Il règne définitivement une atmosphère commune à tous les monuments du calendrier. Un panachage d’émotions teinté à la fois d’enchantement et de tension. Elle est incommensurable, cette tension, sur Milan-San Remo. La première classique printanière a beau être la plus longue de l’année, avec ses quelques 300 kilomètres, elle ne cesse pas un instant d’attiser la nervosité du paquet. Pour une raison aussi simple que ça : la Classicissima ne se gagne que sur un court laps de temps mais peut se perdre à tout instant ! Tout au long des 298 kilomètres qui relient la métropole lombarde à la cité ligurienne, via les terres d’abord, via la côte méditerranéenne et les capi qui la surplombent ensuite, les favoris et leurs équipiers sont à l’affût du moindre mouvement, prévenants, en défense le plus clair du temps bien avant de songer à l’offensive.
L’attaque, elle est d’abord réservée aux sans grades. Des mercenaires comme Oleg Berdos (Utensilnord Named), Pier-Paolo De Negri (Farnese Vini), Dmitriy Gruzdev (Astana), Cheng Ji (Project 1t4i), Vegard-Stake Laengen (Team Type 1-Sanofi Aventis), Michael Morkov (Team Saxo Bank), Juan-José Oroz (Euskaltel-Euskadi), Angelo Pagani (Colnago-CSF Bardiani) et Juan Suarez (Colombia-Coldeportes). Ces neuf-là forment très tôt l’échappée après laquelle devra courir le peloton lorsqu’il franchira le tunnel du Passo del Turchino et basculera en direction de la mer à 150 kilomètres du but. L’écart a alors atteint une douzaine de minutes, c’est tout à fait raisonnable sur une classique aussi longue. On sait par définition que l’échappée matinale n’ira pas au bout, tout juste servira-t-elle à donner un peu de piment à une procession qui se déroule sans heurts, en l’absence de vent et de pluie. On retrouvera même un franc soleil au bord de la mer.
Mais au moment où le ciel se découvre, c’est l’arc-en-ciel qui disparaît. L’introduction de la Manie sur le parcours de Milan-San Remo il y a quelques années était destinée à durcir la progression des coureurs avant l’enchaînement des capi dans les 50 derniers kilomètres. Elle joue amplement son rôle, exploitée par les Liquigas-Cannondale. Leur accélération provoque l’effet escompté. Elle met en difficulté un bon nombre de coureurs, au premier rang desquels le champion du monde Mark Cavendish (Team Sky). Le sprinteur anglais saute à 90 kilomètres du but et doit coûte que coûte rentrer dans le rang avant l’impitoyable succession des capi. Les Sky se démènent mais le groupe Cavendish accuse encore 50 secondes de retard au moment où s’élève le Capo Mele. Résigné, le champion du monde invite ses coéquipiers à renoncer !
Cancellara, Gerrans et Nibali se détachent dans le Poggio !
Le renoncement intervient aussi en tête de course, de manière plus logique, où les neuf échappés matinaux s’effacent à une cinquantaine de kilomètres du but. L’abnégation de Cavendish décuple les forces des plus gros collectifs, quel que soit l’objectif recherché. On assiste à un ballet d’équipes de puncheurs ou de sprinteurs aux avant-postes du peloton, ce qui ne laisse aucune ouverture aux attaquants avant la Cipressa, abordée à 28 kilomètres de l’arrivée et dont les 5,6 kilomètres à 4,1 % permettent à peine à Francisco-Javier Vila (Utensilnord Named) et Johnny Hoogerland (Vacansoleil-DCM) de trouver un terrain d’expression. Au sommet, le peloton est encore compact, bien que réduit à une quarantaine d’unités. L’élimination se fait par l’arrière plus que par l’avant. Pour Philippe Gilbert (BMC Racing Team), elle intervient sous la forme d’une chute collective qui l’envoie valser les quatre fers en l’air au sommet de la Cipressa.
Le peloton épousseté, il reste 10 kilomètres pour faire la décision. Et quand on quitte la voie principale pour bifurquer sur la droite, voilà l’ascension du Poggio qui démarre ! Le capo légendaire de Milan-San Remo est bref mais il convient de retarder au maximum son effort. C’est la tactique adoptée par Vincenzo Nibali (Liquigas-Cannondale), qui lance un authentique sprint à proximité du sommet. Deux garçons seulement sont capables de riposter : Simon Gerrans (GreenEdge) et Fabian Cancellara (RadioShack-Nissan). Derrière eux, le peloton s’est étiré mais n’a pas cédé, et quand les trois de tête basculent dans la descente technique du Poggio, tout aussi stratégique que son versant ascendant, rien n’est encore déterminé. Alors Fabian Cancellara prend la descente à son compte, entraînant avec lui ceux qui vont jouer la gagne.
Au bas de la descente, il reste 3 kilomètres à tenir jusqu’à la ligne d’arrivée. Sans se relever, Fabian Cancellara sollicite un relais. Simon Gerrans le prend furtivement puis revient se positionner dans la roue du rouleur helvétique. Derrière le trio, le peloton a fini par se cisailler. Il ne reviendra pas suffisamment vite sur Cancellara, Gerrans et Nibali. Des trois, le champion de Suisse est le plus actif. Simon Gerrans, qui s’apprête à le sauter sur la ligne, lui devra une fière chandelle car l’acharnement de l’Helvète à lui tout seul aura permis au trio de tenir en respect le maigrelet peloton lancé au sprint. Au coude à coude dans la dernière ligne droite, Simon Gerrans plein centre déborde ainsi Fabian Cancellara et Vincenzo Nibali pour empocher en Italie la plus belle classique de son palmarès appelé à s’embellir encore. Le palmarès de Milan-San Remo, lui, a pris pour de bon l’accent australien un an après le succès ici-même de Matthew Goss.
Classement :
1. Simon Gerrans (AUS, GreenEdge) les 298 km en 6h59’24 » (42,6 km/h)
2. Fabian Cancellara (SUI, RadioShack-Nissan) m.t.
3. Vincenzo Nibali (ITA, Liquigas-Cannondale) m.t.
4. Peter Sagan (SVQ, Liquigas-Cannondale) à 2 sec.
5. John Degenkolb (ALL, Project 1t4i) m.t.
6. Filippo Pozzato (ITA, Farnese Vini) m.t.
7. Oscar Freire (ESP, Team Katusha) m.t.
8. Alessandro Ballan (ITA, BMC Racing Team) m.t.
9. Daniel Oss (ITA, Liquigas-Cannondale) m.t.
10. Daniele Bennati (ITA, RadioShack-Nissan) m.t.