Titouan, peux-tu tout d’abord présenter aux lecteurs de Vélo 101 ce qu’est le Cross Country Eliminator, également appelé XCE ?
Il y a plusieurs disciplines dans le Cross Country : Olympique, Marathon, Short Track et donc Eliminator. Cela se court sur un circuit d’environ un kilomètre et dure plus ou moins deux minutes. On commence toujours par une qualification individuelle au temps, où chaque coureur part toutes les trente secondes. Les 32 meilleurs temps sont retenus pour la suite, puis se déroulent les huitièmes de finale, quarts, demis et finale. C’est à chaque fois quatre par quatre, les deux premiers sont retenus pour la manche suivante, les deux derniers sont éliminés, jusqu’à la finale où les quatre meilleurs se distribuent les médailles et la quatrième rentre bredouille (rires).
Ce système d’élimination fait donc parcourir cinq fois le parcours aux meilleurs pilotes ?
Cinq fois c’est ça, c’est tout le temps le même format. Au tout début du XCE on avait des formats à six, mais cela a été très vite abandonné car ils se sont rendus compte que souvent, si on essaie de mettre des parties techniques dans le parcours cela fait souvent des écarts. C’est rédhibitoire pour le sixième, il est beaucoup trop loin de la tête donc ils se sont concentrés sur le format à 4, et cela se déroule très bien comme ça.
C’est une discipline qui date du début des années 2010, et qui est donc très jeune…
Je crois que la première Coupe du Monde en test c’était en 2012, après il y a eu en 2013 et 2014 un classement général de la Coupe du Monde sur les manches de Coupe du Monde de VTT Olympique. A ce moment, il était question que le XCE passe aux Jeux Olympiques, sauf que cela ne s’est pas fait. L’UCI a donc mis le frein là-dessus et ils ont supprimé la Coupe du Monde en 2015 et 2016, tout en conservant les championnats du Monde et les championnats d’Europe. Et depuis 2017, la Coupe du Monde est repartie mais en parallèle du circuit Coupe du Monde XCO, sur d’autres lieux, et cela se déroule surtout en ville.
Quelles qualités possèdent un pilote de XCE par rapport à un pilote XCO ?
Je pense que c’est pour ça que le XCE a eu un petit peu de mal à décoller, car les grandes stars du VTT étaient des crosseurs olympiques, donc habitués à une course d’une heure et demi d’efforts, sur des parcours qui sont de plus en plus durs. Ils ont presque des morphotypes de grimpeurs sur route pour performer là-dedans, et les pilotes de XCO n’étaient pas du tout devant, car ce sont des qualités totalement opposées qui sont demandées sur le XCE. On est très explosifs et on nous demande d’avoir une résistance à l’acide lactique très haute. C’est un petit peu à l’image d’un coureur de 100 mètres en athlétisme par rapport à quelqu’un qui fait du 5 000 mètres. Si on oppose Mo Farah à Usain Bolt sur 100 mètres, Mo Farah ne fera pas un pli et inversement sur 5 000. Les stars du XCO sont donc venues s’essayer un petit peu au XCE. Nino Schurter par exemple a fait quelques Coupes de Suisse à l’époque, mais il n’a jamais fait de finales de sa vie. C’était une discipline nouvelle, avec de nouveaux spécialistes, donc je pense qu’il fallait un petit peu de temps pour que ça rentre dans les mœurs et qu’on se fasse connaître.
Donc pour toi, est-ce possible de passer du XCE au XCO et inversement ?
Alors, j’aurais tendance à dire non, mais ces dernières années on voit une émergence de pilotes avec des capacités physiques assez incroyables. Mathieu Van der Poel, je pense que le jour où il veut s’essayer au XCE, vu le talent qu’il a, il ne sera pas ridicule. Je dirais que dans 95 % des cas ce n’est pas possible, mais cela dépend aussi des parcours. Si on a un parcours de XCE très physique, très roulant, très long, un crosseur olympique avec de bonnes qualités de punch peut venir s’en sortir mais à l’inverse un pilote de XCE qui a de bonnes qualités d’endurance peut aussi s’en sortir sur du XCO. Mais ce sont quand même deux disciplines opposées.
Quelles sont les différences au niveau matériel ?
Il n’y a pas beaucoup de différences. En XCE, on roule tous en semi-rigide, tandis que la norme en XCO est presque devenue le tout suspendu. Moi j’utilise un vélo de série, et c’est sur quelques réglages que cela va changer un peu. Au niveau des pneumatiques , en cross olympique on a tendance à bétonner les pneus et qu’ils soient bien renforcés, alors qu’en XCE on est sur des pneus light. Au niveau du réglage de la fourche je mets vite 10 ou 15 PSI de plus dedans. Mais là où il y a le plus grand changement c’est pour la denture au niveau du pédalier. La plupart du temps en XCO on est sur un 34 ou un 36, moi je suis sur un 40 en XCE.A l’arrière j’ai une cassette 11 vitesses de 10×46. Le 46 n’est jamais utilisé en course mais on s’en sert pas mal sur les reconnaissances.
En regardant un petit peu les courses, on a l’impression que tout se joue au départ. Mais est-ce réellement le cas ?
On m’en parle souvent (rires). Mais non ce n’est pas du tout le cas. C’est vrai que le départ est très important, mais tout ne se joue pas là. Moi c’est ma façon de gérer mes courses, parce que le départ est ma grande qualité. Avec les années j’ai réussi à devenir plus complet et à tenir le run jusqu’au bout à fond et même à avoir une ligne droite finale intéressante, donc souvent ma tactique c’est je pars à fond, je me mets devant comme ça je sécurise les trajectoires, je roule à mon rythme dans le technique et j’arrive à tenir jusqu’à la fin. Mais on voit quand même souvent des rebondissements. Sur la dernière manche de Coupe du Monde, Hugo Briatta, mon collègue de Team, était devant toute la finale avec un petit peu d’avance et il s’est fait passer sur le fil par l’Autrichien Federspiel.
Quelle tactique adopter quand, après un départ, le pilote se retrouve en deuxième ou troisième position ?
Il y a toujours des endroits où l’on peut doubler si l’on est plus fort physiquement. Tout dépend aussi du parcours. Par exemple entre les championnats d’Europe et la Coupe du Monde qui a suivi c’était presque une anti-thèse. Sur les Europe, on était sur un temps de course très court de 1’15, et sur la Coupe du Monde c’était presque 2’10. Donc ça change beaucoup la façon de gérer la course. Sur les championnats d’Europe, c’était très intéressant de rouler devant pour avoir ses trajectoires, essayer de fermer les portes. Sur la Coupe du Monde c’était plus roulant et plus rapide donc le fait d’être deuxième ou troisième n’était pas très gênant.
Les parcours sont-ils très variés ?
On voit un petit peu de tout, et c’est ce qui est intéressant. Certaines fois il y a des parcours 100 % urbains avec quelques modules, roulants, pas très techniques, et à l’inverse sur les championnats du Monde de Chengdu l’an dernier c’était un parcours très complet qui mixait de l’urbain avec du naturel, on pouvait faire la différence en descente avec de grosses qualités techniques, des montées très raides, donc c’est une discipline très complète avec beaucoup de parcours différents. Et c’est pour cela aussi que le classement change pas mal, ce ne sont pas toujours les mêmes qui sont devant.
On l’a dit tout à l’heure, c’est une discipline jeune. Qu’est-ce qui peut la faire grandir ?
J’ai deux réponses toutes simples. Pour commencer, c’est une couverture télé régulière. On se rend compte que c’est le nerf de la guerre, une course en direct à la télé offre beaucoup de visibilité pour les partenaires, donc les sponsors ont tendance à y mettre les moyens. L’autre chose c’est si le XCE a la chance de passer aux JO. C’est la plus grande manifestation sportive au monde donc c’est la même chose, les partenaires investiront plus. Je pense que le XCE a beaucoup d’arguments car c’est la seule discipline du VTT, avec le Trial, qui peut être amenée au centre des villes, là où le public est. Souvent on est sur la place du centre-ville d’une grande ville, il y a des cafés autour, les gens sont là, viennent voir ce que c’est et regardent. C’est très facile à mettre en place avec un menuisier qui assure un petit peu et fait quelques modules sympas. Après c’est une discipline jeune, il faut le temps qu’on fasse notre trou et que ça rentre dans les mœurs.
Interview réalisée par Adrien Godard