Lorsqu’en octobre 2020, il s’était frotté au bitume des Flandres, dans le feu d’un final exalté par son escapade en compagnie de Wout Van Aert et Mathieu Van der Poel, Julian Alaphilippe avait déjà goûté à la malédiction du champion du monde. Mais cette saison, il l’a carrément dégusté. Ce second bail avec le maillot arc-en-ciel restera certainement teinté d’amertume dans l’esprit du trublion tricolore. Abonné aux périodes de rééducation, privé de Tour de France et sevré de victoires, il a largement expérimenté les maux que procurent les montagnes russes du cyclisme. Une fois l’euphorie de l’ascension retombée, la descente devient écœurante.
A un mois du terme de la saison, Julian Alaphilippe ne compte donc que deux victoires à son compteur, acquises sur les routes du Pays-Basque et au sommet du Mur de Huy, à l’occasion du Tour de Wallonie. Pour le commun des coureurs professionnels, ce bilan, accompagné d’une 4e place sur la Flèche Wallonne et d’une belle série d’accessits au Tour de la Provence, aurait de quoi ravir. Mais lorsque l’on est double champion du monde et habitué à tutoyer les sommets du classement UCI, ces honneurs ne peuvent même pas faire office de lot de consolation.
Ce dimanche, dans la fraîcheur de Wollongong, Julian Alaphilippe tiendra une dernière chance d’oublier tous ces maux. Porté par une équipe de France ambitieuse et offensive, il tentera de profiter d’un statut d’outsider pour tirer (encore) son épingle du jeu. En dépit d’un état de forme incertain, il essayera d’éclairer son année grise avec la lumière de l’arc-en-ciel. Pour tout balayer d’un cinglant sacre. Pour enterrer cette série de malheurs que nous vous rappelons ici. En espérant, nous aussi, l’oublier vite dimanche matin.
Emporté par le vent sur les Strade Bianche
Souvent placé, mais pas encore vainqueur, Julian Alaphilippe se présente au départ de son premier objectif de la saison avec l’ambition d’y faire resplendir son maillot de champion du monde. Mais si ses liserés arc-en-ciel ont effectivement fait le tour de la planète, cette onde médiatique a moins été provoquée par ses performances sportives que par ses déboires spectaculaires. Parfaitement placé lorsque la traversée des chemins de pierre a inévitablement emballé la course, le montluçonnais n’en a pas été moins vulnérable lorsqu’une violente bourrasque latérale est venue souffler un mauvais tour aux hommes de tête.
Un homme s’effondre et la roue du Français s’envole, l’entraînant dans une folle cabriole. Propulsé dans le pré, il s’en relève amoché mais sans fracture. Remonté sur sa bicyclette, il renonce déjà à la victoire, avant que la chute de l’adrénaline ne le contraigne de constater ses blessures. A Tirreno – Adriatico, organisé deux jours plus tard, il ne pourra pas être acteur.
Empêché par une bronchite à l’amorce de Milan – San Remo
De retour en jambes dans les derniers jours de la « course des deux mers », Julian Alaphilippe se croit prompt au grand rendez-vous du Poggio, dont il fut le principal animateur ces dernières années. Mais la froide humidité des montagnes des Marches étrille déjà ses anticorps et finit par en avoir raison. À peine lancé dans sa dernière semaine de préparation, le champion du monde est déjà contraint de mettre pied à terre et jambes sous la couette. Bronchite + Fièvre = Forfait. Echec et mat pour le vainqueur de l’édition 2019, contraint de suivre à la télé l’épreuve qu’il affectionne.
Pas de @Milano_Sanremo pour moi samedi.
Bronchite + fièvre = ❌🤒
Triste de laisser l’équipe, surtout après une semaine de course difficile sur Tirreno où j’ai senti que les jambes revenaient bien malgré ma chute au Strade Bianche.Repos et patience au programme.
À bientôt 👋 pic.twitter.com/FOBtGj8eLl— Julian Alaphilippe Officiel (@alafpolak1) March 16, 2022
Brisé par un terrible accident sur Liège – Bastogne – Lège
Le coup est d’autant plus dur que le français avait décidé de faire l’impasse sur les classiques pavées pour privilégier l’expression de ses fantastiques capacités de puncheur. Alors, le forfait de Milan – San Remo l’oblige à reporter toutes ses ambitions sur la semaine ardennaise, et notamment Liège – Bastogne – Liège, la course de ses rêves. Porté par un Wolfpack aussi puissant que ce surnom ne l’indique, le français partage en sus le lourd poids du leadership avec Remco Evenepoel. Au briefing, il est prévu que l’infatigable belge lance les premières offensives avant que le français ne fasse éventuellement parler son punch dans le final.
Le plan se déroule à moitié comme prévu. D’une part, Evenepoel sème définitivement l’ensemble de ses concurrents à 30 kilomètres dans l’arrivée, rendant à la côte de la Redoute ses lettres de noblesse. Mais son succès ne parvient pas à faire oublier l’envers de la pièce. Second couteau de l’arsenal Quick-Step Alpha Vinyl, Julian Alaphilippe n’a pas vu le quai des Ardennes, ni même l’incontournable enchaînement de difficultés qui constitue le dénouement de la Doyenne. Sa course s’est arrêtée 70 kilomètres plus tôt, violement, contre un arbre. Le champion du monde en a le souffle coupé, deux côtes cassées et une omoplate brisée. L’attitude altruiste de Romain Bardet témoigne de la gravité de son état. A cet instant, Julian Alaphilippe a perdu Liège-Bastogne-Liège. Deux mois plus tard, il se rendra aussi compte qu’il a aussi fait ses adieux au Tour de France dans ce fossé.
Retardé par le Covid-19 lors de sa reprise en Wallonie
Après une honorable pige aux championnats de France, où il propulse Florian Sénéchal vers le titre, Julian Alaphilippe reprend réellement la compétition à la fin du mois de juillet, à l’occasion du Tour de Wallonie. Et si l’actualité est accaparée par le triomphe de Jonas Vingegaard sur le Tour de France, sa victoire au sommet de son Mur de Huy chéri n’en passe pas moins inaperçue. Certes, en ce 23 juillet, ses concurrents ne s’appelaient pas Valverde, Theuns ou Pogacar mais Aranburu, Stannard et Skelmose Jensen.
Loulou wins 😁#EthiasTourdeWallonie22 pic.twitter.com/OomSyPfbrC
— Soudal Quick-Step Pro Cycling Team (@soudalquickstep) July 23, 2022
Néanmoins, lorsque l’on évolue dans le monde professionnel et particulièrement lorsque l’on revient tout juste de longs mois de rééducation, n’importe quel bouquet est bon à prendre. En outre, les honneurs qu’ont récolté chacun de ces trois hommes au cours de la seconde partie de saison témoignent du mérite du Français. Alors, « revoilà Julian Alaphilippe ! » a-t-on pensé, prêt à insuffler sa fraîcheur de la Vuelta au Tour de Lombardie en passant par les mondiaux. Seulement voilà, c’était oublier l’épidémie de COVID-19. Terrassé par la maladie, le montluçonnais se morfond au fond de son lit. Décidément, le sort s’acharne sur lui.
Enfoncé par une chute en cours de Vuelta
Têtu comme une mule, Julian Alaphilippe se remet en selle et revient en forme à l’abord de la Vuelta, son premier Grand Tour de l’année. L’occasion d’enchainer enfin les jours de course. Trop juste pour lever les bras dans les « repechos », le coureur de la Quick-Step Alpha Vinyl s’attèle à la conquête du maillot rouge par l’intermédiaire de Remco Evenepoel. Retrouvant peu à peu son explosivité en montée, il érode et morcèle le peloton au pied des cols, avant de s’écarter pour laisser place aux frénésies de son leader.
Le belge s’empare de la précieuse tunique à l’issue de la 6e étape et ne cesse de la conforter, jusqu’au contre-la-montre de la deuxième semaine. Entre-temps, il a pris soin de témoigner sa gratitude au français, lucide quant à l’exceptionnalité de la mue d’un célèbre champion du monde en irréprochable gregario.
Et puis patrata. C’est la chute. Sur la route de Cabo de Gata, au cours d’une onzième étape dénuée de toute nervosité, Julian Alaphilippe perd le contrôle de son vélo et goûte encore au bitume. Il se tient le bras, se plaint de l’épaule, on craint le pire. Le soir, on apprendra qu’il ne souffre « que » d’une luxation. S’il doit inévitablement abandonner ses partenaires, il ne perd pas tout espoir de participer aux mondiaux. Une semaine après, il est déjà remonté sur home trainer. Et moins d’un mois plus tard, il se rend en Australie à la tête de la délégation tricolore. S’il n’est pas sûr de sa forme, il entretient tout de même le rêve. Le rêve du triplé. Le rêve d’une saison sauvée. Le rêve de tous les Français, qu’il s’évertuera à réaliser dimanche matin.