Claire Lagache et Wilfrid Grossœuvre ont réalisé un tour du monde, axé sur les pratiques des sports de nature. Passionnés et pratiquants de raids multisports, ils ont découvert différentes facettes du globe, notamment en vélo (VTC et VTT de descente). Leur aventure, ils nous la font partager.
Episode 1 : Pakson-Attapeu via Ban Bengkhua Kham-piste
« Partis pour un tour du monde, après six mois de transport en commun, nous avons ressenti le besoin de changer de rythme. Avant de commencer ce long voyage, nous n’avions pas envie de le faire à vélo. Nombre de voyageurs utilisent ce type de transport. Et même si nous pratiquons le VTT en raid multisport, nous avions du mal à envisager de rester en selle durant des journées entières ou de laisser notre matériel quelques heures pour une randonnée. Nous nous sommes tout de même décidés à découvrir une toute petite partie de l’Asie sur deux roues. Contre toute attente, le Laos à vélo fut une expérience fantastique et mémorable. Force est de reconnaître que nous avons changé notre point de vue sur ce mode de transport qui offre l’avantage de rester autonomes. Après avoir acheté deux vélos à Bangkok, nous nous dirigeons vers les pistes laossiennes à la découverte d’une nouvelle culture et de paysages d’un vert éclatant. 1600 kilomètres avalés en vingt jours, sur des pistes en terre rouge.
Après nous être familiarisés quelques jours avec le bitume laotien, nous décidons de quitter les grandes routes. Nous sommes « confiants » même si nous n’avons aucune carte routière (on nous avait dit « aucun problème sur place pour trouver des cartes », en réalité en dehors de la capitale ce n’est pas si simple) et que la communication avec les Laotiens va rester très rudimentaire, voire même laborieuse. Le jour J est sous le signe du bon présage…
Nous sommes réveillés tôt le matin par des rires d’enfants. Surpris, nous ouvrons les fenêtres de notre chambre pour voir qui est à l’origine de cette agitation. La surprise laisse place à un fort étonnement. Ce ne sont que deux gibbons qui chantent, des singes aux bras très longs, noirs, avec des joues toutes blanches. Il est temps de se mettre en selle. Après un « léger » détour de 35 kilomètres pour trouver la bonne piste (il faut dire que nous avons privilégié la carte de notre guide aux explications d’une jeune femme du coin), nous nous enfonçons dans la campagne. Notre objectif est de traverser le plateau des Boloven, réputé pour la culture du café, sur 85 kilomètres de pistes.
Imaginez 85 kilomètres de terre rouge, roulante, se frayant un chemin dans les rizières et caféiers. Nous traversons de nombreux villages où tous les habitants se retournent, étonnés. Tous s’empressent de nous lancer au vol des bonjours souriants. Les enfants nous interpellent. Ils accourent vers nous… mais stoppent à bonne distance, montrant une certaine timidité. Il faut dire que nous n’avons pas choisi un itinéraire touristique en cette période. Deux étrangers à vélos, cela ne passe pas inaperçu ! L’authenticité du Laos est ici. Nous la ressentons, bien palpable. Le dépaysement est total. L’émotion pour nous deux est forte.
Le paysage défile sous nos yeux. Les rizières sont d’un vert fluo. C’est la saison des pluies. L’eau est omniprésente. Les femmes et les hommes sont dans les champs, le dos courbé à s’occuper des futures pousses. Les habitations sont généralement assez simples, sur pilotis. Les hamacs sont tendus. Toits en paille, murs en végétaux tressés ou en feuilles. Certaines femmes fument des cigarettes locales réalisées à base de feuilles de bananiers. Les femmes portent le sarong, ce qui les obligent à s’assoir en amazone à l’arrière des mobylettes qui ne cessent de nous dépasser. Nous croisons quelques bouibouis pour acheter des produits de premières nécessités, des fabricants de couteaux qui battent encore le fer à la main, des menuisiers qui manipulent à deux des scies à bois d’une autre époque.
La végétation change peu à peu et notre belle piste rouge entre dans une immensité verdoyante. Nous pénétrons dans la forêt tropicale, une forêt intense, humide. La magie de ces arbres de plusieurs dizaines de mètres de haut nous emporte. Nous nous laissons bercer par le bruit de la nature. Puis la frénésie reprend le dessus. Ce sont 30 kilomètres de pure descente qui sont face à nous. 1000 mètres de dénivelé à dévaler. Les cheveux au vent, le sourire figé, l’adrénaline s’empare de nos esprits. Pas autant que nous l’aurions souhaité car avec les sacoches à l’arrière de nos vélos, il est difficile de se « lâcher » et de tout contrôler. La notion du temps s’arrête. Au détour d’un virage, une cascade apparaît, dissimulée derrière une végétation épaisse. L’arrêt s’impose. Nous ne savons pas exactement où nous sommes. Nous devrions bientôt arriver à une petite bourgade, mais nous avons plutôt le sentiment de nous enfoncer encore plus profondément dans la jungle. Nous ne croisons que peu de personnes. Pas d’inquiétude, nous sommes en autonomie. Bonheur et plénitude sont bien présents. Nous savourons ces instants.
Au final, ce seront 130 kilomètres parcourus et près de neuf heures en selle pour une journée inoubliable, où nous avons pris le temps d’observer, de visiter et de rencontrer les gens de cette région des bas plateaux. 18h00, dans une demi-heure, il fera nuit. Le temps de trouver un ruisseau pour un rapide décrassage, nous nous arrêtons pour poser la tente. Nous sommes encore à 40 kilomètres de la prochaine ville. »
Claire Lagache