Les uns les autres se prêtent chaque jour au jeu de la réaction d’après-course, mais derrière les discours de circonstance, qu’est-ce qui peut bien animer l’esprit des coureurs qui, il y a deux semaines encore, se rêvaient vainqueurs du Tour de France. Au moment où s’efface la chaîne pyrénéenne et avant que ne se dessine le massif alpin (pas avant mercredi), les Quintana, Contador et Nibali, éparpillés dans le Top 10 à plusieurs minutes de Chris Froome (Team Sky), solide Maillot Jaune, ont-ils été gagnés par l’intime conviction qu’ils n’y arriveront pas ? Ou bien ébauchent-ils en secret de puissantes stratégies, déterminés à faire sauter le verrou Sky ? C’est bien sûr tout ce que l’on veut croire dans ce Tour de France dont le suspense ne semble plus être la popriété première. Du moins plus pour l’identité de l’homme à battre.
Du suspense, le Tour va pourtant nous en servir à tous les échelons de la course en cette étape de transition entre les deux massifs montagneux, courue sur 198,5 kilomètres de Muret (Haute-Garonne) à Rodez (Aveyron). Une étape accidentée qui fait les yeux doux aux attaquants mais reste dans les cordes de finisseurs à l’aise en bosse comme les 570 derniers mètres à 9,6 % qui la ponctuent. De quoi tirailler le peloton mais pas pour trop longtemps. Dès le 1er kilomètre, l’échappée du jour s’est dessinée autour de six hommes : Thomas De Gendt (Lotto-Soudal), Cyril Gautier (Team Europcar), Alexandre Geniez (FDJ), Nathan Haas (Garmin-Sharp), Wilco Kelderman (Team LottoNL-Jumbo) et Pierre-Luc Périchon (Bretagne-Séché Environnement).
Personne n’ira contester à ces six-là le bon de sortie matinal, mais en contrepartie l’échappée restera sous contrôle du peloton toute la journée, jamais l’écart ne dépassant les quatre minutes. Les équipes de sprinteurs veulent avoir le dernier mot à Rodez, et elles infligent au peloton une course usante dans le sillage des six de tête et sous une chaleur accablante. Car si les Sky écrasent le Tour, le ciel de feu écrase la course. Etouffant, oppressant, terrassant. La chasse à la canette est ouverte sur ces routes que la chaleur assommante fait danser dans un effet de distorsion. Ça chauffe surtout pour les échappés dont l’avance s’évapore dans le final usant par les côtes de la Pomparie (2,8 km à 5 %), de la Selve (3,9 km à 3,7 %) et de la Primaube, où les six se séparent en deux à 14 kilomètres de l’arrivée à Rodez.
Un bref moment d’inattention projette Jean-Christophe Péraud sur la chaussée râpeuse.
Pierre-Luc Périchon a sauté, puis Alexandre Geniez, et Nathan Haas, qui avait été le premier à tenter de s’isoler quelques minutes plus tôt. Ne restent plus dès lors que Wilco Kelderman, auteur du coup d’accélérateur responsable de cette scission, Cyril Gautier et Thomas De Gendt. Les trois vont rejoindre Rodez le peloton aux trousses, mais la courte rampe sur laquelle ils se jettent dans le dernier kilomètre s’élève tel un mur infranchissable. Dans un suspense insoutenable, Kelderman et Gautier sont à la lutte, talonnés par un peloton en tête duquel s’affairent momentanément quelques sprinteurs bien audacieux sur ce terrain-là. A commencer par Arnaud Démare (FDJ) dont le jump condamne l’échappée matinale à quelques hectomètres du but avant que l’ancien champion de France ne soit contraint de se ranger.
Deux coureurs ont fait le break sous l’impulsion de Greg Van Avermaet (BMC Racing Team). Dans le sillage du Belge se maintient le seul Peter Sagan (Tinkoff-Saxo), dont le maillot vert – virtuellement dérobé pour un point par André Greipel (Lotto-Soudal) en cours de route – reflète à merveille la régularité consternante. Depuis sa dernière victoire d’étape sur le Tour il y a deux ans à Albi, Peter Sagan multiplie les places d’honneur : six fois 4ème, quatre fois 3ème et désormais neuf fois 2ème puisque le Maillot Vert n’est pas en mesure, à Rodez, de trouver un second souffle pour contester la victoire d’étape à Greg Van Avermaet dans ce final haletant. Les favoris, Chris Froome en tête, ne tardent pas à se présenter sur la ligne d’arrivée, collés les uns aux autres comme ils l’avaient fait hier en haut du Plateau de Beille. Pour un statu quo préservé au général où le Britannique a toujours pour dauphin Tejay Van Garderen (BMC Racing Team).
Ex dauphin du vainqueur du Tour, il y a un an auprès de Vincenzo Nibali, Jean-Christophe Péraud (Ag2r La Mondiale) peut témoigner que les Tours se suivent mais ne se ressemblent pas. Un bref moment d’inattention à 65 kilomètres de l’arrivée le projette violemment sur la chaussée râpeuse. Le corps limé et sanguinolant, le cuissard en lambeaux laissant apparaître de profondes abrasions, Jicé repart dans la douleur, au courage, lui qui a dû admettre dans les Pyrénées qu’il n’était pas au niveau des années précédentes. Le Tour lui en fait décidément voir de toutes les couleurs. Ce soir il rejoint Rodez avec un débours de 5’44 » (33ème à 47’57 » au classement général) et des plaies à panser pour tâcher d’exister un tant soit peu dans ce Tour de France qui ne fait franchement pas le jeu des acteurs de l’édition 2014.
Demain samedi, une quatorzième étape stratégique interviendra entre Rodez et Mende (178,5 km), avec arrivée dans la côte de la Croix Neuve (3 km à 10,1 %).
Classement 13ème étape :
1. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) les 198,5 km en 4h43’42 » (42,0 km/h)
2. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) m.t.
3. Jan Bakelants (BEL, Ag2r La Mondiale) à 3 sec.
4. John Degenkolb (ALL, Giant-Alpecin) à 7 sec.
5. Paul Martens (ALL, Team LottoNL-Jumbo) m.t.
6. Chris Froome (GBR, Team Sky) m.t.
7. Vincenzo Nibali (ITA, Astana) m.t.
8. Alberto Contador (ESP, Tinkoff-Saxo) m.t.
9. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) m.t.
10. Tejay Van Garderen (USA, BMC Racing Team) m.t.
Classement général :
1. Chris Froome (GBR, Team Sky) en 51h34’21 »
2. Tejay Van Garderen (USA, BMC Racing Team) à 2’52 »
3. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 3’09 »
4. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 3’58 »
5. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) à 4’03 »
6. Alberto Contador (ESP, Tinkoff-Saxo) à 4’04 »
7. Robert Gesink (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 5’32 »
8. Tony Gallopin (FRA, Lotto-Soudal) à 7’32 »
9. Vincenzo Nibali (ITA, Astana) à 7’47 »
10. Bauke Mollema (PBS, Trek Factory Racing) à 8’02 »
Classement par points :
1. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) 285 pt
2. André Greipel (ALL, Lotto-Soudal) 261 pt
3. John Degenkolb (ALL, Giant-Alpecin) 228 pt
4. Mark Cavendish (GBR, Etixx-Quick Step) 192 pt
5. Bryan Coquard (FRA, Team Europcar) 120 pt
6. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) 111 pt
7. Chris Froome (GBR, Team Sky) 109 pt
8. Zdenek Stybar (TCH, Etixx-Quick Step) 78 pt
9. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) 77 pt
10. Tony Gallopin (FRA, Lotto-Soudal) 76 pt
Classement de la montagne :
1. Chris Froome (GBR, Team Sky) 61 pt
2. Joaquin Rodriguez (ESP, Team Katusha) 52 pt
3. Jakob Fuglsang (DAN, Astana) 41 pt
4. Richie Porte (AUS, Team Sky) 40 pt
5. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) 35 pt
6. Rafal Majka (POL, Tinkoff-Saxo) 32 pt
7. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) 32 pt
8. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) 32 pt
9. Robert Gesink (PBS, Team LottoNL-Jumbo) 28 pt
10. Gorka Izagirre (ESP, Movistar Team) 28 pt
Prix de la combativité :
1. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal)
Classement des jeunes :
1. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) en 51h37’20 »
2. Warren Barguil (FRA, Giant-Alpecin) à 6’44 »
3. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) à 14’17 »
4. Eduardo Sepulveda (ARG, Bretagne-Séché Environnement) à 26’01 »
5. Thibaut Pinot (FRA, FDJ) à 32’07 »
6. Adam Yates (AUS, Orica-GreenEdge) à 56’40 »
7. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) à 1h06’11 »
8. Wildo Kelderman (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 1’08’26 »
9. Emanuel Buchmann (ALL, Bora-Argon 18) à 1h09’46 »
10. Louis Meintjes (AFS, MTN-Qhubeka) à 1’15’06 »
Classement par équipes :
1. Movistar Team (ESP) en 156h04’17 »
2. Team Sky (GBR) à 6’07 »
3. Tinkoff-Saxo (RUS) à 27’11 »
4. Astana (KAZ) à 32’40 »
5. BMC Racing Team (USA) à 34’20 »
6. Team LottoNL-Jumbo (PBS) à 39’16 »
7. MTN-Qhubeka (AFS) à 47’15 »
8. Ag2r La Mondiale (FRA) à 48’07 »
9. Team Europcar (FRA) à 55’31 »
10. IAM Cycling (SUI) à 1h09’06 »