Nicolas, quelle est la nature et l’étendue de votre collaboration avec Nino Schurter ?
Je travaille avec Nino depuis 2001. C’est donc notre douzième année de collaboration. Nous nous voyons régulièrement, mais il s’agit malgré tout d’un entraînement envoyé avec un logiciel très performant qui s’appelle Ixmate.
Comment planifiez-vous la saison ?
Je planifie de semaine en semaine et chaque unité d’entraînement est très précise. En hiver et au printemps nous faisons des stages en commun avec beaucoup de force et de coordination, du ski de fond, de la course à pied et… du vélo, VTT et route. Lorsque nous travaillons ensemble, je participe à toutes les séances. Nous nous voyons souvent chez Nino, à Coire et à Macolin, un centre national d’entraînement très performant au niveau des installations et parfait pour le ski de fond et le VTT. Lors de ces stages, nous sommes souvent seuls ou alors avec d’autres athlètes tels que René Wildhaber, que j’entraîne aussi. La planification annuelle est faite en concertation avec Nino. On discute ensemble des compétitions auxquelles il va participer. Puis je contacte les scientifiques de Macolin pour être conforté dans mes choix, surtout en ce qui concerne la planification des camps en altitude, car Nino me fait entièrement confiance. Ensuite on fait une proposition à Thomas Frischknecht. Il accepte quasiment toujours nos propositions, mis à part quelques détails liés aux sponsors. Ainsi cette saison il n’y aura jamais plus de trois compétitions sur trois week-ends consécutifs. Ensuite il y a au minimum un week-end sans compétition.
A ce niveau et au vu des enjeux olympiques, un soutien psychologique est-il nécessaire ?
Pour Nino non ! Pour moi oui ! En effet, nous sentons bien que les attentes sont énormes. J’essaye de prendre un maximum de pression sur moi, afin de délester Nino. Il se concentre sur le travail à effectuer, essaye de tout faire pour rester en bonne santé (NDLR : il était malade à La Bresse) et de faire les choses avec un maximum de qualité et de concentration, step by step.
Dans la recherche de la performance, des conseils et un suivi diététique sont-ils obligatoires et imposés à Nino Schurter ?
Rien n’est imposé à Nino, mais beaucoup de choses lui sont proposées, aussi en ce qui concerne la nutrition. Il fait tout ce qu’il peut pour être performant à ce niveau-là. Le VTT est un sport extrêmement multifactoriel. On ne peut donc rien laissé au hasard. J’essaye de veiller à cela. Mais attention, je ne m’improvise ni préparateur mental, ni nutritionniste ! Chacun son métier.
Quelles sont vos relations avec les dirigeants du team Scott-Swisspower, notamment Thomas Frischknecht ?
J’ai couru avec Thomas dans les années 90. La première fois que je l’ai rencontré sur une compétition, il était encore Junior et il courait pour le team Mondia Kuvahara. Moi, je suis chez Scott depuis 1989. Lui est arrivé beaucoup plus tard. En 2000, à la création du team Scott-Swisspower, il a engagé ma fille Emilie, qui est devenue championne d’Europe avec lui en 2004 en Pologne. J’ai toujours eu énormément de respect pour tout ce qu’il a fait dans le vélo, mais surtout pour ce qu’il est. Je crois que lui me respecte aussi. C’est lui qui m’a demandé d’être l’entraîneur officiel de notre équipe. J’entraîne donc son fils Andri et le champion suisse Zumstein qui ont pas mal de succès malgré un apprentissage de charpentier très prenant. Je peux dire que notre relation est devenue, au fil du temps, une véritable amitié ! Et moi, je fonctionne beaucoup avec ça.
Quelles sont vos responsabilités et votre « pouvoir » décisionnel au sein du team pour appliquer une éventuelle tactique de course ou prendre en compte un état de fatigue ou pic de forme de votre athlète ?
C’est ce que j’apprécie énormément chez Thomas, c’est qu’il me laisse les coudées franches. Les décisions, nous les prenons avec Nino en ce qui concerne l’entraînement et la planification. En ce qui concerne l’entraînement, les pics de forme, les phases de récupération, la répartition des charges externes et internes, c’est moi qui planifie, prépare et propose, seul. C’est une lourde responsabilité car un entraîneur est responsable des résultats des athlètes. Aussi de ceux qui sont moins bons… La tactique est discutée de manière informelle et c’est Nino qui décide. J’ai toujours voulu qu’il devienne, le plus tôt possible, le chef de son projet. Dans notre sport, l’autonomie et l’indépendance d’esprit sont des valeurs très importantes. Au sein du team, je me sens extrêmement libre. C’est clair que si les résultats n’étaient pas ce qu’ils sont, la situation serait peut-être différente.
Entraîneur, est-ce votre profession principale ?
Mon métier est instituteur à l’école primaire du Marché-Neuf à Bienne. J’enseigne tous les matins dans ma classe à des enfants de 9 et 10 ans. J’ai donc tous les après-midis à disposition pour mon métier d’entraîneur et pour m’entraîner (plus de 800 heures par années). Je suis breveté et diplômé entraîneurs Elite de Swissolympic, le plus haut niveau des entraîneurs en Suisse. Au sein de ma société, je fais aussi du consulting (formation des entraîneurs) et du coaching. Mais la majeure partie du temps, je m’occupe de la vingtaine d’athlètes sous contrat avec ma société. Parmi eux, il y a Nino, mais aussi Emilie, René Wildhaber, Alban Lakata, Roger Walder et un jeune Polonais qui vient de se qualifier pour les JO de Londres, Piotr Brzozka. J’entraîne aussi le meilleur Junior mondial de la classe d’âge 1995, Manuel Fasnacht, qui est un grand talent et qui a obtenu le 9ème rang à La Bresse, très près de Romain Seigle.
Avez-vous pratiqué le sport à haut-niveau ?
J’ai toujours été un fanatique de sports en tous genres. J’ai fait énormément de ski alpin, mais sans talent car mon potentiel musculaire n’était pas adapté à ce type d’activité. En VTT par contre, les fibres lentes étaient m’ont amené à gagner deux fois le Grand Raid Verbier-Grimentz. A 35 ans, je me suis remis à skier, mais sur les skis de fond, et en 1999 je suis devenu champion du monde Senior sur 50 kilomètres libre.
Vos compétences peuvent-elles s’appliquer en VTT mais aussi en cyclo-cross et en route ?
Oui et non ! Avec Andri Frischknecht et Dominich Zumstein, nous avons obtenu de très bons résultats en cyclo-cross, Top 10 en Coupe du Monde et Championnats du Monde Juniors, mais je préfère me concentrer sur ce que je sais faire, c’est-à-dire le VTT.
Selon vous, quelles sont les spécificités du VTT par rapport aux autres disciplines ?
En guise de boutade, j’avais écrit que, pour faire un bon vététiste, je préfère choisir un acrobate de cirque qu’un routier. C’est une boutade mais il y a un peu de ça malgré tout. Toute ma philosophie de l’entraînement est articulée autour de la technique. Et la technique c’est de la coordination spécifique. Afin de l’appliquer sur le terrain, il faut de la force, beaucoup de force. Pour moi, il n’est pas possible de travailler la force exclusivement sur le vélo. Nino consacre plus de 20 % de son temps d’entraînement à la force et la coordination, en salle de musculation. En fait, c’est grâce à Jean-Pierre Egger (NDLR : ancien entraîneur de Werner Gunthör, champion du monde du lancer de poids et entraîneur actuel de Valérie Adams) que j’ai évolué dans cette direction. J’ai toujours eu l’image d’un athlète idéal pour notre sport. Cette image est très proche de celle de Nino aujourd’hui. Un coureur de 173 cm pour 68 kg. Puissant et explosif afin de correspondre au format du XC de 2012. Les seuils ne sont intéressants que pour l’athlète lui-même. Il ne faut pas les comparer avec d’autres athlètes. Sa puissance relative est par exemple légèrement moins élevée que celle de Vogel car Schurter est plus lourd malgré sa plus petite taille. Mais les 2 kg qui les séparent et qui constituent un désavantage dans les tests constituent un avantage sur le terrain sur des parcours tels que celui de Pietermaritzburg. Mais n’allez pas croire que nous ne travaillons pas sur le développement du moteur. La progression de Nino est exemplaire depuis l’âge des Cadets. Par contre, il ne gagnera pas l’Alpe d’Huez. Mais ce n’est pas notre but non plus ! A mon avis, Nino fait partie des trois meilleurs techniciens actuels.
Quelles sont vos références en la matière ?
Jean- Pierre Egger. Gérard Brocks, je ne le connais pas beaucoup. Par contre, je sens que c’est quelqu’un dont j’ai envie de me rapprocher, après la carrière de Julien Absalon. En effet, ses valeurs me semblent proches des miennes. Nature, respect et intégrité. La situation actuelle fait que nous ne pouvons pas être trop proches, mais j’espère que ça viendra. Je me sens parfois plus proche de mecs comme Yvon Vauchez ou Yvan Clolus que mes collègues suisses alémaniques. En effet, en tant que Jurassiens, nous sommes très vite sur la même longueur d’onde. Un des responsables scientifiques du centre de recherche de Macolin, Jorg Fuchslocher, m’a beaucoup aidé à mettre au point mon concept d’entraînement pour le VTT FCMtb concept.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Trauchessec.