Nicolas Deshaies est mécanicien au sein de la formation bretonne Arkéa-Samsic. Nous l’avons rencontré le jour du contre-la-montre par équipes sur le Tour pour qu’il nous parle de son métier, avec passion.

 

Bonjour Nicolas, vous êtes mécano chez Arkéa-Samsic. Comment vous êtes arrivé dans ce métier et cela fait combien de temps ?

Je suis au sein de cette structure depuis 2013, mais j’ai commencé ce métier bien avant puisque j’étais chez Agritubel il y a quelques années. J’en suis arrivé là par passion. Mon père faisait du vélo donc j’ai été vacciné comme on dit. J’ai fait moi-même un petit peu de vélo quand j’étais un peu plus jeune, à un moindre niveau que celui-ci bien sûr (rires), et j’ai toujours eu cette passion pour la mécanique. J’ai donc fais un CAP de mécanicien cycles et motos et j’ai toujours travaillé en magasin. Ayant cette passion-là, un jour, les portes se sont ouvertes pour intégrer une équipe pro. Je faisais déjà ma passion en tant que bénévole au sein du club de Cholet, d’où je suis originaire, puis j’ai eu l’opportunité de rentrer dans cette grande famille, et depuis, j’y suis resté. J’ai commencé par Agritubel en 2005-2006. Ça a bien commencé puisque j’ai fait mon premier Tour en 2006, en plus avec une victoire de Juan-Miguel Mercado, donc ça m’a donné de très bons souvenirs.

Il y avait combien de vitesses à cette époque-là ?

On était en 10 vitesses. C’est loin et pas si loin que ça. Le matériel évolue presque chaque jour.

Quel est le côté le plus passionnant de ce métier ?

Comme je l’ai dit tout à l’heure, j’étais coureur amateur et j’aime l’intensité de la course. C’est ça qui nous passionne le plus. Après on travaille sur du très bon matériel, donc c’est vrai que c’est intéressant, mais si il y a un domaine qui ressort un peu plus, effectivement, c’est d’être au cœur de la course, dans la voiture.

Quel est le moment le plus stressant ?

On vient de le vivre, c’est le chrono par équipes, parce que le moindre petit grain de sable juste avant de partir, ça peut être catastrophique pour l’équipe. Il suffit qu’un coureur ait un problème au dernier moment, c’est un petit peu chaud. Pour nous, les chronos par équipes sont les moments les plus compliqués à gérer, même si c’est anticipé, on fait un sport mécanique, comme je le dit souvent, et comme je le répète parfois aux coureurs, notamment dans les grands évènements comme le Tour, on est là pour veiller à tout ça, mais, malgré ça, il peut y avoir un petit pépin de dernière minute, et on essaye d’y remédier, mais des journées comme aujourd’hui sont un peu stressantes. Le soir, on est content quand tout s’est bien passé, et pour nous, une journée qui s’est bien passée, c’est : pas de casse, pas de chute, pas de problème mécanique.

Vélo BH d'Arkéa-SamsicVélo BH d’Arkéa-Samsic | © Team Arkéa-Samsic

Le passage devant les commissaires pour la vérification des cotes, c’est aussi quelque chose de stressant ?

Alors, oui et non. Ça ne l’est pas quand on sait que c’est plutôt bien préparé. C’est vrai que sur le Tour, souvent, on a des nouveaux vélos, c’est le notre cas avec les BH Aero light à disques, donc il y a une petite appréhension, après, on connaît les règles et à un chouia près on essaye de s’en rapprocher le plus près mais, comme on a pas forcément les gabarits qu’utilise l’UCI, des fois on s’en rapproche, mais il peut y avoir un petit millimètre par ci, par là. Aujourd’hui c’était un peu plus compliqué parce qu’ils ont ouvert le poste relativement tard, pendant que les coureurs allaient s’échauffer et on avait les vélos de rechange à passer aussi. On était un peu serein avec les vélos de rechange parce que les coureurs ont roulé avec depuis le début de l’année et on a presque pas eu de modifications à faire donc ça a été.

Est-ce qu’il y a un côté négatif dans ce métier ?

Il n’y en a pas vraiment, parce que sinon, on ferait pas tous ce métier là. On est passionné, bien sûr. Après si il y avait un côté un peu plus embêtant, moi je suis père de famille et c’est vrai que partir régulièrement, je pense à mes enfants, c’est un peu plus délicat, qu’ils voient leur père partir régulièrement, mais en même temps, ils aiment bien venir faire un petit tour quand on est en Bretagne. Ils connaissent toute la famille du team Arkéa-Samsic, donc, c’est l’inconvénient, mais en même temps, on essaye de le tourner en côté sympa quand ils viennent sur les courses.

Vous avez vu arriver l’électronique, les disques, vous voyez maintenant arriver le 12 voir le 13 vitesses. Quelle est pour vous l’évolution majeure que vous avez croisé depuis que vous êtes dans le métier ?

Depuis quelques années, c’est effectivement les vitesses électriques qui ont un gros avantage pour nous et les coureurs parce que c’est un confort, on a très peu de déréglages. C’est vraiment la grosse évolution.

Vous voyez le passage de tout le peloton en disques sous quelle échéance ?

C’est un peu compliqué à dire, c’est vrai qu’on entend un petit peu de tout. C’est vrai que le frein à disques a des avantages dans le freinage surtout dans les descentes de col, mais pas que. On le sait, pour changer une roue, c’est beaucoup plus compliqué, on met plus de temps. Si ça arrive à un moment pas trop important dans la course, ça le fait, mais si c’est à 15-20 kilomètres de l’arrivée, ça peut être contraignant. Après, je pense que ce ne sont pas nous qui avons les règles en main, ce sont les fournisseurs, qui dictent un petit peu leur loi, notamment auprès de l’UCI. Je pense que si ça arrive, il faudrait quand même des standards parce qu’aujourd’hui, tout le monde fait un petit peu à sa sauce et c’est très compliqué. Je pense à nos amis de chez Mavic ou de chez Shimano, les dépannages neutres en général, pour eux, c’est très compliqué de savoir qui a quoi et on les accuse souvent de mettre trop de temps pour changer les roues. Nous c’est beaucoup plus simple parce que nos vélos, on les connaît par cœur, nos roues sont calibrées pour nos vélos alors que eux, ils font en fonction. Des fois, je n’aimerais pas être à leur place.

Barguil et Greipel sur le TourBarguil et Greipel sur le Tour | © Arkéa-Samsic

Il y a des évolutions techniques qui ne vous ont pas suffisamment plus, comme les tiges de selles intégrées, par exemple ?

Ouais, les freins intégrés sous la boîte de pédalier, on le sait tous, ce n’est pas l’idéal, parce que c’est l’endroit où ça travaille le plus sur un cadre et dès qu’on se mettait en danseuse, quelque soit les marques, ça touchait. En plus, le freinage n’était pas forcément très efficace. Donc ça, ça n’a pas forcément été bien pensé. Ça a été pensé surtout pour de l’aéro, mais l’aéro ne fait pas tout. C’est bien de gagner quelques secondes grâce à l’aéro, mais si à côté, quand vous avez besoin de freiner, vous êtes obligé de le faire 100 mètres avant, ou tout simplement ne pas être sûr de votre freinage, c’est compliqué. En matière de réglage, c’était très compliqué également. Quand on changeait une roue, dans la précipitation, on peut faire vite, et les freins sous la boîte de pédalier, on oublie. Comme les freins à disques, quand on les règles comme ça dans le camion, on fait en sorte que ça ne touche pas et qu’il n’y ait pas de bruit, quand on est dans la précipitation au dépannage, on passe tellement près qu’on peut avoir des fois une petit différence et ça peut être désagréable, et là, on a aucun moyen de corriger ça en course.

Vous le disiez tout à l’heure, vous avez connu des équipes françaises avant tout. On voit que chez Arkéa-Samsic, l’équipe s’internationalise de plus en plus. Qu’est-ce que les étrangers vous apportent au sein de l’équipe ?

Chez Agritubel, on avait quelques espagnols. C’est vrai que l’évolution s’accentue ces dernières années, notamment cette année avec André (Greipel). C’est surtout le fait qu’il soit très professionnel, il est très intéressé par le matériel, au même titre que Warren (Barguil). Très souvent, c’était encore le cas hier soir, André est venu nous voir pour faire des petites modifications, des petits réglages… Il vient au camion nous voir, pour peaufiner, demander des petits conseils aussi, parce que ça a beau être des professionnels, ils ont toujours un petit doute et on est là aussi pour les rassurer, les conseiller. C’est vrai que ça fait bizarre au début quand vous conseiller André Greipel sur un choix, mais ça fait partie de notre métier et c’est plutôt plaisant. Il y a un vrai échange et c’est ça qui est agréable.

Dans toutes ces années de travail, quel est le coureur le plus méticuleux que vous avez croisé ?

Comme ça de tête, je dirais Warren, mais il n’est pas chiant non plus. Il aime beaucoup le matériel donc il s’y intéresse. C’est surtout son évolution. Par exemple, il nous a parlé d’un plateau de 58 sur les chronos. Ensuite, il y a quand même Maxime Bouet qui est très méticuleux sur sa position, par rapport à d’autres coureurs comme Elie Gesbert, par exemple, qui lui a eu un vélo avec une couleur spécifique. On lui a fait un peu la surprise, il est monté dessus, et il n’a même pas vérifié ses cotes, alors que Maxime a besoin plus de se rassurer lui-même sur des détails comme ça.

On voit de plus en plus d’équipes World Tour avec une équipe féminine. Vous vous voyez mécano d’une équipe féminine ?

Pourquoi pas oui, après je pense qu’il faut attendre un peu de temps, que ça se développe et que le niveau soit le même que le niveau masculin d’aujourd’hui. Notamment dans les courses, on sait qu‘elles n’ont pas de Tour de France et des fois, quand on a goûté à ces courses là, c’est peut être aujourd’hui ce qui me manquerait en ayant connu ça avec les hommes. Mais pourquoi pas, ça ne me dérangerait pas du tout.

Warren Barguil en bleu blanc rougeWarren Barguil en bleu blanc rouge | © Arkéa-Samsic

On parlais tout à l’heure de la communication avec les coureurs, on voit de plus en plus de générations de coureurs fonctionner avec les réseaux sociaux et communiquer notamment par Whatsapp avec les mécanos. Certains apprécient, certains le regrettent, comment est-ce que vous vous situez, vous, par rapport à ça ?

Encore une fois, on s’adapte. Moi, j’ai connu effectivement le moment où le coureur venait nous voir au camion dès qu’il avait quelque chose à nous demander où à savoir. Ça évolue un peu, après on peut aussi le comprendre parce qu’une course comme le Tour, il faut que les coureurs soient le plus tranquille possible, donc, si ils ont à se déplacer en redescendant de la chambre, après le massage ou même avant, pour nous donner des informations, ce n’est pas top. De ce côté là, ça ne me dérange absolument pas, mais c’est vrai que le côté humain… Comme je l’ai dit tout à l’heure, André, il vient souvent discuter au camion et ça permet d’échanger sur le matériel, mais aussi d’autre chose, de nos familles, de nos vies… Ça, on ne le retrouve pas avec les réseaux sociaux et c’est un peu dommageable, en tout cas, dans notre communication, mais en même temps, on le comprend et on travaille avec, c’est assez pratique quand même pour nous.

Vous aimerez avoir la relation qu’ont les masseurs avec leurs coureurs ?

C’est sûr que la relation n’est pas la même. Après, chacun son métier. Pour moi ce qui est important, c’est que le coureur n’ait aucun doute quand il prend son vélo et qu’il parte les yeux fermé. Certains ont toujours l’habitude de regarder les serrages de roue même si maintenant, avec les serrages à disques, c’est différent. Il faut qu’ils sachent qu’on a fait le vélo comme si c’était le nôtre, voir encore pire parce qu’on a un peu leur vie entre les mains et on n’a pas le droit à l’erreur. On croise les doigts, jusqu’à aujourd’hui, ça le fait.

On a vu au Giro cette année, sur les contre-la-montre notamment, l’importance de la rapidité d’intervention des mécanos. Est-ce que vous faites des stages de travail pour vous entraîner, un petit peu en s’inspirant de la F1 ?

Non, on n’en est pas encore à ce point là. Par contre, effectivement, on réfléchit toujours à la meilleure façon de faire. Par exemple, dans les étapes de montagne qui vont arriver, systématiquement, moi j’ai demandé à mes collègues mécanos que le vélo de Warren, notamment, soit déjà mis sur le petit plateau parce qu’en cas de pépin, ça risque surtout d’être un accrochage, c’est toujours mieux d’être sur le petit plateau pour repartir. Si on a besoin de faire un changement de vélo sur la plaine, c’est plus facile de mettre le grand plateau parce qu’il y a moins de risques. Ce sont des petits détails auxquels on fait attention. On regarde ce que font les collègues à droite, à gauche. On essaye aussi de s’inspirer, d’avoir nos idées, d’avoir une belle galerie, on fait attention à mettre les manivelles toutes dans le même sens, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Des fois, on a rien à envier au World Tour, on travaille avec du matériel quasiment identique ainsi que la même expérience, pour moi c’est mon 7e Tour, on commence à être un petit peu rodé, même si on vient toujours avec l’envie et la motivation, mais c’est vrai qu’on a un petit plus de recul et on sait ce qu’il faut faire ou pas pour s’améliorer.

Quand vous poussez un coureur pour le relancer, vous veillez toujours à ce qu’il ait enclenché les deux pédales avant de le lâcher ?

C’est primordial. C’est vrai qu’on a vu des choses dernièrement un peu particulières quand même. Moi, pour ma part, je repousse toujours sur la selle, ça permet au coureur de se mettre en danseuse et non seulement je ne lâche que quand il a enclenché les deux pédales, mais aussi quand il a pris une certaine vitesse. À partir du moment où je ne peux plus le suivre, là effectivement, je le lâche, mais on ne le laisse pas repartir tout seul et il faut une certaine vitesse pour qu’il puisse repartir tranquillement. C’est vrai que ce qu’on a vu sur le Giro, c’était un peu étonnant pour des mécaniciens de ce niveau là.

Vous suivez ce que font les concurrents de vos partenaires ?

On regarde un peu, bien sûr, même si on est un peu « la tête dans le guidon » vu que notre priorité, c’est surtout nos coureurs et le matériel qu’on nous fournis. On est là aussi pour faire évoluer le matériel de notre marque grâce au retour des coureurs notamment, mais c’est vrai que parfois, quand on a le temps le matin, on regarde un peu l’évolution de la concurrence, c’est notre métier qui ressort. On est toujours amoureux de la belle mécanique.

Greipel à La Planche des Belles FillesGreipel à La Planche des Belles Filles | © ASO

Quelles sont les meilleures relations techniques que vous avez eu avec vos partenaires ?

Aujourd’hui, nous avons plus de partenaires étrangers, ce qui est différent des autres années. Il peut y avoir la barrière de la langue un petit peu notamment avec BH, mais la traduction est facile car on a des français de chez BH qui font le lien. C’est surtout un travail de confiance. On a des gens chez nous qui sont responsables des partenaires, et, quand on démarre chez un partenaire, ils voient avec nous ce que nous voulons avoir, comme les coureurs. Cette démarche est importante, c’est comme ça qu’on fonctionne.

On est actuellement sur le Tour. Quand vous travaillez sur les parkings sous le regard de beaucoup de gens qui viennent des fois vous solliciter, vous trouvez ça plaisant ?

Moi j’adore, ça fait vraiment partie de notre métier, on est mécaniciens, certes, mais on l’a évoqué tout à l’heure, notre métier c’est aussi la communication pour représenter l’équipe, donc on ne peut pas envoyer balader les gens qui viennent souvent parce qu’ils sont passionnés comme nous. Après, tout dépend comment c’est amené. Quelqu’un qui va demander un bidon sans dire bonjour ou quoi… C’est plus du savoir vivre qu’autre chose, mais c’est relativement rare. On a quand même un très bon rapport avec les gens, qu’ils soient passionné ou, au contraire, qu’ils connaissent rien et qui peuvent être étonné du matériel qu’on apporte sur le Tour de France, donc c’est toujours plaisant de leur expliquer. Encore une fois, c’est une question d’habitude, ça nous empêche pas de travailler et ça fait partie de notre métier.

Vous voyez comment votre métier dans 10 ans ?

Je ne me suis pas posé la question. Je pense que le matériel va évoluer encore, c’est indéniable, et heureusement, sinon on serait toujours aux pédales à cales-pieds et aux vitesses au cadre. Nous, on évolue avec le matériel. Moi, j’ai 47 ans donc j’ai vu l’évolution au fur et à mesure. Je pense que l’évolution va passer par encore plus d’électronique embarquée, des vélos un petit peu plus léger, je pense, car l’UCI va sûrement mettre des réglementations un peu plus basses en matière de poids. J’espère que j’aurais toujours autant de passion et d’envie de faire mon métier. Je me suis toujours dit que le jour où je me poserai la question « pourquoi je me lève ce matin », il faudra que j’arrête, pour l’instant, c’est pas prêt d’arriver.

 

Pour ce qui est du classement World Tour Matériel 101, Julian Alaphilippe (Deceuninck-Quick Step) étant toujours en jaune, c’est donc naturellement la triplette Specialized/Shimano/Roval qui perdure en tête.

Le podium World Tour Matériel 101Le podium World Tour Matériel 101 | © Vélo 101

 

Par Nathan Malo