Et si Andy Schleck (Team Saxo Bank) avait laissé passer l’occasion, à Avoriaz, de rejeter Alberto Contador (Astana) encore plus loin au classement général ? Parce qu’aujourd’hui, dans le col de la Madeleine, Contador avait les jambes, le répondant et surtout n’avait pas le masque de dimanche. Le masque, Cadel Evans (BMC Racing Team) l’a porté toute la journée comme une croix. Dans l’ascension de la Madeleine, ses lunettes cachaient difficilement sa souffrance et surtout son désespoir de voir tout espoir de gagner le Tour s’envoler. Comme marqué par le sort, qui l’avait abandonné depuis son sacre de Mendrisio, en septembre dernier, l’Australien a subi les stigmates d’une chute qui a laissé plus de dégâts que ce que l’Australien et tout son team ont bien voulu nous faire croire. Depuis le passage de radiographies hier, Cadel Evans savait qu’il ne pourrait pas défendre son paletot de leader. L’Australien souffre d’une fissure du coude depuis sa chute au départ de la Station des Rousses. L’étape de Morzine aura donc mis à terre Armstrong, mais aussi Evans, au sens propre comme au sens figuré. Car sur son vélo, Evans n’était qu’une ombre de lui-même. En détresse, marqué à la culotte par son bourreau, Paolo Tiralongo (Astana), il avait des allures de chien battu. Arrivé avec un passif de plus de 8 minutes sur la ligne de Saint-Jean-de-Maurienne, il s’est effondré dans les bras de son équipier et ami, Mauro Santambrogio. Mais les mots de l’Italien ne pourront pas le consoler. A ce moment-là, Evans a compris qu’il ne gagnera pas le Tour de France, et en son for intérieur s’est fait peut-être l’aveu qu’il ne le gagnera probablement jamais. Ce soir, le troisième homme est rentré dans le rang.

Luis-Leon Sanchez (Caisse d’Epargne), lui, voulait en sortir. Au départ, ce matin, le Murcian se rappelle certainement du scénario de l’étape de Montélimar du Tour 2006, où la Phonak, désireuse de ne pas assumer la charge du leadership de Floyd Landis, avait laissé le Maillot Jaune à un autre coureur de la Caisse d’Epargne, Oscar Pereiro. Sanchez espère secrètement bénéficier de la même gratitude de John Lelangue, à la tête de la formation Phonak en 2006, et manager de la BMC sur ce Tour. Dans sa quête du Maillot Jaune, Sanchez emmène avec lui deux équipiers, José-Ivan Gutierrez et Christophe Moreau (Caisse d’Epargne), les Français de la Bbox Bouygues Telecom Anthony Charteau et Cyril Gautier, le Maillot à Pois Jérôme Pineau (Quick Step), l’ancien Maillot Jaune du Tour 2009 Rinaldo Nocentini (Ag2r La Mondiale), Rein Taaramae (Cofidis), Johannes Frohlinger (Team Milram) et Damiano Cunego (Lampre-Farnese Vini), plus transparent que jamais sur ce Tour. La présence de Jens Voigt, soldat de l’équipe Saxo Bank, dans ce groupe d’échappés, laisse imaginer que le col de la Madeleine ne serait peut-être pas escamoté, comme l’annoncent de nombreux suiveurs. Après le triptyque Colombière, Aravis, Saisies, les onze ont un matelas de cinq minutes sur le peloton. Dans la vallée qui les sépare du col de la Madeleine, Gutierrez se place en tête du groupe. Il ne lâchera plus cette position jusqu’au milieu du col de la Madeleine. Profitant d’un relâchement des équipiers de la BMC, les onze fuyards portent leur avance à 6’45 ». Mais dès les premiers contreforts de la Madeleine (25,5 km à 6,2 % de moyenne), les choses se compliquent et le rêve en jaune de Luis-Leon Sanchez va prendre fin.

Au pied du col, Chris-Anker Sörensen (Team Saxo Bank) accélère le rythme de façon significative. Les équipiers de la BMC disparaissent instantanément de la tête de la course. Un écrémage violent qui n’épargne personne. En deux kilomètres, le peloton, en file indienne, perd les trois quarts de ses effectifs. Un peu plus haut, profitant d’une accalmie relative, Alexandre Vinkourov (Astana) place une attaque pour tester la résistance de la Saxo Bank. Son avance monte à 40 secondes, mais ses efforts s’avèrent inutiles, car derrière Jakob Fuglsang prend les rênes du groupe Maillot Jaune et relance la chasse. Son relais vise clairement à mettre sur orbite Andy Schleck. A voir les mâchoires serrées des favoris,  Fuglsang ne fait pas dans la dentelle. Carlos Sastre (Cervélo TestTeam), Ryder Hesjedal (Garmin-Transitions), Michal Rogers (Team HTC-Columbia), Christophe Le Mével (Française des Jeux) et John Gadret (Ag2r La Mondiale) font les frais de cette accélération. Comme dans Avoriaz, Paolo Tiralongo (Astana) dans le rôle du gregario devant l’éternel, entre en scène. Il propulse le peloton à une vitesse vertigineuse et élimine un à un les adversaires de Contador, au fil des pourcentages. En serre-file de ce groupe d’une vingtaine de coureurs, Cadel Evans coince. Accroché à ses cocottes de freins, il montre ses limites. Il ne peut rien faire, il lâche prise, seul, dans un Maillot Jaune qu’il ne goûtera pas plus de 24 heures. Andreas Kloden (RadioShack) et Bradley Wiggins (Team Sky), évanescents, s’effondrent. Roman Kreuziger (Liquigas-Doimo) décroche, Vinokourov est avalé.

Alliés de circonstance

Dernier de cordée, Navarro se sacrifie à son tour. Démantibulé sur sa machine, il crée la fracture décisive entre Contador, Schleck et les autres favoris relégués au rang de spectateurs. A bout de souffle, le soldat s’écarte. Ils ne sont plus que deux. Le duel tant attendu peut avoir lieu. La guerre est déclarée, mais, finalement ce ne sera qu’une bataille éclair. On s’attaque, on s’épie, on se jauge et on zigzague. La première banderille débouche sur un accord tacite. Les deux hommes s’entendent pour enterrer les autres prétendants à la victoire, défaillants dans ce col. Un ménage définitif avant de s’entredéchirer dans les Pyrénées. Dans leur quête de pureté absolue du classement général, ils retrouvent sur leur route Jens Voigt, attaché une fois de plus au rôle du fidèle lévrier. A 2 kilomètres du sommet, Voigt s’écarte définitivement. Contador et Schleck partent pour 30 kilomètres de tandem vers Saint-Jean-de-Maurienne. Derrière, les autres belligérants ne les reverront plus. Le premier des poursuivants Samuel Sanchez passe au sommet avec un déficit de 40 secondes sur les duellistes et trois minutes sur les hommes de tête. Il est poursuivi par un quatuor mené par les deux coureurs de la Rabobank, Menchov et Gesink, assistés de Joaquim Rodriguez (Katusha) et de Levi Leipheimer (RadioShack). Derrière eux, six autres coureurs chassent pour limiter les dégâts : Ivan Basso (Liquigas-Doimo), Lance Armstrong (RadioShack), le sulfureux Ruben Plaza (Caisse d’Epargne), les Belges Kevin De Weert (Quick Step) et Jurgen Van Den Broeck (Omega Pharma-Lotto), et le Français Damien Monier, décidément décomplexé depuis sa victoire au Giro et qui se révèle dans les Alpes.

Dans la descente de la Madeleine, Contador ne se prive pas de faire la course en tête devant un Andy Schleck, droit comme un piquet. Mal à l’aise aussi, Damien Monier chute dans la descente et repart le maillot déchiqueté. Au prix d’une descente effectuée à tombeau ouvert, Sanchez parvient à apercevoir Contador et Schleck. Mais, la vallée se profile et Sanchez bute sur le vent et la vélocité du duo, qui a récupéré dans la descente le préretraité Christophe Moreau. Incapable de revenir sur le trio, le Basque se relève. Dans les derniers kilomètres, Contador et Schleck emmènent un tel rythme qu’ils reviennent sur les rescapés de l’échappée : Sandy Casar, Luis-Leon Sanchez, le nouveau Maillot à Pois Anthony Charteau et Damiano Cunego en quête de rédemption. A 2 kilomètres de l’arrivée, Schleck, Contador et Moreau sont revenus à 18 secondes. Sous la flamme rouge, l’écart est bouché. Mais la jonction n’aura aucune conséquence sur la victoire d’étape. Dans le final en faux-plat montant, Sandy Casar garde son sang-froid et se montre le plus malin et le plus fort en l’emportant devant Luis-Leon Sanchez. Le Francilien prend sa revanche sur l’arrivée de Saint-Girons en 2009, où le Murcian l’avait privé de la victoire d’étape, et empoche sa troisième victoire d’étape sur le Tour de France. Pour la première fois, Andy Schleck s’empare du Maillot Jaune, qui plus est avec la manière. Grâce à leur débauche d’énergie commune, Contador et Schleck se sont isolés des autres. Les deux grimpeurs sont sur une autre planète sur la route comme au classement général. Car au soir de cette dernière étape des Alpes, le premier poursuivant, Samuel Sanchez, l’autre bénéficiaire du jour, est distancé à 2’45 ». Le duel est annoncé. Rendez-vous dans les Pyrénées. A moins qu’Andy Schleck n’ait un autre plan en tête.

 

Classement 9ème étape :

1. Sandy Casar (FRA, FDJ) les 204,5 km en 5h38’10 »
2. Luis Leon Sanchez (ESP, Caisse d’Epargne) m.t.
3. Damiano Cunego (ITA, Lampre-Farnese Vini) m.t
4. Christophe Moreau (FRA, Caisse d’Epargne) à 2 sec.
5. Anthony Charteau (FRA, Bbox Bouygues Telecom) m.t.
6. Alberto Contador (ESP, Astana) m.t.
7. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank) m.t.
8. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) à 52 sec.
9. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha) à 2’07 »
10.Levi Leipheimer (USA, RadioShack) m.t.
Classement complet

Classement général :

1. Andy Schleck (LUX, Team Saxo Bank)
2. Alberto Contador (ESP, Astana) à 41 sec.
3. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) à 2’45 »
4. Denis Menchov (RUS, Rabobank) à 2’58 »
5. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 3’31 »
6. Levi Leipheimer (USA, RadioShack) à 3’59 »
7. Robert Gesink (HOL, Rabobank) à 4’22 »
8. Luis Leon Sanchez (ESP, Caisse d’Epargne) à 4’41 »
9. Joaquin Rodriguez (ESP, Team Katusha) à 5’08 »
10.Ivan Basso (ITA, Liquigas-Doimo) à 5’09 »