Olivier Margot a été, 25 ans durant, rédacteur en chef à l’Equipe et grand reporter. Il a connu tous les champions que la France a produit dans l’après guerre. Parmi eux, Marcel Cerdan, Michel Jazy, Alain Mimoun, Jean-Claude Killy, Micheline Ostermeyer, Raymond Kopa, Pierre Albaladejo et ses acolytes. Tous ceux et celles qui ont contribué à rendre les 30 glorieuses, un peu plus enchanteresses.
Le vélo dans tout ça ? Une large place naturellement occupée par Louison Bobet et Jacques Anquetil. Deux champions hors pair, mais surtout 180 pages au total. Largement de quoi trouver sa place ici, dans les fiches de lecture sur des ouvrages dédiés au vélo.
Il y a des bouquins qu’on lit, et puis il y a des ouvrages, comme on croise des maîtres d’ouvrage. « Le temps des Légendes » est un de ceux-là, une somme de travail considérable, une très belle écriture pour résumer les années glorieuses d’après 1945, pas 30 comme en économie, mais pas loin, la carrière de Maître Jacques s’arrêtant en 1969. Tous les champions que magnifie Olivier Margot ont dépassé le cadre de leur sport, ils, elles ont redonné sa fierté à la France sur fond d’instabilité politique et d’économie qui repart. 1946-1969, les carrières de Louison Bobet et Jacques Anquetil ont vu la diffusion des infos à la radio, puis à la télé noir et blanc, avant de passer à la couleur. Toute une époque où la population était amenée à se déplacer au stade, ou sur le bord de la route, pour voir ses champions, car la magie télévision ne s’était pas encore invitée dans tous les foyers loin de là.
Louison Bobet s’invite page 106, il sera l’idole d’une génération. Engagé à 19 ans dans la résistance, il fera des Championnats du Monde 1954, remportés à Solingen en Allemagne le 22 août, « le sommet de sa carrière ». Pas tout à fait un hasard pour ce Breton qui sera dans les FFI d’août 1944 à novembre 1945 où il finit caporal, un maillot de champion du monde conquis comme pour refermer une parenthèse. 122 succès chez les pros, et souvent des endroits choisis, parmi lesquels l’Izoard dont Louison Bobet va faire son jardin, la pierre angulaire de sa carrière. Au même titre que le Ventoux, Avignon à la place de Briançon, et sans doute aussi un peu l’Iseran où le Breton stoppe sa carrière le 14 juillet 1959.
Il gagne son premier Tour en 1953, à sa 6ème tentative et, pour lui, grimper les cols, c’est grimper les échelons de la société, l’ascension sociale s’offre aux audacieux, ceux et celles qui prennent des initiatives, sont avant-gardistes (il le sera en s’inspirant beaucoup de F. Coppi). Sa carrière est somptueuse, bien au delà d’être le premier à enchaîner 3 Tours de France. Les blessures, les opérations, les « stop » sont autant d’occasions d’appréhender l’après carrière, il apprend à piloter et c’est à bord de son Jodel qu’il survole la baie de Quiberon où il établira un centre de thalassothérapie. Il meurt le 13 mars 1983 à 58 ans, les « vas-y Bobet » ont disparu mais le nom du vainqueur du Tour « du cinquantenaire » ne disparaîtra jamais, synonyme de classe.
En ce qui concerne Jacques Anquetil, auquel 120 pages sont consacrées, soit le double de la section Bobet Louison, on sent très vite qu’Olivier Margot a vu le champion du bord de la route avec son père, et pas qu’une fois. Il l’a aussi approché comme journaliste avant d’enquêter auprès de sa famille, ses proches… Pour reconstituer pour l’Equipe ou Vélo Magazine, l’itinéraire d’un champion. Le chapitre qu’il lui consacre s’intitule « symphonie pour un homme seul ». Le vélo c’est simple comme une phrase de Jacques Anquetil, « Pour gagner le Tour de France, il suffit de mettre moins de temps que les autres ». Etre là, dans les premiers tous les jours, et faire la différence sur les contre-la-montre où le Normand roule sur les bandes de peinture car la route y a moins d’aspérités (il détestera la pluie !). Son coup de pédale est onctueux, efficace, en harmonie, sa silhouette est celle de la Caravelle, de la DS et préfigure le Concorde, tous des symboles des années de reconstruction où la France retrouve sa place dans le concert des nations.
Jacques Anquetil est le spécialiste de l’effort solitaire, 9 victoires au Grand Prix des Nations en 9 participations, mais il se démarque du peloton par son anticonformisme, son côté avant-gardiste, sa vie débridée. Autant Louison Bobet incarne l’après-guerre, le patriotisme, autant Jacques Anquetil incarne la rupture, il boit du vin blanc au petit déjeuner avant le Tour du haut Var et gagne le soir même. « Si j’avais du vivre comme Louison Bobet, jamais je n’aurais été coureur cycliste » tel est le leitmotiv de celui qui aspire à « un faisan, du champagne et une femme ».
Sans jamais occulter les à côtés et la vie sentimentale de Jacques Anquetil, Olivier Margot met en exergue l’immense champion qu’à été Anquetil, des Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952 où « la planète vélo est percutée par un astéroïde nommé Anquetil » en passant par le record de l’heure du 29 juin 1956, 46.159 km au Vigorelli de Milan, le Tour « du cinquantenaire » en 1963 où il devient le premier à 4 victoires et l’apothéose, le tour du siècle, celui de 1964, ou comment avec plus de 4′ de retard au sommet d’Envalira, on arrive avec 2’36 » d’avance sur Poulidor. Olivier Margot à 17 ans et la France coupée en deux entre les partisans d’Anquetil et ceux de Poulidor, la majorité, il connaît sur le bout des doigts. Cette étape c’est « la montée aux cieux et la descente aux enfers », « Anquetil a choisi d’être, Poulidor d’être populaire », le paroxysme de l’opposition entre les deux champions est l’étape du Puy de Dôme où les deux hommes vont monter au coude à coude, épaule contre épaule, jusqu’au dernier kilomètre où Anquetil garde 14 secondes « 13 de trop ».
1965 avec le fameux doublé, Dauphiné-Bordeaux-Paris, 1966 le championnat du monde et ses intrigues, le record de l’heure « officieux » de 47.493 km établi en 1967, les Tours d’Italie où un Italien doit forcément gagner… Tous les épisodes relatés sont d’une grande intensité côté vélo, mais les aléas ne sont jamais loin, et c’est aussi tout ça qui rend ce cyclisme légendaire.
Vous l’avez compris, même si vous n’aimez que le cyclisme, ce qui nous étonnerait, il vous faut avoir cet ouvrage chez vous. Vous y revivrez ou découvrirez les années 40,50 et 60 du point de vue politique (De Gaulle qui remet la légion d’honneur aux champions qui ont fait retentir la Marseillaise à l’étranger), économique, sociétal (on passe du droit de vote accordé aux femmes à mai 68 et la libération des moeurs), et donc sportif.
Bref, un ouvrage utile, très bien écrit, ultra travaillé, on sent qu’Olivier Margot est un passionné de sport, il n’est jamais très loin de l’admiration de tous ces champions qui ont donné l’élan à bien d’autres qui surfent encore maintenant, même si les outils pour les magnifier sont très nombreux ce qui tend à les banaliser.
« Le temps des légendes » par Olivier Margot, éditions JC Lattès, 473 pages, 23 euros.