Jean, tu fais partie des pionniers du VTT en France, mais pourtant tu n’étais pas au départ du premier Roc d’Azur. Pourquoi ?
À l’époque j’habitais en Bretagne. Je bossais pas mal les samedis. Je participais plus aux courses du coin. Je suis passé de la moto au mountain bike en 1986, précisément parce que j’avais connu cette discipline grâce aux revues de tout terrain. J’avais acheté deux Peugeot VTT 2. Un pour ma copine et un pour moi. Quand je suis arrivé dans le magasin de cycles et que j’ai dit au vendeur que je voulais acheter un VTT, le mec a failli appeler les flics ! Il m’avait fait payer 100% des deux vélos au moment de les commander. Il avait trop peur que je ne les prenne pas et il ne savait pas ce qu’il vendait. Ils étaient sans doute produits en France. On était deux ans avant l’importation des vélos type Muddyfox.

Quand tu as commencé le VTT, avais-tu déjà connaissance des épreuves de ce type dans le sud de la France ?
Oui, je suivais ça de loin, mais j’étais encore dans l’univers de la moto. J’étais carrément dans un magasin. Je faisais encore de la compet en moto. J’avais un emploi du temps chargé et je me servais du VTT comme pour un entraînement. La décision d’arrêter la moto m’appartenait. Je suis parti en me disant que j’allais travailler dans le mountain bike à la fin de l’année 1986. Et en 1987, je me suis retrouvé chez Look. J’ai fait les premiers Championnats de France en 1987. C’est à ce moment que je me suis totalement investi tant au niveau loisir qu’au niveau professionnel dans le VTT. Mais avant cela, je faisais partie du bureau de l’AFMB quand on était à peine 200 en France.

1987, c’est aussi l’année du premier Championnat du Monde officieux à Villard-de-Lans…
Mes parents avaient un petit chalet là-bas. J’étais un peu itinérant. À l’époque, j’habitais en Bretagne, je travaillais pour Look qui avait une base à Nevers et une autre à Annecy et je faisais des études de marché dans les massifs. Bref, j’étais tout le temps à l’hôtel ou sur le terrain. J’avais tracé la Bobet Verte en parallèle de la Louison Bobet à Valloire. Je me suis retrouvé avec des prototypes en carbone Look dans le mini chalet de mes parents à quinze bornes des Championnats du Monde. Au bout de deux jours, il ne m’en restait plus qu’un, les autres étaient cassés. Et j’ai fait le Championnat du Monde avec le VTT qu’il me restait. J’avais doublé descente et cross-country.

Quel souvenir en gardes-tu ?
Disons que j’avais fait d’autres courses, dans l’ouest ou ailleurs. 1987, c’était la première année où tout était structuré, sans qu’il y ait de spots à droite à gauche. J’avais été surpris quand j’ai vu la place de Villard-de-Lans. Ça avait rameuté la Belgique et l’Angleterre, notamment. C’est la première fois que je voyais autant de VTT à la fois. On parlait plein de langues. En tout, nous devions être 400. On avait du faire des vagues pour les départs, c’est donc signe qu’on était dans un truc de masse. C’était parti. C’est ça qui était sympa : on avait l’impression d’être embarqué dans une discipline qui décollait.

C’est à ce moment que tu as cru en l’avenir de la discipline ?
J’y croyais déjà avant. Je bossais dans la moto et j’avais un boulot pas mal. Après dix ans de compet en tout terrain, j’ai eu envie de changer. J’ai lâché mon boulot sans avoir de perspective. J’avais juste lu une interview de Bernard Hinault qui bossait chez Look, qui était en fin de carrière et qui disait qu’ils allaient développer le VTT. Je me suis dit, « c’est bon, je saute sans parachute. » À force de frapper à la porte, j’ai fini par avoir un boulot. Puis j’ai connu des mecs qui montaient Mountain Bike Diffusion pendant que je montais mon étude de marché. En 1988, j’étais chez eux pour trois ans.

À l’époque étais-tu performant à l’échelle nationale ?
Ma pratique du sport est uniquement tournée vers le plaisir. Je veux dire par là que si je m’entraîne, c’est pour avoir du plaisir le plus longtemps possible, jusqu’au dernier kilomètre. 2ème, 20ème, 200ème, peu importe. J’ai du gagner deux ou trois courses. À l’époque, il y avait beaucoup de courses qui ressemblent au format enduro actuel. Avec des spéciales. Sur la Transvésubienne, mes meilleures places, ça doit être dans les 20 ou 25 premiers. Au Championnat du Monde je dois faire aux alentours de la 40ème place, mais je fais 8ème de la descente. La moto m’a bien aidé. Ensuite mon activité et mon entraînement étaient entièrement tournés vers le test de produits et de cadres. J’avais toujours un truc à ramener du week-end ou de la sortie, mais toujours avec la volonté de se marrer. Je voulais transmettre ce côté fun à tous les gens que j’ai pu mettre sur le vélo à un moment ou à un autre. Ensuite, tu t’entraînes plus ou moins dur, tu es plus ou moins doué physiquement et tu vas monter plus ou moins haut. Mais si tu n’as pas le plaisir, ça ne dure pas.

N’était-il pas trop difficile de passer de la moto au VTT qui à l’époque étaient sans suspension ?
Non, au départ, il fallait avant tout que le vélo finisse la course. Il fallait avoir un pilotage adapté pour que le matériel termine. Tout était cassable. Ça m’est arrivé d’exploser des moyeux en deux ! Tout pouvait arriver ! Dès que j’ai commencé à Mountain Bike Diffusion, on a cherché des produits, et notamment du côté des États-Unis. Des poignées, des potences suspendues, des pneus plus légers et plus gros. Petit à petit, on a cherché plus de performance et plus de confort. J’ai vu les premières suspensions arriver quand j’ai hébergé John Tomac et Greg Herbold avant qu’ils ne soient champions du monde en 1988-1989. Greg avait les premières RockShox. On a fait deux sorties et sa suspension a explosé à chaque fois. Je n’ai jamais été impliqué dans le développement de la suspension. Quand j’étais chez Emery, on était les premiers à toucher les premières suspensions performantes et fiables, même si elles avaient un débattement ridicule. J’ai quitté mes fonctions de chef de produit quand la suspension a pris son envol. J’ai en revanche beaucoup travaillé sur la fiabilité, sur la géométrie pour avoir des vélos sympas. C’était aussi important que la suspension. Pourtant, c’est assez marrant, quand j’étais dans la moto et quand j’étais dans le magasin dans lequel je travaillais, c’est moi qui préparais les suspensions !