La 106e édition du Tour de France vient de s’élancer. Toutes les meilleures équipes du monde sont présentes. Qui dit meilleures équipes dit aussi meilleur matériel. En effet, cette course est l’occasion de découvrir les dernières innovations permettant d’optimiser la performance des coureurs.
Nous sommes allé à la rencontre de Jean-Pierre Christiaens, mécanicien de l’équipe belge Lotto-Soudal, au départ du récent Giro. Entretien.
Bonjour, est-ce que vous pouvez vous présenter s’il vous plaît ?
Je m’appelle Jean-Pierre Christiaens, je suis belge, j’ai 55 ans et 15 ans de métier.
Vous êtes passé par quelles équipes ?
J’ai travaillé d’abord pour De Nardi Colpack, Domina Vacanze, Milram, un peu chez Katusha, puis je suis retourné chez Milram, puis j’ai fait SpiderTech, et maintenant c’est ma 8e année chez Lotto-Soudal, qui a été aussi Lotto Belisol.
On se demande toujours de l’autre côté du miroir ce qu’est la partie la plus intéressante de votre métier ?
D’abord, c’est de rencontrer des gens, d’avoir le contact avec les coureurs, il faut être passionné pour faire ce travail. Moi c’était ma passion et c’est devenu mon métier.
À l’inverse, quelle est la partie la moins intéressante ? Est-ce par exemple le fait que vous vous déplacez beaucoup tout au long de l’année ?
Tout à fait, oui, évidemment, il y a le manque familial, j’ai trois enfants et je ne les vois pas souvent.
Vous disiez que ça fait 15 ans que vous êtes dans la partie, quelle est la principale évolution qui vous a marquée vous ? Vous êtes passé au système électronique, maintenant au système des disques, le 12 vitesses…
Le plus grand changement a été pour moi 2012 lorsque je suis arrivé chez Lotto et que l’on a travaillé directement avec le campagnolo eps, 11 vitesses à l’époque mais c’était un très grand changement pour nous, il a fallu s’adapter, maintenant on maîtrise ça très facilement (rires).
Quel est votre rôle pendant une étape ?
Il varie, parfois, effectivement, je vais d’hôtel en hôtel avec le camion et il m’arrive très souvent de faire la course, dans la première voiture ou parfois dans la dernière voiture et aller derrière l’échappée quand il y en a une. On est assez polyvalent donc on peut remplir toutes les tâches.
Tim Wellens aura tenté sa chance | © ASO
Est-ce que vous trouvez, dans ce métier de vrais gros moments de stress ?
Moi personnellement, pas vraiment, peut-être que c’est la maturité ou la sagesse qui fait ça, je ne sais pas. Toujours est-il que je n’ai pas beaucoup de stress. Une course, c’est une course et je fais chaque fois la même chose. J’ai travaillé avec de très grands champions comme André Greipel et maintenant avec Caleb et je n’ai pas de stress avec tout ça.
Parmi les coureurs que vous avez croisé, quel est celui qui vous a apparu le plus méticuleux ?
Ils sont tous méticuleux, mais sans l’être trop non plus. Il y a beaucoup de coureurs qui veulent que leur position soit juste, je pense à Jelle Vanendert, Maxime Monfort, le petit Jasper De Buyst aussi. Tous ces coureurs-là, ils aiment bien que leurs 3 vélos soient les mêmes et on s’applique à faire ça et moi, j’adore ce rôle et je fais ça les yeux fermés quoi (rires).
Nous sommes actuellement au départ du Giro 2019, c’est un grand tour et on connaît l’impact populaire qu’il y a. On sait que le soir, quand vous êtes sur les parkings d’hôtels, vous avez pas mal de monde autour de vous. Est-ce que pour vous c’est une façon d’être mis en valeur ou au contraire, c’est un peu plus de stress à cause du regard des gens qui peuvent venir vous perturber, vous demander des bidons ?
C’est vrai que parfois, quand il est 20 h, quand on rentre d’un transfert de 200 kilomètres, qu’on lave les vélos, on aime bien le faire calmement. Parfois, on met des barrières, on dit aux gens de ne pas venir trop près… Une fois que le travail est terminé, si 2 enfants me demandent un bidon, c’est avec plaisir qu’ils les reçoivent, mais à un moment donné, on reste quand même concentré sur notre travail surtout après la course dans un grand tour, c’est très important.
On dit que vous êtes les hommes de l’ombre. Comment est-ce que vous appréciez être mis en lumière ? Grâce à la victoire d’un de vos coureurs avec du matériel que vous avez réglé ou autre chose ?
Non, il n’y a pas besoin que ça soit une victoire, la reconnaissance des coureurs en général, avoir une petite tape sur l’épaule en disant que leur vélo est bien et que leur position est bonne, ça bien sûr, on aime bien la reconnaissance de ce côté-là. La notoriété, on n’en a pas besoin. Elle vient aussi parfois des directeurs sportifs qui disent « Super Jean-Pierre, bien travaillé ! ».
Forcément, en changeant d’équipe, vous avez connu des changements de matériel. Pour vous un changement de partenaire, c’est une remise en question, un moment excitant où vous allez découvrir de nouvelles choses ?
C’est toujours une découverte de toute manière et ça va toujours vers le positif et effectivement, par rapport à il y a dix ans où il y avait 4 câbles sur un vélo, maintenant, c’est plus compliqué que cela, les gens ne s’imaginent pas mais parfois on reste 4h sur un vélo alors qu’avant en 2h30 c’était fait, mais c’est toujours une découverte. Chez Lotto, nous sommes plutôt fidèles à nos partenaires et pour moi ça va il n’y a pas de problème.
Vous avez vécu beaucoup d’évolution, quelle est pour vous la principale innovation qui vous a le plus marqué ?
À chaque fois, il y a une évolution. C’est vrai que quand j’ai commencé, s’était Sram 10v, puis c’est devenu eps 11v, maintenant eps 12v. De plus, chez Ridley, ils ont fabriqué un nouveau cadre avec un guidon intégré donc là aussi c’est quelque chose à gérer ce n’est que des évolutions maintenant très importantes, on ne voit plus aucun câble sortir du vélo par exemple et même si c’est beau, c’est compliqué pour nous (rires).
André Greipel lotto soudal san remo | © sirotti
Justement, parmi les évolutions, on peut penser à la tige de selle intégrée, au système de freinage arrière placé sur les bases arrières… Est-ce qu’il y a des innovations qui ont été particulièrement difficiles à gérer pour vous les mécanos ?
La tige de selle ne me pose pas de problème parce qu’on peut toujours récupérer. Pour les freins en dessous du vélo, je n’en ai jamais eu donc je ne peux pas en parler, mais comme je vous l’ai dit, le guidon intégré où il faut passer deux câbles de frein, et parfois sur des freins hydraulique en plus de l’interface et le côté électricité, ça ce n’est pas facile, ça nous prend beaucoup de temps.
On voit, sur ce Giro et de plus en plus dans le peloton des pros, les disques qui font leur apparition. Est-ce que vous pensez à titre personnel que les disques vont s’installer définitivement auprès de tous les coureurs ?
Oui, franchement, je le pense, ça va se généraliser, ça l’est déjà dans le cyclo-cross, bon le freinage ici est peut-être moins important, mais tout le monde va finir par avoir ça, car évidemment, c’est une évolution logique.
Une dernière question, on voit de plus en plus de relations entre le coureur et son mécano passant par les réseaux sociaux. On voit certains mécanos qui regrettent ce contact direct, quelle-est votre philosophie par rapport à ça ?
Le contact qu’on a avec eux via les réseaux sociaux, c’est souvent technique, après la course où le coureur n’a pas vraiment le temps car il est au massage ou autre, donc moi je trouve que c’est une bonne chose au niveau de la communication pour préparer le vélo du lendemain avec tel ou tel matériel, mais maintenant nous gardons toujours un contact humain et verbal avec chaque coureur, on se croise au déjeuner, au souper, et franchement, l’évolution des réseaux sociaux est bénéfique pour moi.
Après la victoire de Julian Alaphilippe hier, notre classement World Tour Matériel 101 reste inchangé avec les marques Specialized, Shimano et Roval qui confortent leur avance. Peut-être que la suite de la grande boucle va modifier ce classement.
Le podium World Tour Matériel 101 | © Vélo 101
Par Nathan Malo