Dimanche 19 mars 2017, 9h33. Après des années à rêver de cette course mythique, après six mois d’entraînement, des matinées où la tête ne voulait pas faire marcher le corps, des refus d’aller en soirée pour éviter l’alcool et la fatigue inutile, me voici sur la rampe de lancement avec mon équipier Philippe Puechberty. Mon cœur bat déjà à 150 pulsations par minute et c’est avec une boule d’anxiété au ventre que j’attends le signal de départ de ma première Cape Epic. Philippe, qui a déjà fait cette course, est aussi ému que moi d’être à nouveau dans les starting-blocks et de voir les amis venus pour nous soutenir, les bénévoles nous encourager et le présentateur qui mentionne mes cinq années de bénévolat à la Cape Epic.
Le gong a sonné, le départ est lancé, mon rêve commence à se réaliser. Philippe part comme un cheval fougueux et je le suis tant bien que mal car mon cœur est encore submergé par les émotions du départ. Nous nous calons l’un sur l’autre et mon corps et ma tête reconnaissent le parcours. Ma passion pour le VTT reprend le dessus et nous profitons au maximum de la vue extraordinaire sur la montagne de la Table lors de la première montée, des descentes fluides, des grands virages en épingles et des bosses successives qui nous laissent heureux à l’arrivée de ce prologue de 26 kilomètres et 750 mètres de dénivelé positif de la 14ème édition de l’Absa Cape Epic. Ce n’est que le début…
1ère étape, Hermanus à Hermanus, 101 kilomètres et 2300 mètres de dénivelé. Nous décidons d’adopter un rythme régulier, en dessous d’un rythme de course d’une journée, car notre objectif est de tenir sept jours et de gérer les températures annoncées de plus de 40°. Cela nous permet de finir cette journée sans trop de dégât, excepté les crampes douloureuses de Philippe qui a dû revoir son alimentation avec un rajout de sel partout, même sur les desserts… A la clinique ambulante, Mediclinic, cette première étape a épuisé la moitié des stocks de perfusion des huit jours. Les déshydratations et manques de gestion de l’effort ont vu l’abandon de 80 équipes sur un total de 666. Un taux de 12 % d’abandon dès le premier jour ne s’est jamais vu dans l’histoire de la course.
Deuxième jour, réveil irréel au son de la cornemuse et premier SMS presque aussi irréel : le parcours du jour de 102 kilmomètres a été raccourci à 62 kilmomètres. Les visages, tirés par l’effort de la veille, se détendent. Nous allons pouvoir « récupérer » un peu avant les autres grosses étapes de la semaine. Mais rien n’est jamais acquis à la Cape Epic et c’est la surprise pour moi, au 30ème kilomètre. Je commence à souffrir d’une tendinite au genou. Je suis à l’agonie sur les 32 derniers kilomètres. L’objectif est de finir tant bien que mal cette étape qui, Dieu merci, a été raccourcie, et d’envisager les solutions possibles pour continuer la course. Le soir, je suis envahie de doutes et de peurs, ceux de ne pas pouvoir finir la course, d’abandonner mon partenaire et de ne pas avoir été au bout de moi-même.
Ce que l’on peut apprendre de toute situation de crise, premièrement c’est de respirer, de prendre du recul et de ne pas précipiter les choses. En effet, le lendemain, un docteur de la Mediclinic me prend en main et me « strappe' » comme il faut.
Je commence cette troisième étape psychologiquement et physiquement affaiblie mais je me dis que « qui ne tente rien n’a rien » et que je suis sur mon vélo pour finir la course avec Philippe. Au fur et à mesure des kilomètres, la confiance est restorée, je ne souffre presque plus, sauf dans les montées de dingue qui m’achèvent le genou un peu plus à chaque fois. Je tiens grâce à la patience et aux encouragements de mon équipier et aux descentes superbes qui me redonnent du cœur à l’ouvrage ! Nous finissons en ayant géré la douleur, la chaleur, les dénivelés cassants et, comme chaque jour, les encouragements des proches, des amis, des journalistes et des internautes qui se sont pris d’affection pour notre équipe nous réchauffent le cœur et nous poussent à continuer.
Les qautrième et cinquième étapes s’enchaînent avec toujours un petit doute sur le genou. Le « strap » sera-t-il suffisant ? Un miracle ! Je peux rouler, descendre et grimper avec quelques petites souffrances et non sans m’accrocher de temps à autre à la poche de Philippe dont les qualités extraordinaires ont été mises en lumière lors de ces huit jours !
Nous attaquons l’avant-dernière étape, la « queen stage », avec confiance car mon inflammation se résorbe un peu et nous avons déjà reconnu le parcours du combattant en novembre 2016. Nous commençons tranquillement et dépassons plusieurs équipes dans la montée du Groenlanberg, 9 kilomètres de grimpette avec deux sections à 20 %. Des équipes mettent pied à terre et nous, nous avançons à un rythme régulier qui nous permettra d’arriver en haut d’une descente fantastique. Personne devant, on lâche les freins et on met les gaz. Les 103 kilomètres et 2750 mètres de dénivelé sont avalés et cette étape nous permet de remonter dans le classement et de finir 1h20 avant le « cut-off ».
Une question n’arrête pas de me turlupiner. Si je n’avais pas eu ce problème de tendinite, aurait-on fini à une meilleure place au classement général ? Mon esprit compétitif est de retour, je me sens forte mentalement ! Il reste un jour de course où tout peut encore basculer. La Cape Epic est qualifiée de course indomptable, par conséquent je dois rester humble et continuer à faire ce que nous avons fait pendant ces sept jours de course, gérer l’effort, le genou, le mental, le cœur et rester « sage ». Tant que nous n’avons pas franchi la ligne d’arrivée, rien n’est gagné.
Dernière étape, la rosée du matin a recouvert nos selles. Un dernier coup de chiffon pour ne pas avoir le short mouillé et surtout calmer les angoisses de la dernière ligne droite. Nous voilà partis pour 85 kilomètres et 1350 mètres de dénivelé. Facile, dirons certains… Après sept jours de vélo, des nuits sous tente, des aller-retour à la tente dînatoire et la Mediclinic, cette dernière étape semble ne pas finir. 5 kilomètres avant l’arrivée, des papillons commencent à voler dans nos cœurs et là, une dernière montée qui oblige certaines équipes à mettre pied à terre. Je dis à Philippe que cette dernière ne va pas m’arrêter et on passe en grattant quelques places.
Nous franchissons la ligne d’arrivée ! Nous n’y croyons toujours pas. Diverses émotions se mélangent. Le bonheur d’avoir été au bout de soi-même et d’avoir atteint l’objectif ensemble ! La joie de voir les proches et les amis qui nous attendaient avec impatience. Finalement, le moment tant attendu de sentir le ruban se glisser autour de mon cou avec au bout la médaille de « Finisher » de l’Absa Cape Epic 2017. Des mois de sacrifice, des jours de partage, des moments de solitude avec soi-même, des moments de connection humaine profonde en lisant les nombreux commentaires Facebook d’amour et d’encouragement, des amitiés nouvelles et un partenariat hors normes allaient se résumer dans cette petite roue noire avec le logo Cape Epic, 2017 et ce ce que nous avons dompté, « 8 days, 691 km, 15400m climbing ».
Des souvenirs à jamais gravés dans le coeur et la tête, car les souvenirs, c’est tout ce qu’il nous reste quand on meurt… A qui lèguerai-je ma médaille, ça c’est une autre histoire ! – Leila Kopff