Professionnel entre 1999 et 2006, 3ème du Tour de Suisse 2002, Nicolas Fritsch est aujourd’hui conseiller auprès de l’agent Clément Gourdin. Tous les quinze jours, il nous apporte son point de vue sur l’actualité cycliste.
Jonathan Vaughters, s’est récemment exprimé en faveur d’une ligue fermée au niveau du WorldTour, sans montée ni descente donc, ceci afin de garantir aux sponsors une certaine visibilité à moyen terme, et notamment en ce qui concerne la participation au Tour de France. Car la Grande Boucle reste, bien que certains aimeraient que cela change, le phare de la saison cycliste, pour les coureurs, pour les médias, pour le public, et, surtout, pour les sponsors.
Il a là une vision tout américaine du monde du sport, où le business et le spectacle priment. Où, finalement, le résultat importe moins que les retombées. Quoi de plus normal quand on a grandi au pays de la NBA, de la NFL, et autre MLB ou NHL ? Cette idée du sport se heurte en Europe à la volonté de laisser la possibilité à un petit de devenir grand, en gravissant les divisions. Il existe cependant un mouvement de plus en plus important, notamment dans le football et évidemment à l’initiative des plus grands clubs, qui milite pour ce système de ligue fermée. Et, après tout, c’est bien logique. Comment convaincre des investisseurs sans pouvoir leur garantir la participation aux plus grands évènements, et alors même que les sommes engagées sont de plus en plus importantes ? Difficile à entendre, même si tout le monde a bien conscience de la glorieuse incertitude du sport…mais dans une certaine limite !
Je me place volontairement du côté business du sport, mais croyez bien que je suis également, et avant tout, un amoureux du sport dans sa version la plus pure. L’un n’empêche toutefois pas l’autre… Le cyclisme n’échappe donc pas à ce mouvement à l’heure où les budgets nécessaires au bon fonctionnement d’une équipe WorldTour atteignent des sommets. Le grand public n’en a probablement pas conscience, lui pour qui le cyclisme reste un sport populaire, souvent ingrat, mais où, pourtant, les salaires sont dignes des sports collectifs les plus populaires, voire même bien plus élevés tout en haut de l’échelle (mais aussi moins élevés en bas…), exception faite du football bien évidemment, et des sports US, donc.
Aucun sponsor ayant investi dans le cyclisme, et ayant participé au Tour de France, n’en est reparti mécontent et insatisfait. Les chiffres et les études sont formels : les retombées en terme de notoriété et d’image sont toujours intéressantes. Les sponsors devraient donc logiquement attendre patiemment leur tour avant de pouvoir investir dans une équipe WorldTour. Sauf que…non !
Alors que faut-il penser de l’idée de Jonathan Vaughters ? En ce qui me concerne, je suis pour. Pourquoi ? Justement pour pouvoir offrir des garanties aux sponsors. Plutôt qu’une pyramide, je vois le sport comme un sablier dont une des extrémités fournirait sportivement la seconde, quand celle-ci alimenterait financièrement la première. Plus il y a d’argent au sommet, plus il peut y en avoir à la base. Il ne s’agit pas d’opposer le sport professionnel au sport amateur, bien au contraire, les deux sont indispensables. Il convient en revanche de bien définir les règles, et cela, le sport US le fait très bien, par intérêt supérieur.
Le « problème » du cyclisme, c’est qu’il ne repose que sur les sommes investies par ses sponsors. Il n’y a pas de billetterie, pas de droits télés, très peu de merchandising, etc. Que vaut une équipe sans sponsor ? Rien, comme s’en est aperçu Oleg Tinkov, et c’est bien un problème. Et que retire un sponsor de son investissement dans le cyclisme ? De l’image et de la notoriété. C’est déjà bien, mais peut-être n’est-ce pas suffisant à leurs yeux ? Peut-être souhaiteraient-ils investir, puis revendre et gagner de l’argent ? Ce n’est pas le thème de cet article, mais ce sont tout de même des questions à se poser.
Le thème de l’article c’est le WorldTour ! Ce fameux WorldTour imposé aux équipes par une UCI peu à l’écoute, voire même dictatoriale. Il me semble que distinguer en partie le WorldTour du reste est une bonne chose, car il s’agit de business, tout simplement, et il n’y a aucune honte à le considérer comme tel, même si cela peut choquer les puristes. Je ne sais pas s’il faut s’affranchir de l’UCI, je ne le pense pas. Mais un WorldTour fort est nécessaire, à l’image de l’ATP au tennis, car c’est la vitrine du cyclisme. Et si cela peut sembler utopique compte tenu du climat actuel pour le moins conflictuel, il faudrait pourtant que l’ensemble des parties du cyclisme puisse s’entendre autour d’un projet commun.
Pourquoi ne pas imaginer une vraie « marque » WorldTour identifiable, un label, ou autre, peu importe la forme, issue d’une instance composée de managers d’équipes, de coureurs, de sponsors, de membres de l’UCI, d’organisateurs, dont l’objectif serait de définir un calendrier de base, avec les courses historiques, plus quelques-unes qui ont su gagner leur légitimité au fil du temps ainsi qu’un cahier des charges très précis à respecter. Cela existe certes déjà plus ou moins, mais plutôt moins que plus, car le WorldTour ne va pas assez loin, surtout au niveau financier, par manque de poids, par manque d’union.
Faire partie du calendrier WorldTour devrait avoir un coût, surtout pour les nouvelles épreuves qui souhaiteraient l’intégrer, et dont la présence devrait être négociée par toutes les parties et non uniquement par l’UCI. Il faut faire rentrer de l’argent dans le WorldTour, par les courses donc, mais également par les médias, par les partenaires, etc. « Vous voulez diffuser le Tour de France ou en être partenaire ? Ok, mais c’est un package avec tout le WorldTour ! » L’une des limites du cyclisme, c’est la négociation individuelle. Or on est bien plus forts ensemble, unis ! Même l’utilisation du label WorldTour devrait être rémunérée, quel que soit le support (textile, automobile, etc.). Bref, il faut faire rentrer un maximum d’argent dans les caisses du WorldTour. Pourquoi ? Pour le redistribuer aux équipes.
A la manière des sports collectifs, je pense qu’il serait plus intéressant de verser les prix aux équipes sans que ceux-ci ne soient redistribués aux coureurs. Evidemment, libre aux équipes et aux coureurs de négocier des primes de résultats. Quand le Real Madrid remporte la Ligue des Champions, c’est le club qui empoche le pactole, pas les joueurs (qui s’y retrouvent par ailleurs assurément). Les équipes doivent posséder des fonds propres, une réserve financière destinée à les aider à gérer leur fonctionnement avec plus d’indépendance et de latitude, et, pourquoi pas, à investir dans le foncier, dans un centre, etc.
Autre source de revenus : les transferts. Je sais que beaucoup y sont opposés, mais s’il s’agit de prendre l’argent là où il se trouve, alors pourquoi pas ? Si le BMC Racing Team ou le Team Sky veut un Romain Bardet ou un Thibaut Pinot encore sous contrat pour deux ans dans leur équipe, c’est à elle de payer ! Et à Ag2r La Mondiale ou la FDJ de faire bon usage de cette rentrée financière ! Cela pourrait d’ailleurs permettre aux équipes amateurs dont a fait partie le coureur de toucher une somme dont le montant dépendrait du nombre de saisons qu’il y a passées ainsi que de sa ou de ses catégories à l’époque.
Cela impliquerait peut-être la création d’un salary cap afin d’éviter qu’un énorme sponsor ne puisse tout dérégulariser durant un an ou deux, car le système doit être pérenne, et le spectacle conserver une part d’indécision et de concurrence, sous peine de lasser le public, et donc les médias.
A propos de médias, il est évident qu’une modernisation de l’usage des réseaux sociaux s’impose dans le cyclisme, à commencer par le WorldTour. Ces réseaux représentent aujourd’hui une potentielle forte rentrée d’argent, et beaucoup de sportifs ne s’y sont pas trompés, eux sur qui les marques misent et comptent pour assurer la promotion de leurs produits, de manière indirecte et plus personnelle. Si des sportifs isolés y parviennent, comment un WorldTour fort ne pourrait pas en faire de même, y compris en se servant de l’image de ses coureurs évidemment ? Car s’il y a des droits, il y a également des devoirs, pour le bien de tous, encore une fois.
C’est en mutualisant que l’on optimisera, et cela vaut encore plus à l’échelon inférieur ! Que peut offrir une simple course d’un jour de catégorie 1 en terme de visibilité, si ce n’est au niveau local ? Pas grand-chose, soyons honnêtes. En revanche si l’ensemble, par exemple, des épreuves de la Coupe de France s’associent autour d’un même plan de communication, alors la donne change.
Parce que s’il a beaucoup été question ici du WorldTour, je n’en oublie pas pour autant les équipes continentales professionnelles et continentales, ni les courses de catégories 1 et 2, si chères à Marc Madiot et qu’il a raison de défendre. Le cyclisme est un tout. Un calendrier WorldTour restreint laisserait la possibilité aux équipes WorldTour d’envoyer des coureurs disputer des épreuves de niveau inférieur.
A ce propos, disposer d’un beau calendrier, c’est très bien, mais bien en disposer c’est une autre affaire. J’entends par là, et sans tomber dans la démesure tinkovienne qui souhaitait voir les meilleurs participer aux trois Grands Tours, qu’il faut que les champions s’affrontent plus souvent au cours de la saison. Pourquoi ne pas imposer, à l’image du tennis qui se nourrit des affrontements, la participation à x (2 ?) Grands Tours, à x (3 ?) courses par étapes WorldTour, à x (4 ?) courses d’un jour WorldTour aux x (50 ?) premiers du classement WorldTour ? Qui n’a pas envie de voir Chris Froome, Alberto Contador ou Nairo Quintana être présents au départ d’un Paris-Nice, d’un Liège-Bastogne-Liège et d’un Tour de Lombardie, plutôt qu’uniquement en juillet ?
Un WorldTour à seize équipes permettrait à quatre ou six équipes continentales professionnelles d’être invitées sur les épreuves par étapes ou d’un jour du WorldTour. Ce qui, avec huit ou sept coureurs par équipe, offrirait un peloton de 160 coureurs environ, ce qui me semble plus responsable que de laisser 200 coureurs frotter sur des routes de moins en moins propices à la pratique du cyclisme.
Il me semble à la fois logique de jouer de la préférence nationale au niveau des invitations des équipes continentales professionnelles sur les épreuves WorldTour, mais également d’imposer aux équipes WorldTour la participation aux courses de catégorie 1 de leur pays, ainsi qu’à un certain nombre d’autres épreuves de catégorie 1, à étapes ou d’un jour. Ceci afin de garantir aux organisateurs la présence de x équipes WorldTour au départ de leur épreuve, ce qui représente pour eux un beau levier de communication.
Il y aurait encore beaucoup à dire et il ne s’agit là que de réflexions. Je ne prétends pas détenir la vérité même si le simple fait de s’exprimer pourrait le laisser entendre. Mais à l’heure des querelles et de la désunion, il apparaît indispensable d’être force de propositions, de discuter, d’échanger. Plus le système sera fort et les règles claires et strictes, et, il me semble, plus le cyclisme présentera un attrait important aux yeux des médias et de sponsors qui, surtout aujourd’hui, ont besoin d’être rassurés. Quoi de plus légitime ?