Dans certains sports, les championnats continentaux disposent d’une dimension majeure. En football, il n’y a qu’à considérer l’engouement que suscite l’Euro ou la ferveur entourant la Coupe d’Afrique des Nations pour s’en rendre compte. En rugby, le Tournoi des 6 Nations, réunissant les six meilleures sélections européennes, fait couler l’encre de tous les journaux sportifs à chaque printemps. En athlétisme, les championnats d’Europe sont même le pendant des mondiaux, disputés chaque année paire, se hissant ainsi au sommet de la hiérarchie des objectifs des athlètes.
En s’appuyant très majoritairement sur des épreuves courues en équipes de marques, avec un calendrier chargé en échéances de renom, le cyclisme dénote ainsi dans sa culture. Si les liserés arc-en-ciel du champion du monde font rêver n’importe quel coureur, peu en font l’objectif majeur de leur saison. Sélectifs par leur parcours, aléatoires par leur mode, usants par leur format, les mondiaux ne s’adressent chaque année qu’à une poignée d’hommes, qu’à ceux ayant gardé suffisamment de fraîcheur au terme d’une saison marathon. En termes de prestige, ils ne parviennent donc pas à égaler l’épouvantail du Tour, où tous les profils ont leur chance. Dans ces conditions, il est donc difficile d’imaginer comment des championnats continentaux pourraient occuper une place prépondérante dans le cœur et les objectifs des cyclistes. Le nombre de têtes affiches volontairement absentes des débats à Trente, dimanche, l’a encore prouvé. Mais après avoir restreint le cadre du sport sur le Vieux Continent le temps d’une semaine, il est temps de porter le regard ailleurs, au-delà de l’Atlantique et de l’autre côté de l’Oural, pour découvrir une série de compétitions de l’ombre, à portée limitée, sacrant chaque année des champions locaux, plus ou moins connus des pelotons du World Tour. Petit tour du monde des championnats continentaux de cyclisme sur route.
Championnats d’Asie de cyclisme
- Période de la saison : non fixe
- Fédération Continentale : Confédération Asiatique de Cyclisme
- Champions élites en titre : Yevgeniy Gidich (Kazakhstan) et Olga Zabelinskaïa (Ouzbékistan)
Iran et Kazahstan s’opposent régulièrement au sommet pour les lauriers du champion d’Asie | © IRNA
Connaissez-vous Yukiya Arashiro ? Actuel coureur chez Bahreïn-Merida et ancien protégé de Jean-René Bernaudeau, le sympathique japonais a récemment parcouru la Vuelta dans l’anonymat le plus total. Vainqueur du classement général du Tour du Limousin en 2012 ou encore 9e des championnats du monde en 2010, le natif d’Ishigaki a bien roulé sa bosse dans les pelotons internationaux, récoltant au passage une belle série de bouquets. Eh bien, sachez que dans cette collection figure notamment un titre de champion d’Asie, glané en 2011 devant l’ouzbek Muradjan Halmuratov et l’iranien Hossein Askari.
Son sacre symbolise dès lors la portée des championnats d’Asie. Relativement méconnus du grand public, les lauréats sont gregaris en World Tour ou les leaders de formations continentales locales. Le kazakh Yevgeniy Gidich (Astana – Premier Tech) ou l’émirati Yousif Mirza (UAE Team Emirates), vainqueurs des deux dernières éditions, illustrent parfaitement le premier cas, lorsque le chinois Xianjing Lyu, deuxième en 2019, symbolise le second aspect. Ultra dominateur dans le cadre national cette année-là, ce dernier s’est logiquement retrouvé aux avants postes des championnats d’Asie, sans avoir jamais foulé les routes européennes.
En outre, regroupant des pays où la démocratisation du cyclisme est difficile, l’épreuve a tendance à récompenser les nations réussissant le mieux dans cet exercice. Sur les dizaines de pays y participant, seuls 11 sont parvenus à y décrocher une médaille sur l’épreuve masculine, et le Japon, l’Iran et le Kazakhstan disposent à eux-seuls de 10 des 16 médailles d’or remises depuis 2004. Chez les femmes, le progressisme de Taïwan parle de lui-même au palmarès, l’ile de la Mer de Chine ayant notamment remporté toutes les éditions entre 2011 et 2015.
Championnats d’Afrique de cyclisme
- Période de la saison : début mai
- Fédération Continentale : Confédération Africaine de Cyclisme
- Champions élites en titre : Ryan Gibbons (Afrique du Sud) et Carla Oberholzer (Afrique du Sud)
Championnats d’Afrique de cyclisme | © Sport News Africa
En Afrique, l’effet est le même. Il suffit de regarder le palmarès du contre-la-montre par équipes pour avoir une fidèle idée des nations prédominantes. Chez les hommes comme chez les femmes, l’Erythrée et l’Afrique du Sud s’y disputent chaque année le titre, avec le Rwanda et l’Ethiopie en Afrique en arbitres. Ce constat étant fait, le tableau des championnats d’Afrique est dressé. Les deux premières nations citées ont remporté 15 des 16 dernières éditions masculines de l’épreuve en ligne. Une statistique à faire de l’Italie, vainqueure des quatre derniers championnats d’Europe, une petite joueuse.
Le palmarès met ainsi en évidence les bons élèves continentaux du vélo, les pionniers d’Afrique en la matière. Ce sont ces mêmes pays qui se partagent et s’échangent l’organisation de l’évènement, en locomotives continentales du développement du cyclisme. Progressivement, ils s’élèvent au plus haut niveau de la discipline, lançant de plus en plus de champions locaux dans le grand bain du World Tour. A l’inverse des championnats d’Asie, les lauréats africains sont capables de peser sur les courses européennes. C’est le cas de Ryan Gibbons, champion en titre, très en vue sur les routes de la Vuelta, ou de Louis Meintjes, titré en 2015, deux fois 8e du classement général final de la Grande Boucle.
Véritable laboratoire du cyclisme, les championnats d’Afrique ont tendance à devenir une vitrine du continent auprès de l’UCI. Le succès de l’édition rwandaise en 2018 a même conduit l’institution internationale à faire de l’ancienne colonie belge son favori pour l’organisation des mondiaux 2025. Ce serait alors une première en Afrique.
Championnats d’Océanie de cyclisme
- Période de la saison : mars
- Fédération Continentale : Confédération Océanienne de Cyclisme
- Champions élites en titre : Benjamin Dyball (Australie) et Sharlotte Lucas (Nouvelle-Zélande)
Benjamin Dyball lors de son sacre aux championnats d’Océanie en 2019 | © Caitlin Johnson
Comme en rugby avec la célèbre rivalité des Wallabies et des All Blacks, ces championnats d’Océanie de cyclisme sur route ont de sérieux airs de Classico. Australie versus Nouvelle-Zélande, voici leur programme annuel. Si ce « continent » insulaire compte bien 16 nations, seul le néo-calédonien Jean-Charles Goyetche est parvenu à briser l’hégémonie en 1999. Depuis, toutes les médailles, toutes épreuves comprises, ont été distribuées aux deux pays du Commonwealth. A ce petit jeu, l’Australie mène 10 titres à 4 sur l’épreuve en ligne masculine depuis 2005 (11 à 3 chez les femmes), date à partir de laquelle l’épreuve a acquis une tenue annuelle.
Dès lors, vous comprenez bien qu’il est impossible que ces championnats se courent par sélections. Effectivement, face à l’absence d’une concurrence internationale suffisamment ample, ils ont repris le modèle des championnats nationaux en se disputant par équipes de marques. C’est donc avec la tunique bleue ciel du Team Sapura Cycling que Benjamin Dyball a franchi en tête la ligne de la dernière édition tenue, en 2019. Dans ce cadre, il n’est pas rare de voir australiens et néo-zélandais concourir ensemble, et participer collectivement au sacre d’un coureur de l’une ou de l’autre nation. Et comme pour les championnats nationaux, les grosses cylindrées sont ultra favorisées, à l’instar du triplé réalisé par la Mitchelton-Scott en 2017, par l’intermédiaire des jeunes Lucas Hamilton, Michael Storer et Jai Hindley.
Ce palmarès symbolise d’ailleurs le profil des concurrents. De part la date tardive de la tenue de ces championnats (mi-mars), à une période où le gratin continental a déjà rejoint les routes européennes, les lauréats ont tendance à être de jeunes pépites poursuivant leur apprentissage sur leurs terres, ou des champions locaux, au calendrier bien obscur pour le grand public. Benjamin Dyball avait ainsi couru l’intégralité de sa saison 2019 en Asie, du Tour du Lac Qinghai au Tour de Langkawi en passant par le Tour d’Indonésie. Son sacre lui avait toutefois permis d’être recruté par la WorldTeam NTT, pour laquelle il a couru l’année suivante, découvrant notamment la Vuelta.
Par conséquent, s’ils ne connaissent qu’une faible médiatisation, y compris au sein de leur aire géographique, ces championnats d’Océanie ont un intérêt sportif non négligeable, consacrant chaque année les meilleurs espoirs du continent, ou offrant une belle ligne au palmarès de ceux qui sont passés sous les radars des grandes équipes mondiales. Les résultats ne trompent jamais, et projettent bien souvent les vainqueurs en Europe. Chris Harper, actuel pensionnaire de la Jumbo-Visma, ne pourra pas vous dire le contraire, lui qui courrait encore en continentale océanienne lors de son titre en 2018.
Championnats Panaméricains de cyclisme
- Période de la saison : début mai
- Fédération Continentale : Confédération Panaméricaine de Cyclisme
- Champions élites en titre : Nelson Soto (Colombie) et Paola Munoz (Chili)
Paola Munoz s’impose au sprint au terme de la dernière édition des championnats panaméricains, en République Dominicaine | © Agurelo
En termes de concurrence et de compétitivité, c’est peut-être l’épreuve qui se rapproche le plus des championnats d’Europe. Jefferson Cepeda, Sebastian Molano, Jonathan Caicedo ou encore Arlenis Sierra en sont lauréats. Mieux, sa course espoir a parfois révélé des champions planétaires. Avant de remporter le Giro, Richard Carapaz s’était ainsi imposé en 2013, succédé l’année suivante par Fernando Gaviria, l’homme aux 47 victoires professionnelles. Chez les femmes, la Trinidadienne Teniel Campbell y a également levé les bras, deux ans avant de s’engager au sein du Team BikeExchange et de briller cette semaine sur les routes du Tour de l’Ardèche, emportant notamment la 6e étape.
Avec 42 nations au départ, il faut dire que ces championnats panaméricains sont disputés, ne serait-ce que pour leur lieu de tenue. Argentine, Mexique, Venezuela ou République Dominicaine en sont les derniers hôtes, proposant tour à tour des parcours montagneux, plats ou vallonnés, à l’image d’un continent où la Petite Reine roule sa bosse. L’organisation de l’épreuve agit en fait comme précurseuse au développement de courses locales, séduisant de plus en plus d’équipes européennes. Longtemps exception en la matière, le Tour de San Juan a ainsi été rejoint au cours des dernières années par l’impressionnant Tour de Colombie dans le programme de nombreuses WorldTeam, emmenant dès le mois de février Julian Alaphilippe et consorts à plus de 2000 mètres d’altitude.
De même, les résultats soulignent eux aussi la démocratisation du cyclisme en Amérique. S’ils continuent de rafler la plupart des médailles chez les hommes, les Colombiens se voient désormais concurrencés par une horde de nations, notamment l’Equateur, le Chili et l’Argentine, mais aussi des pays d’Amérique Centrale comme la République Dominicaine, le Guatemala, le Honduras ou le Mexique. Du côté féminin, Cuba mène le mouvement, large recordman de titres sur l’épreuve. Si ces pays n’ont pas encore tous leur champion international, ils y tendent, avec l’apparition de nouvelles nationalités au plus haut niveau mondial. Le sacre de Richard Carapaz aux Jeux Olympiques, fierté du Venezuela, en est d’ailleurs la preuve.
Par Jean-Guillaume Langrognet