A la boue des Hauts-de-France ont succédé les feuilles mortes de Lombardie, complétant ce décor automnal, au crépuscule de la saison cycliste. Ce soir, la plupart des stars de 2021 s’éteignent, en espérant luire de nouveau l’an prochain. Au moment de démonter le grand chapiteau du cyclisme, l’heure est aux bilans et aux médailles. Alors que tous les héros s’en vont, on décerne les mérites et les titres honorifiques, comptant les monuments glanés et énumérant les exploits réalisés. Le grand livre de la Petite Reine se referme, dans l’attente d’entamer un nouveau chapitre.
Des funérailles irrespectueuses du mythe lombard
C’est dans ce triste contexte qu’on a assisté aujourd’hui à un enterrement de première classe. Des funérailles de champions, en grandes pompes, avec tout le luxe que quatre Grands Tours, six monuments et 267 victoires professionnelles peuvent apporter. Dans la descente du Passo di Ganda, dernière difficulté majeure de la journée, tous ont creusé leur trou et s’y sont ensevelis. Tous ont préféré anéantir les espoirs de triomphe de leurs adversaires que de saisir leur chance. Apparemment, seuls Tadej Pogacar et Fausta Masnada savaient qu’il s’agissait l’un des 5 monuments de l’année. Il Lombardia, berceau de la légende d’Alfredo Binda, Gino Bartali ou Fausto Coppi, tous vainqueurs à de multiples reprises de l’épreuve transalpine. Thibaut Pinot y a connu son heure de gloire et Joaquim Rodriguez en a fait temporairement son apanage. Tadej Pogacar pourrait à son tour entamer un nouveau règne sur l’épreuve, tant ses qualités humaines et physiques correspondent si bien à ses exigences.
Le splendide enterrement de première classe proposé aujourd’hui par les favoris | © Eurosport GCN
Pour Michael Woods, Romain Bardet ou encore Adam Yates, en revanche, c’est encore raté pour la quête d’une course de cette grandeur. Rivaux mutuels, ils ont préféré clouer ensemble le cercueil de Julian Alaphilippe que de collaborer pour recoller à la tête de la course. La tâche était pourtant loin d’être impossible, comme en témoigne le paquet de secondes reprises au seul moment d’entente cordiale. Aux côtés d’Alejandro Valverde, Primoz Roglic et David Gaudu, ils n’ont pas cessé de se chamailler, jouant sans cesse à sauter les relais, s’attaquer et s’arrêter. Contraints de rouler pour recoller, ils n’ont pas supporté la présence du champion du monde dans leur sillage, protégé par la présence de son équipier Fausto Masnada à l’avant.
Fausto Masnada dans la roue de Tadej Pogacar | © Il Lombardia
Tadej Pogacar, maître du panache et patron du vélo
Julian Alaphilippe en personne aurait pu s’y trouver s’il n’avait pas brutalement coupé son effort dans le haut de la descente du Passo di Ganda, duquel Tadej Pogacar était passé au sommet avec une trentaine de seconde d’avance sur le groupe des favoris. Mais le français a préféré laisser l’italien partir en éclaireur et parvenir à rattraper le phénomène slovène, avant de se blottir dans son sillage. Il s’y est même accroché de toutes ses forces dans les dernières secousses du Colle Aperto, dernier muret avant l’arrivée triomphale sur Bergame. Natif de la cité lombarde, Fausto Masnada s’est ainsi pris à rêver d’un couronnement à domicile, tant il résistait face au double vainqueur du Tour. Dans les faits, le sacre tenait à un détail près : le sprint. Tadej Pogacar n’est pas seulement le meilleur grimpeur du monde, il est aussi un rouleur hors pair et dispose en plus d’une robuste pointe de vitesse. Entré en patron sur la viale Giovanni XXIII, le coureur d’UAE Team Emirates n’a jamais laissé son concurrent le déborder. Saisissant de facilité, il a même eu le luxe de se redresser avant-même la ligne d’arrivée, pour célébrer la collecte de son deuxième monument de l’année, concluant ainsi une saison exceptionnelle.
Tadej Pogacar, victorieux du Tour de Lombardie à Bergame, devant Fausto Masnada | © UAE Team Emirates
Outre ces deux classiques et la Grande Boucle, le natif de Klanec s’est aussi adjugé le Tour des Emirats Arabes Unis, Tirreno-Adriatico et son tour national, et ce avec poigne. Et en cerise sur le gâteau, il complète le tout d’une médaille de bronze, glanée aux jeux de Tokyo. S’il n’a pas tout parfaitement réussi, à l’instar de ses mondiaux ratés, il a réalisé tout ce qui était humainement possible, et se verra décerner le Vélo d’Or Monde sans aucun conteste, succédant à son compatriote Primoz Roglic. Mais dans le palmarès de ce titre honorifique, créé en 1992, aucun homme ne disposait de cette fantastique aptitude à briller sur Grands Tour et classiques, comme Tadej Pogacar le fait si brillamment. Sur cet aspect, il s’inscrit dès lors dans la lignée des plus grands noms de son sport, ceux de Bernard Hinault, Eddy Merckx ou Jacques Anquetil. Le slovène n’est pas un ogre, il ne gagne pas si souvent que ça à l’instar d’un Remco Evenepoel. Il est simplement un immense champion, triomphant là où se trouve le prestige, en le drapant d’un panache incontestable. Aujourd’hui, il a encore été le premier à lancer les hostilités, et en récolte de nouveau le fruit. Au contraire de la mascarade de course cycliste produite par ses concurrents, il a su illuminer ce Tour de Lombardie de son talent, histoire de faire resplendir une dernière fois son étoile dans la constellation des héros d’une année merveilleuse, avant que l’obscurité de l’hiver ne succède à la lumière du crépuscule automnal.
Par Jean-Guillaume Langrognet