FFC. Passé de 72% en 1999 à frôler le seuil des 50% en 2022, il subit quelque peu l’attractivité des disciplines annexes auprès du jeune public tout en étant sujet à la diminution globale des licenciés FFC au cours des dernières années. Sur le premier point, le boom médiatique que connaissent la piste et le cyclo-cross, seules disciplines à la hausse à l’hiver 2021, peut expliquer une partie de ce désintérêt. Mais, malheureusement, elles ne suffisent pas. Les raisons sont vraisemblablement plus profondes.
La sécurité routière en est certainement une. En 2020, 178 cyclistes ont été tués sur la route, en France. Et plusieurs centaines ont été blessées. Selon les statistiques fournies par le Conseil Européen de la Sécurité Routière, la France connaîtrait chaque année la mort de 2,6 cyclistes par millions d’habitants, contre 1,5 pour l’Espagne ou le Royaume-Uni. Pire, cette tendance connaît une croissance de 2,2% par an. Et les témoignages de cyclistes au sujet du comportement des automobilistes n’infirment nullement ces données.
A ce sujet, la FFC se déclarait ainsi consciente des répercussions que ces actualités récurrentes, remuées par les campagnes de prévention pour la sécurité routière, avaient sur la pratique du cyclisme traditionnel. Mais il semble net que la dangerosité de la route et de certains de ses usagers n’encourage pas les parents à laisser leurs enfants enfourcher leur bicyclette et s’en aller s’entraîner. Dès lors, le cyclo-cross ou la piste apparaissent comme de bonnes options de substitution.
La concurrence dérangeante de la Fédération Française de Cyclotourisme prive la FFC d’un vivier de licenciés supplémentaire
De plus en plus de Français pédalent mais la FFC ne parvient pas à en tirer profit. Si elle est loin d’être la seule fédération nationale à connaître le même sort, cette situation n’en reste pas moins frustrante. Comment capter ces 20 millions de cyclistes ? Puisque seule une minorité d’entre eux s’attèlent à la compétition, le problème revient à l’offre, et l’objectif consiste à la diversifier. Alors, la FFC s’est lancée dans une entreprise commerciale en allant convaincre des entreprises de conclure un partenariat avec elle. Pour les licenciés FFC, ceux-ci se concrétisent en remises ou bons d’achats.
Dernier fer de lance de la Fédération, la compagnie de protection sociale et patrimoniale AG2R La Mondiale insiste sur l’aspect assurantiel que veut renforcer Michel Callot et ses hommes. Ainsi, dans le fascicule présentant la récente réforme des licences, il est notoirement souligné que la nouvelle licence « sport » offre des « garanties d’assurance complète ».
Cette initiative est en fait une offensive faite à la concurrence de la Fédération Française de Cyclotourisme, qui comptait quelques 120 000 licenciés en 2018. Si elle s’exclut des compétitions FFC, celle-ci a fait des compétitions de masse (dites « cyclosportives ») sa spécialité. En nouant un partenariat avec la fameuse Etape du Tour pour rendre ses licenciés prioritaires à l’inscription, la FFC a dernièrement renouvelé ses attaques à son encontre. Car il est vraisemblablement là le principal vivier de recrues…
Pour contrer cette décrue, la FFC diversifie son offre pour s’ouvrir à de nouveaux profils de licenciés
Ainsi, à l’image de la réforme des licences FFC que nous avons présenté dans un article précédent, l’institution s’évertue à renouveler et diversifier son offre selon les évolutions de son sport. Outre le développement de licences « sport » pour les cyclosportifs et « santé » pour concevoir un cyclisme thérapeutique, la Fédération Française de Cyclisme souhaite également surfer sur la pratique quotidienne de la Petite Reine en développant une branche « service ». En s’adressant notamment aux collectivités territoriales, elle propose aux communautés urbaines son expertise dans la mise en œuvre de « plans vélos » ou propose des stages de formations à l’usage de la bicyclette aux Villes pour leurs écoliers.
Ces nouvelles activités auront pour objectif de renflouer les caisses de la FFC pour soutenir notamment les pôles de haut-niveau, mais lui offriront également une visibilité accrue, jusqu’aux cours d’écoles.
Or, même s’il est impossible de distinguer la conjoncture des mesures, la tendance s’est diamétralement inversée au cours de l’année passée. Cet été, Michel Callot se réjouissait notamment d’un bilan comptable supérieur aux attentes. Avec 109 000 licenciés à ce jour, la FFC a refait une majeure partie du chemin. Et si l’horizon n’est pas encore dégagé, qu’il s’agisse du côté féminin (représentant à peine plus de 10% de l’ensemble) ou vis-à-vis du cyclisme traditionnel (chute de 6,5% en 2021), le nouveau du cyclisme français est peut-être entamé. Attendons encore quelques années pour l’évaluer.