Toute la semaine, notre consultant Nicolas Fritsch nous apporte en cinq épisodes son analyse sur l’intérêt du Tour de France 2016.
« Avant la dernière étape de montagne, Chris Froome et son équipe avaient depuis longtemps éteint toute autre ambition chez leurs rivaux que celle de viser un honorable podium à grands coups de tempos infernaux et décourageants, laminant les jambes et annihilant les esprits. Mais peut-on en vouloir aux coureurs du Team Sky et à leur staff ? Peut-on être de ceux qui les sifflent sur le bord des routes ou sur les podiums ? Certes non ! Ils comptent dans leur rang le meilleur des coureurs par étapes de sa génération en la personne de Chris Froome et plusieurs coureurs qui pourraient espérer un Top 10 s’ils appartenaient à une autre équipe (Geraint Thomas, Mikel Nieve, Mikel Landa, Sergio Henao), voire même cinq avec un Wout Poels étincelant cette année.
Pourquoi cette domination? Les Britanniques sont pragmatiques là où nous, Latins, sommes attirés par un romantisme qui se perd en même temps que le business envahit le sport. C’est le cours de l’histoire, et c’est ce qui rendra encore plus beau à l’avenir l’action condamnée mais finalement victorieuse.
Chez Sky il s’agit donc avant tout de réduire, à défaut de pouvoir la détruire, la part de l’impondérable et de l’aléatoire, et ce sont ainsi la maitrise et l’efficacité qui priment. Ils partent de ce qu’est le Tour, tant au niveau de son parcours que du règlement qui le régit, et établissent donc en conséquence ce qu’il faut faire pour le gagner, sans autres considérations, sans laisser la moindre petite place aux états d’âme des uns ou aux ambitions individuelles des autres. Tout est fait à 100% pour Froome, il n’y a strictement aucun autre objectif que celui de l’emmener sur la plus haute marche. Le rôle de chacun y est clair et bien défini depuis des mois. Il n’y a pas de sprinteur, pas de leader bis comme dans d’autres équipes. Il n’y aura pas d’échappée, pas de lutte pour un classement annexe, pas même celui qui récompense la « meilleure » équipe. Le leader s’entraîne pour gagner, et ses équipiers s’entraînent pour imposer des tempos, pas pour être des leaders.
Il est d’ailleurs important de noter que, en dehors même de ceux de Sky et donc d’une manière plus générale, les coureurs sont maintenant très forts pour suivre un rythme et monter au train, même très soutenu (sont-ce là les effets des capteurs de puissance ?). Ce qui nous a souvent amené à retrouver une dizaine de coureurs ensemble jusqu’aux abords des arrivées, ne créant par là même que très peu d’écart chaque jour.
Les coureurs sont globalement mieux préparés qu’avant au départ du Tour. Tous, ou presque, s’y présentent au summum de leur condition physique, comme en témoigne le record du plus petit nombre d’abandons auquel nous avons assisté cette année. Il y a ainsi une grande homogénéité qui ne favorise évidemment ni les exploits, ni les défaillances ! Quant au fameux « mais pourquoi n’attaque-t-il pas ? Faire 2ème ou 10ème, c’est pareil ! », c’est alors oublier que si le cyclisme est évidemment un spectacle collectif, il n’en reste pas moins également un business individuel, et à ce titre faire un podium ou un Top 10 n’aura pas le même poids au moment de négocier un contrat. Notre sport a gardé cette image populaire, et c’est tant mieux, mais les salaires atteignent à présent des montants conséquents. C’est une donnée relativement récente dans l’histoire du cyclisme, et elle est à prendre en considération au moment de juger des comportements des uns et des autres.
Mais, effectivement, le business collectif ne perdurera que si le spectacle individuel existe ! Certains sports l’ont compris, et n’ont pas hésité à s’adapter, quitte à revenir en arrière parfois, quitte à se tromper. De toute façon l’échec est mieux toléré par le public que l’inaction, comme on le constate vis à vis des coureurs. »