Il y a dans le sport de haut niveau un risque, toujours, de devoir tout arrêter, du jour au lendemain. La blessure n’épargne que très rarement l’athlète à un niveau de performance que peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir un jour atteint. Parfois, le mental de ce genre d’individu parvient à masquer de terribles douleurs. Parfois, et malheureusement la plupart du temps, le corps humain est à bout de forces et l’athlète à l’arrêt forcé. Alors que les spéculations allaient bon train au sujet de la formation luxembourgeoise RadioShack-Nissan et de possibles dissensions entre son manageur Johan Bruyneel et les frères Schleck, le Critérium du Dauphiné, la semaine passée, n’avait fait qu’enfler les inquiétudes de chacun. Aussi, jeudi dernier, une violente rafale de vent mettait Andy Schleck plus bas que terre.
Le regard grave, il accueillait alors les journalistes avec sérénité et certitude. La question était alors managériale et concernait la participation ou non de son frère, Frank, au Tour, à ses côtés. Aujourd’hui, évidemment, cela n’est plus qu’anecdotique. Ce qui l’est moins, finalement, c’est cette rafale de vent. Comme un symbole de la malchance qui entoure la formation luxembourgeoise cette année, comme une métaphore de la saison d’Andy Schleck. Vierge, c’était jusqu’alors la teneur du palmarès du garçon depuis le début de la saison. Grand acteur du marché des transferts avec la fusion RadioShack/Leopard-Trek, il avait tout prévu pour faire de juillet un des plus beaux mois de sa vie, il n’en sera finalement rien.
Leader désigné par Johan Bruyneel en début d’année, il assurait tenir le bon cap malgré un enchaînement de contre-performances. Certain de sa réussite prochaine, conscient des progrès contre la montre à l’entraînement, même ses rivaux et Bradley Wiggins en tête l’affirmaient, on pourrait compter sur lui. Vainqueur du Tour de France sur tapis vert, en 2010, ses envies de jaune dépassaient a priori tout conflit d’intérêt. Pourtant, aujourd’hui, par la force du temps et parce que la nature sera à jamais plus forte que les hommes, les mauvaises traductions des journalistes ces dernières semaines prennent tout leur sens. A 16h00 et plein de tristesse, Andy Schleck l’a confirmé, il ne sera pas au départ du Tour de France.
Plus fort que la pression, plus fort que les doutes qui l’entouraient et alors que l’on ne saura finalement jamais si vers Saint-Vallier, il bluffait, ni même si vers Saint-Félicien il s’est volontairement laissé décrocher, et si vers Bourg-en-Bresse il rassurerait, la chute l’a écarté des routes pour les cinq prochaines semaines. Il n’y a plus qu’à être fataliste face à l’inévitable. Aussi, inutile de se demander si sans cette roue lenticulaire tout cela ce serait passé. Il n’y a plus qu’à panser ces blessures, guérir cette fracture du bassin et reprendre en main un destin. Il est facile de l’imaginer aussi effondré que ses ambitions. Car si dans l’histoire il n’y a pas mort d’homme, et que tout cela reste du sport, c’est l’histoire d’un homme qui laisse passer son rêve. Frank Schleck avait laissé le sien sur une portion pavée il y a de ça deux années, abandonnant son frère, seul et fatalement plus fort que jamais. Et si c’était finalement dans cette position qu’ils étaient les plus forts, ces deux-là ? A la détresse de son frère Andy, Frank voudra forcément apporter un peu de réconfort, tout de jaune vêtu. Avant de l’aider à aller gagner la Vuelta, pourquoi pas.