Pierre, tu t’es retiré du milieu de la compétition après de dernières saisons en retrait sur le plan sportif, que t’est-il arrivé ?
J’ai eu du mal à me remettre d’une mononucléose qui n’avait pas été diagnostiquée. Avec une grosse fatigue, à la suite d’une angine début 2007, j’ai consulté deux médecins différents en présentant mes présomptions, mais aucun n’a jugé nécessaire de me faire le test, l’un d’eux m’a dit que j’avais des allergies qui me fatiguaient, et je suis reparti m’entraîner à fond tout en étant malade, puisqu’on m’avait donné le feu vert. Après une saison de galère, il aura fallu une visite chez mon médecin, dans ma région d’origine à Strasbourg, pour que celui-ci me prescrive des analyses qui ont révélé l’infection. Là-dessus, j’ai enchaîné avec la maladie de Lyme… Bref, s’il y a une règle à retenir dans ces contextes-là, c’est de ne pas forcer la nature quand on est malade ou qu’on a de la fièvre. Ne me sachant pas infecté, j’ai bien creusé mon trou. Après, ce n’est jamais vraiment revenu, mais la passion du VTT n’est jamais partie, et tout ça m’a permis d’apprendre et d’expérimenter encore tout un tas de choses qui me servent aujourd’hui en tant qu’entraîneur ou manager.
Quel est justement ton rôle au sein du team BH-SR Suntour-Peisey Vallandry ?
Face à mes performances qui ne revenaient pas, j’ai commencé à m’investir de façon croissante dans la vie du team, autrement qu’en poussant sur les pédales, et Michel Hutsebaut m’a fait confiance en me donnant progressivement de nouvelles responsabilités. Mon rôle est extrêmement varié. Si je me cantonne à mes interventions sur le terrain, la face visible de l’iceberg, j’assiste les pilotes lors des reconnaissances, je peux les aider pour certains choix matériels (pneus, pression, suspension…), j’apporte des conseils qui vont de la physiologie à la technique, en passant par la diététique, les choix stratégiques, ou encore le point de croix, car Maxime adore broder un peu, les veilles de course. Mon métier d’entraîneur me permet aussi de faire confortablement l’interface avec chaque pilote. Enfin, j’assiste Michel pour les briefings et l’organisation de l’intendance de course.
Au niveau professionnel, tu es intervenu comme éducateur à l’US Domont, quelle en était la teneur ?
J’ai dû arrêter mon travail d’éducateur à titre professionnel pour l’US Domont, mais j’ai pu y intervenir encore une fois avec plaisir il y a quelques jours à peine, en organisant et encadrant un stage de préparation d’une semaine pour les coureurs de l’effectif du Team 95 US Domont. Ça m’a aussi permis de pédaler un peu avec les copains, avec beaucoup de plaisir. Je travaille aujourd’hui en parallèle du team BH-SR Suntour-Peisey Vallandry en tant qu’entraîneur. J’offre mes services à quelques athlètes à l’année, et j’assume quelques stages et sessions de formation. Mon travail au club m’aura permis lui aussi d’apprendre tout un tas de choses, et Céline Hutsebaut, la fille de Michel, aujourd’hui présidente de l’US Domont, m’a beaucoup aidé dans ma reconversion.
Tu es team manager adjoint de la cinquième équipe mondiale. Est-ce la reconversion que tu souhaitais ?
Oui, voilà le nouveau titre qu’il y aura sur mon Rainbow Pass, à la place de « pilote », mais encore une fois, je ne fais pas le grand saut. C’est quelque chose qui s’est fait progressivement ces dernières années, grâce à tout le monde dans le team : je ne découvre pas complètement un nouveau métier. Je suis juste heureux que l’équipe m’accorde cette confiance de manière plus officielle, et je tâche d’en être digne.
Comment s’est passé le stage que tu as encadré à Peisey Vallandry ?
J’organise les stages du team depuis 2007, donc la casquette n’a pas été plus lourde cette année. Démarrer l’année là-bas, c’est toujours un bonheur. Grâce à l’accueil de toute la station, nous nous y sentons comme à la maison. Pour les nouveaux coureurs, c’est l’occasion de faire connaissance dans un contexte très détendu, alors que les installations et l’environnement du domaine Paradiski permettent de faire une super semaine de préparation. Cette année, nous avons eu un temps exceptionnel, et une neige de folie, ça a été vraiment dur de plier bagage en fin de séjour !
La politique de Michel Hutsebaut a toujours été de donner sa chance à des jeunes. On le sent plus à l’aise à manager des jeunes, des espoirs, plutôt que de recruter des coureurs aguerris…
Michel donne sa chance aux coureurs sans distinction d’âge, à part celle de la jeunesse, justement : il m’en a suffisamment parlé pour que je sache que pour lui, un Junior ou un Cadet doit plutôt rester dans son club. Nous avons un système d’organisation du sport en France qui doit permettre aux clubs, avec l’aide de la fédération, d’être le lieu idéal de formation à ces âges-là. Mais tout ça marche mieux si les plus jeunes ne sont pas aspirés par les teams de marque. Les clubs et les teams-clubs sont là pour ça. Après, c’est vrai que Michel a une vista remarquable, qui lui permet de détecter des gens qui ont un grand potentiel de progrès. C’est parce qu’il aime les coureurs qu’il donne aussi souvent leur chance à des pilotes qui tentent de relancer leur carrière. Mais des coureurs aguerris, Michel en manage, et en a managé beaucoup, ce serait vraiment leur faire injure de dire le contraire. Maintenant, si par « recruter des coureurs aguerris », vous voulez parler de faire la surenchère financièrement pour débaucher quelqu’un, ce n’est effectivement pas son truc, il préfère de loin se battre pour garder et choyer les gens auxquels il tient !
Au fil des saisons l’effectif se réduit mais le haut-niveau s’optimise. Comment évolue le budget et la gestion du team ?
Michel est quelqu’un de fidèle, que ce soit avec les coureurs ou les partenaires du team, et c’est pareil pour moi. Ce n’est pas parce que Julie Bresset ou Maxime Marotte ont fait une saison exceptionnelle que nous allions courir partout à la surenchère. Le but était de continuer avec tous les gens qui ont contribué et contribueront à ces succès, en garantissant un soutien à la hauteur des performances de nos pilotes. Nous avons juste changé de marque de freins, les vélos sont montés en Magura MT8 depuis le début de l’année. Un nouveau partenaire est aussi arrivé, avec KMC dans l’équipe. Avant même que les discussions ne démarrent, ce sont eux qui ont tenu à ce que nous testions et approuvions leurs produits de manière poussée, c’est l’empreinte d’un partenaire matériel qui n’est pas là juste pour la visibilité.
Compte tenu de leurs saisons 2011, il a dû être difficile de garder Julie Bresset et Maxime Marotte dans le team dans la perspective des JO 2012. Comment abordez-vous ce genre de négociation ?
Nous avons été ravis de leurs performances exceptionnelles, et du plaisir qu’ils ont pu en retirer toute la saison. Ils nous ont fait vivre de grands moments ! Pour le reste, le but était de pouvoir continuer à leur offrir le meilleur, et leur permettre de continuer leur ascension dans des conditions que nous souhaitons les plus favorables pour eux, et pour tous nos coureurs. Michel s’en est préoccupé très tôt dans la saison.
Marotte et Bresset sont les locomotives du team. Quels sont les enjeux de leur présence aux JO et les attentes des partenaires ?
A côté du rôle « développement de produit » d’un team, le sponsoring sportif offre un taux de rentabilité exceptionnel à ceux qui décident de communiquer de cette manière. Certains de nos partenaires ont pu quantifier cela de manière édifiante l’année dernière… mais il y a évidemment une contrepartie à ça : l’incertitude du sport. Je crois que nos sponsors en sont conscients, et si nous ressentons une vraie motivation de leur part à tous, nous ne vivons pas ça comme de la pression, mais comme un soutien supplémentaire. Leurs attentes sont certainement grandes, et c’est légitime, mais je dirais que les nôtres et celles des pilotes le sont déjà et suffisent à nous pousser à tous donner le meilleur de nous-même, chacun avec ses compétences.
L’intégration de la championne de Suisse Espoirs et d’un jeune Belge laissent-elles un espoir d’un troisième pilote aux JO ?
Je ne crois pas que Michel ait vu les choses en ces termes. Les équipes sportives ne vivent pas que pour les JO, même si à partir d’un certain niveau, c’est incontournable en termes de retombées. Suisse ou Belge, Lorraine Truong et Ruben Scheire sont avant tout des coureurs, des athlètes que Michel a jugés susceptibles d’être performants, et de bien s’intégrer à la vie du team. Nous avons déjà pu apprécier leur présence à Peisey Vallandry, et le déplacement à Chypre s’est bien passé pour Ruben, Lorraine étant prise à ses études d’ingénieur.
Lucie Chainel, de retour sous les couleurs du team, a annoncé des ambitions mondiales, voire même de Jeux. Dans quelles conditions s’est passée son intégration et quels sont vos attentes ?
J’ai eu un entretien avec Lucie à son arrivée, je n’ai pas eu l’impression qu’elle affichait des prétentions d’un orgueil démesuré. Elle adore le sport et le vélo, elle a repris le cyclo-cross cette saison avec des sensations meilleures que jamais, et des résultats inédits : elle aimerait tout simplement tester sa forme sur la discipline de ses débuts, le VTT. Yvon Vauchez a vanté ses mérites à Michel durant tout l’hiver, lui-même avait bien sûr remarqué son retour fracassant (et l’avait déjà dans son team il y a quelques années), et les discussions ont abouti. Il s’agit simplement d’offrir à Lucie l’opportunité de s’exprimer à VTT, avec les moyens nécessaires. Le cyclo-cross reste une discipline différente, Maxime et Julie ont pu s’en rendre compte en s’y mettant cet hiver. Lucie va donc devoir faire le transfert de ses qualités et redécouvrir le VTT, une discipline qui a changé depuis ses derniers tours de roues en compétition. C’est un joli challenge qui l’attend, et que nous allons relever avec elle. Le sport c’est aussi ça, pas seulement les JO.
A quoi t’attends-tu aux JO de Londres pour Julie Bresset et Maxime Marotte ?
Mon travail ne consiste pas à m’attendre à quelque chose pour Julie ou Maxime, mais à m’attendre à tout, pour leur préparer le terrain, et leur donner les bonnes munitions. Je pourrais donc dire ce que nous faisons pour Julie, Max, et leur quête des JO, mais pas ce à quoi je m’attends !
Propos recueillis par Jean-Baptiste Trauchessec le 8 mars 2012.