Gunn-Rita, comment une jeune fille devient-elle un jour vététiste en Norvège ?
Quand j’ai commencé le VTT je n’étais pas si jeune puisque j’avais déjà 22 ans. J’ai pratiqué un peu de ski de fond mais jamais à un niveau national. Que je me mette au VTT a vraiment été une coïncidence. J’ai été invitée par des amis à partager une sortie d’entraînement en avril 1995. Ce n’était pas quelque chose de très commun pour moi. Je suis allée faire quelques tours à l’entraînement avec eux, c’est pourquoi je dis que ça a été une coïncidence. Je crois que j’ai aimé le VTT à la première minute où je l’ai découvert. J’ai gagné le Championnat de Norvège et, trois mois plus tard, je suis devenue championne nordique.
Tu es passée professionnelle en 1995. En dix-sept ans de carrière, quels changements majeurs as-tu relevés ?
Je pense que les gens travaillent plus dur et plus sérieusement qu’il y a dix-sept ans. Chacun est bien davantage préparé pour les objectifs qu’il s’est fixés. On prend toujours le temps d’aller boire un café mais chaque minute de notre temps est désormais compté. L’industrie du vélo aussi a beaucoup évolué. Quand j’ai disputé les premiers Jeux Olympiques de VTT à Atlanta en 1996, mon vélo pesait 12,5 kg. A Athènes, huit ans plus tard, il pesait 10,4 kg. Aujourd’hui, il pèse 8,1 kg voire 7,9 kg. Beaucoup d’évolutions sont intervenues sur le matériel.
Quel a été ton parcours avant de rejoindre Merida ?
J’ai réalisé trois saisons avec American Eagle, puis trois autres saisons avec le team DBS. Puis en 2000 j’ai eu une saison catastrophique. Dans le cadre de ma préparation pour les Jeux, j’ai passé deux semaines dans un caisson d’altitude, qui simulait les effets de l’altitude. Or ce programme m’a épuisée. Je n’ai quasiment pas couru en 2000 et j’ai perdu la confiance de mon team. Merida a alors été la seule structure à croire en moi. Le team m’a donné le temps dont j’avais besoin pour retrouver mon meilleur niveau et devenir championne olympique en 2004.
Comparativement à la grande époque où tu gagnais tout, il y a désormais davantage de filles capables de jouer la gagne au niveau mondial, est-ce comme ça que tu ressens les choses ?
Bien sûr, il y a la concurrence qui s’est accrue et il y a aussi les distances qui ont diminué. Aujourd’hui les courses sont plus courtes. Par le passé, on pouvait faire jusqu’à douze tours sur un circuit. Désormais nous en faisons cinq au maximum. C’est aussi ça la grosse différence. Les parcours aussi ont évolué. Ils sont plus techniques, plus agressifs. Ça change la donne.
Tu sembles en meilleure condition par rapport à l’an dernier, est-ce une réalité ou juste une impression ?
Non, je suis effectivement en meilleure forme. Nous avons bénéficié d’un bon hiver qui m’a permis de bien m’entraîner semaine après semaine. J’ai pu m’entraîner là où je n’avais pu le faire un an plus tôt. Je me sens mieux que l’an passé et beaucoup d’observateurs l’estiment également !
Où passes-tu la période hivernale ?
D’ordinaire, je rentrais en Norvège entre novembre et décembre, mais à cette période de l’année il n’est pas vraiment possible de rouler. Cette année nous avons essayé de prendre les meilleures décisions possibles. J’ai passé cinq semaines à Gran Canaria avant Noël. C’est quelque chose que je n’avais jamais fait. J’ai passé cinq autres semaines à Lanzarote, toujours dans les îles Canaries, avant le stage de l’équipe à Majorque en février. Entre l’hiver précédent où j’étais malade et où il y avait de la neige à la maison, j’ai réalisé une bien meilleure préparation. Mon niveau actuel me satisfait tout à fait.
Le premier grand rendez-vous que tu t’es fixé, ce sera samedi à Pietermaritzburg ?
Ce sera une journée excitante, à l’évidence, mais je ne pense pas que je m’y présenterai avec une forme proche de ma meilleure condition. C’est une course importante parce qu’elle permettra de répondre aux questions qu’on se pose à l’aube de la saison : comment est-ce qu’on est, quels sont les points qu’il faut encore travailler… Je ne serai sans doute pas au top donc je ne me mets pas de pression particulière. Si je termine entre le Top 10 et le Top 20 ce sera bien en vue de ma préparation olympique. Je compte surtout progresser au cours des trois-quatre premières Coupes du Monde.
Tu es sûre d’être sélectionnée dans l’équipe de Norvège avec Lene Byberg ?
Non, mais quand on regarde les toutes dernières saisons, il n’y a qu’elle et moi pour représenter la Norvège à Londres. Normalement, bien que ce ne soit pas officiel, j’y serai.
Penses-tu pouvoir rafler la médaille d’or aux Jeux Olympiques ?
C’est possible, oui ! Ce n’est pas quelque chose à laquelle je rêve toutes les nuits, mais je pense qu’il est important d’y croire. Sans cela tu ne peux pas être capable d’atteindre tes objectifs. Et en même temps c’est incroyable le travail que ça réclame. Nous allons nous rendre à Londres le mois prochain pour mesurer la difficulté du circuit, puis je me focaliserai sur ma préparation pour les Jeux.
Quels podiums verrais-tu ?
Je dirais que ça va se jouer entre Julien Absalon et Jaroslav Kulhavy, ça c’est sûr. Je pense à Kulhavy en numéro un, Julien Absalon en deux. José-Antonio Hermida pourrait compléter ce podium. Chez les filles, les deux qui ont marqué la saison dernière, Catharine Pendrel et Julie Bresset, se battront sûrement pour l’or. Je ne veux pas prédire qui sera sur la plus haute marche du podium. J’y serai peut-être ! Mais les deux filles qui ont marqué la saison passée feront certainement la décision.
Quel regard portes-tu sur les performances de Julie Bresset ?
Je pense qu’elle a un avenir incroyable dans le VTT. Elle semble être très bien entourée là où elle est. Elle peut gagner beaucoup de courses dans les années à venir. Elle a du bon matériel, un staff qui ne lui met pas la pression, c’est tout ce dont on peut rêver quand on pratique du sport à haut niveau.
Entre une médaille à Londres et un titre de championne du monde, que choisis-tu ?
Le titre de championne du monde, sans hésiter. C’est à mon sens le plus grand rêve de tout pilote. Je ne suis jamais devenue championne du monde en tant que maman et c’est quelque chose que j’aimerais réaliser.
Envisages-tu d’aller aux Championnats du Monde marathon à Ornans ?
Il faut que je me qualifie mais ça fait aussi partie de mes ambitions. Le week-end après les Jeux Olympiques, je participerai aux Championnats d’Europe de marathon à Graz-Statteg. J’y viserai un Top 20 pour être sélectionnée aux Mondiaux, qui seront un jour important dans ma saison 2012.
Le cross-country marathon convient-il mieux aux pilotes d’expérience ?
Les parcours des marathons sont peut-être plus rudes, plus extrêmes, mais les meilleures sont devant quoi qu’il en soit. La vraie différence, c’est que ces tracés ne permettent pas à tout le monde de s’y tester, contrairement à un cross-country de format olympique, dans les cordes de n’importe quel pilote. Le marathon, je pense que c’est un vrai truc d’amoureux de VTT.
Penses-tu parfois à ton avenir après le VTT ?
Je voue une passion très forte pour le VTT. Il est certain que je ne vais pas continuer à ce niveau dix ans de plus. Mais je pense que je vais perdurer encore un certain temps, peut-être en me concentrant sur des courses marathons ou en devenant une ambassadrice du VTT pour encourager les gens à pratiquer. Ce serait une belle aventure.
Est-il difficile d’exister en Norvège face à des coureurs comme Thor Hushovd et Edvald Boasson-Hagen ?
Non, pas pour moi. Nous avons en commun d’avoir obtenu des résultats exceptionnels. Il n’y a pas de compétition entre nous. Ils me respectent pour ce que je suis. Les médias norvégiens aussi. Ce sont de grands champions. J’aimerais peut-être que davantage de journalistes s’intéressent au VTT et que la discipline soit plus régulièrement à la télé. C’est un challenge que d’intéresser les gens au VTT.
Quelle est la différence entre Gunn-Rita Dahle avant et après la maternité ?
Devenir maman est la plus belle chose au monde. Je suis probablement quelqu’un de plus comblée, de plus heureuse, même si j’ai eu une vie magnifique avant de devenir maman, mais rien de comparable avec le bonheur que procure la maternité. Je me sens vraiment heureuse.
Propos recueillis à Playa del Muro le 11 février 2012.