Tadej Pogacar au départ de Paris-Roubaix dès cette saison ?
Quelques posts publiés sur Twitter ont suffi à propager une immense rumeur. Tadej Pogacar pourrait se présenter au départ de la 119e édition de Paris-Roubaix, le dimanche 17 avril. Au départ, l’histoire avait tout des tours d’une plaisanterie. Avant que la grande campagne des classiques ne commence, Will Newton, journaliste pour GCN, interrogeait le slovène sur ses chances de participer à « l’Enfer du Nord » après avoir « remporté Milan – San Remo et le Tour des Flandres ». A ce questionnement définitivement fictionnel, Tadej Pogacar avait déclaré « Not much » (Pas beaucoup) en réponse à ce tweet, accompagné d’un emoji rire illustrant parfaitement son ton taquin.
Selon Tadej Pogacar, ses chances de participer à paris-Roubaix ne sont « pas élevées » | © Capture d’écran Twitter
Cet esprit est d’ailleurs partagé par sa compagne, Urska Zigart, elle aussi cycliste professionnelle, au sein du Team BikeExchange – Jayco. En automne dernier, en marge de la présentation du Tour de France 2022, le couple avait notamment extasié la toile en dévalant les Champs-Elysées à vélib, comme de simples touristes. Dimanche dernier, elle s’est amusée d’un tweet d’une journaliste demandant de citer son cycliste préféré, répondant naturellement par une photo privée de son homme. La petite histoire aurait pu s’arrêter là, mais Tadej Pogacar décida d’en rajouter une couche, republiant cette réponse avec la mention « See you in Paris-Roubaix ? », toujours accompagnée du même emoji. De quoi enflammer Twitter, voyant là l’étincelle d’une détonation retentissante. Le lendemain, ce feu fut vivement alimenté par un selfie, publié ce le même réseau, présentant le double vainqueur du Tour devant la Trouée d’Arenberg, secteur pavé mythique de Paris-Roubaix. Le tout ajouté à sa démonstration de force dans les monts du Ronde van Vlaanderen, il n’en fallait pas moins pour nourrir de multiples fantasmes.
Urska Zigart et Tadej Pogacar partageront ils les pavés de Paris-Roubaix ? | © Capture d’écran Twitter
Rassurez-vous, on ne risque pas de voir Tadej Pogacar débouler sur le vélodrome de Roubaix cette année. Son récent passage par les Hauts de France n’a d’autres explications que sa reconnaissance de la cinquième étape du Tour, celle des 19,4km de pavés répartis sur onze secteurs, dont l’arrivée a lieu à Wallers-Arenberg, à proximité immédiate de la célèbre tranchée. Dès lors, le slovène n’avait pas beaucoup d’efforts à faire pour aller prendre ce cliché, comme tout fan de cyclisme l’aurait probablement fait. En outre, quand on a deux Tours de France et deux Monuments à son actif, que l’on se prépare pour Liège-Bastogne-Liège et vise le triplé en juillet, on ne se permet pas ce genre de changement de programme au dernier moment, surtout pas pour aller 260 kilomètres d’une course particulièrement dangereuse.
Tadej Pogacar prend la pose devant la trouée d’Arenberg | © Compte Twitter de Tadej Pogacar
Pogacar, petit poids mais grande puissance
Néanmoins, cette rumeur a eu le mérite de poser la question. Tadej Pogacar peut-il espérer remporter Paris-Roubaix un jour ? S’il est probable qu’il y tentera certainement sa chance dans un futur plus ou moins proche, comme Bernard Hinault l’a fait en son temps, il est moins certain qu’il pourra effectivement triompher à Roubaix. « L’Enfer du Nord » pourrait même être le seul Monument à lui résister au terme de sa carrière.
Cette considération est notamment liée à son poids plume. Certes, le rapport poids-puissance que le slovène entretient est excellent, au même titre que Julian Alaphilippe ou Alejandro Valverde, dont les profils physiques sont semblables. Puisqu’il s’agit d’un rapport, les facteurs numérateur et dénominateur entrent en jeu. On peut être puissant, mais lourd, ce qui contribue à la tendre à la baisse. C’est pourquoi les purs sprinteurs peinent tant dans les monts pavés. À l’inverse, les données nous montrent que les champions actuels sont capables de développer des puissances similaires tout en bénéficiant d’une masse sensiblement moindre. Dès lors, ce rapport s’en trouve accru. La puissance développée par le coureur porte moins son poids et permet ainsi de gagner en vitesse. Les expériences probantes des meilleurs puncheurs du peloton sur le Tour des Flandres d’en trouvent ainsi expliquées (8e place pour Alejandro Valverde en 2019, trio de tête pour Julian Alaphilippe avant sa chute en 2020, 4e place pour Tadej Pogacar en 2022).
Tadej Pogacar n’a pas réussi à distancer Mathieu Van der Poel dans les monts pavés du Tour des Flandres | © Tour des Flandres
Un avantage nul sur Paris-Roubaix
Toutefois, cet effet s’estompe nettement lorsque la route s’aplatit. En effet, à déclivité nulle ou quasi-nulle, la masse du coureur contraint beaucoup moins son mouvement. Cela explique pourquoi des « grosses cuisses », tel Arnaud Démare notamment, se concentrent exclusivement sur « l’Enfer du Nord », au détriment de son cousin Ronde. Dès lors, être léger n’apporte plus aucun avantage. Au contraire, il s’agit d’un certain inconvénient. Le graphique suivant démontre d’ailleurs cette théorie. Paris-Roubaix y apparait clairement comme le Monument le plus favorable aux poids lourds du peloton, à l’opposé de Liège – Bastogne – Liège et du Tour de Lombardie, les deux grandes classiques que Tadej Pogacar compte à son palmarès.
Le facteur poids semble effectivement plus probant sur Paris-Roubaix que Liège-Bastogne-Liège ou le Tour de Lombardie | © Vélo 101
En fait, les performances que le slovène a étalées jusque-là sur les Monuments sont en parfaite corrélation avec ces résultats. Il a remporté les deux courses avec la plus faible moyenne de poids, fut dans le jeu pour le gain des deux suivantes, et se refuse encore à Paris-Roubaix, la dernière. Ses récentes prestations à Milan – San Remo et au Tour des Flandres symbolisent même les difficultés auxquelles il fait face dans cette conquête. À partir du moment où le punch n’est plus l’unique facteur décisif, Tadej Pogacar est mis en ballotage avec d’autres concurrents, au profil opposé. Il était indéniablement le plus fort dans le Poggio et dans le Paterberg. Aucun de ses rivaux n’ose d’ailleurs le contester. Mais lorsque ceux-ci parviennent à lui résister dans les montées, ils prennent immédiatement l’ascendant une fois le dernier sommet franchi. Pour cause, Tadej Pogacar est plutôt rapide au sprint, mais ne peut espérer gagner que lorsqu’il se retrouve opposé à des grimpeurs – puncheurs comme lui. Face à Van Aert, Van der Poel et consorts, ses chances de triomphe sont considérablement réduites. Ainsi, le jeu vidéo de simulation Pro Cycling Manager 2021 n’accorde qu’une note de 70 pour Tadej Pogacar au sprint, contre 79 pour les deux autres monstres donnés.
Pour remporter Paris-Roubaix, Tadej Pogacar doit donc être… chanceux
Pour que le coureur du Team UAE Emirates puisse remporter la Classissima, le Ronde ou l’Enfer du Nord sans miser sur une dose de chance considérable dans l’emballage final, il faut donc qu’il puisse se présenter seul sur la ligne d’arrivée, ou au moins débarrassé de tout meilleur sprinteur que lui. Si la tâche est relativement aisée sur la Doyenne ou le Tour de Lombardie, elle l’est moins sur les deux premières citées, et se corse encore sur Paris-Roubaix. Néanmoins, elle n’est pas impossible. Loin de là. Le natif de Klanec dispose d’une force herculéenne, lui bénéficiant même sur le plat. S’il se présentait au départ de Compiègne, il s’avèrerait particulièrement coriace à lâcher à la pédale. Et tout lauréat du pavé ayant tiré parti d’un lot de fortune, il pourrait malicieusement s’extirper d’un groupe de cadors indisposés à collaborer. Niki Tepstra avait ainsi bénéficié de telles circonstances en 2014, tout comme Johan Vansummeren trois ans plus tôt. Dans cette entreprise, ses épatantes qualités contre-la-montre lui seront naturellement d’une précieuse aide.
Il faudra certainement que Tadej Pogacar s’y prenne à plusieurs reprises pour avoir l’honneur de soulever le pavé. Mais son tempérament de compétiteur le poussera assurément à s’y essayer, une fois qu’il aura pratiquement tout gagné dans le monde de la Petite Reine. Cette saison, le slovène s’aligne déjà sur quatre des cinq Monuments, du jamais vu pour un vainqueur du Tour depuis Greg Lemond en 1986. Le nouvel ogre du cyclisme connaît suffisamment son sport pour réaliser la portée qu’aurait ce Grand Chelem. En ce faisant, il rejoindrait dans la légende les mythiques Eddy Merckx et Roger De Vlaeminck.
Par Jean-Guillaume Langrognet