Pierre Rolland (Cannondale-Drapac) était-il trop fort mercredi pour ses adversaires ou tout simplement plus malin ? Sur les 15 derniers kilomètres, quand les attaques se sont multipliées dans le groupe de tête, l’Orléanais sautait dans toutes les roues. Il a montré au groupe qu’il était fort. Pourtant, sur la première attaque sérieuse, celle de Valerio Conti (UAE Team Emiates), il n’a pas réagi. Tactiquement, c’était un coup de poker. D’ailleurs, dans un gros groupe tel que celui-ci, c’est le jeu du poker menteur. Il faut accepter de laisser le trou et espérer que d’autres coureurs pourront faire la jonction. Il faut se placer idéalement et ne pas montrer que vous êtes fort ! L’avantage : vous ne faites pas de gros pics de Watts qui, comme nous l’avons vu, se paient tôt ou tard. Mais si la jonction ne se fait pas, c’est perdu !
Ne pas avoir sauté dans la roue de ceux qui sont revenus sur Conti a permis à Pierre Rolland de rester à l’abri. De plus, la présence de son coéquipier Michael Woods dans ce petit groupe de tête lui a autorisé à ne pas fournir d’efforts ! Tactiquement, c’est la chose à faire lorsque vous êtes deux ou plus dans un groupe. Il faut toujours en placer un à l’avant. Ensuite, lors de la jonction, il faut placer un contre, et c’est exactement ce que nous a fait le Français !
Il n’a pas hésité à l’occasion d’un faux plat et d’un mouvement de flottement du groupe. Il place un démarrage en partant du deuxième tiers du groupe. Il fournit un gros effort de 503 Watts soit 7,50 W/kg sur les 30 premières secondes ! Et tout de suite il obtient 11 secondes d’avance, un écart qui ne va faire que croître, d’autant plus que derrière le groupe se demande qui va rouler ! Une fois que ces derniers ont commencé à s’organiser, vous avez pu voir son coéquipier venir casser la chasse à l’avant du groupe. Devant, Pierre Rolland ne se retourne pas et écrase ses pédales, il est tout en force.
Il va effectuer ses 8 derniers kilomètres en 10’46 » à 403 Watts (6 W/kg) mais à seulement 84 tours/minute de moyenne.
Nous pouvons en sortir un couple moyen de 45.81 Nm en sachant que C(Nm)= P(W)/Cad(rad/s). Mais allons plus loin en estimant sa force pure à 261,8N ! Avec des manivelles en 175 millimètres (ce que nous supposons qu’il utilise).
Vous vous apercevez ainsi qu’il applique une grosse pression sur la pédale. Lui qui a changé sa manière de grimper en utilisant des braquets souples parvient à encore « tirer gros » sur les portions plates. Ceci dit, il ne va pas fournir un très gros effort mais tout simplement lisser celui-ci et avancer de façon régulière.
A contrario, observons le groupe de chasse avec Tejay Van Garderen (BMC Racing Team) qui, lui, a seulement 324W (4,5W/kg) sur ces 8 derniers kilomètres et pourtant il produira plusieurs fois des efforts de 30 secondes très puissants, son plus gros à 539 Watts (7,48 W/kg) ! Et que dire de la puissance qu’a fourni l’Espagnol Gorka Izagirre, qui a réalisé ses 30 dernières secondes pour le sprint de la 2ème place à 644 Watts, soit 9,68 W/kg et 355N (approximativement en fonction de son braquet utilisé, a priori un 53×12) ! Mais comme ce groupe avance par à-coups, il ne reviendra jamais et accusera même 24 secondes de retard sur la ligne !
Pierre Rolland gère son Giro en visant les étapes et non le général. Ce qui lui permet de passer des journées où il ne développe presque aucune puissance. Grâce à cette gestion, nous constatons qu’il parvient à ressortir presque les mêmes puissances que sur la quatrième étape lors de la montée de l’Etna. En effet, souvenez-vous, il avait réalisé une minute à 479 Watts (7,14W/kg) et 8’48 » à 413 Watts (6,16 W/kg). Ces chiffres montrent qu’il n’a pas subi ce Giro et qu’il est en forme presque comme au début. Un signe d’un coureur habitué à faire des Grands Tours et à bien les gérer.
Retenez enfin que même si, intrinsèquement, vous n’êtes pas le plus fort de votre groupe, il faut tenter et profiter du flottement que vous allez créer pour tout de suite creuser un écart. Ensuite, gérez votre effort pour le maintenir jusqu’au bout ! – Stéphane Cognet