Une heure, une piste, un homme qui se bat sur sa machine allant au bout de lui-même. Voilà une image que l’on ne pensait jamais plus revoir depuis que le record de l’Heure était tombé dans l’oubli. À force d’être trop contraignante avec ceux qui voulaient se frotter à la marque de l’inconnu Ondrej Sosenka, qui, un jour de juillet 2005, a parcouru 49,700 kilomètres sur la piste moscovite, l’UCI a fini par décourager les prétendants potentiels. Mais, à l’heure où la concurrence chez les rouleurs n’a jamais été aussi élevée, la fédération internationale a fait marche arrière. Fini d’imposer aux coureurs de monter sur des machines archaïques. La technologie étant à nouveau autorisée, le record de l’Heure pouvait retrouver ses lettres de noblesse et susciter l’intérêt des meilleurs représentants du peloton professionnel.
Quoi de plus logique que ce soit Jens Voigt qui s’attaque à ce mythe, lui qui a côtoyé le maître Chris Boardman chez Gan puis Crédit Agricole ? Le Britannique était crédité du record de l’Heure en 1996 en un peu plus de 56 kilomètres, avant que l’UCI n’applique des règles strictes oubliées aujourd’hui. Lui aussi qui est sans doute l’un des coureurs les plus sympathiques du peloton et l’un des plus durs au mal. L’Allemand cherche à rentrer dans l’histoire au lendemain de son 43ème anniversaire. Il va réussir son pari qu’il avait officiellement lancé il y a deux semaines, mais pour lequel il se prépare depuis des mois en secret. Les premiers tests menés après le Critérium du Dauphiné vont s’avérer payants.
Armé de son Trek Speed Concept sur lequel il a monté un 54X14 en pignon fixe, Jens Voigt se lance dans un effort violent et exigeant à 19 heures. Une heure plus tard, il a couvert une distance de 51,115 kilomètres. Dès les premières minutes, l’Allemand brise les repères et se montre nettement plus rapide que le Tchèque. L’issue de cette tentative ne fait plus de doute. Repoussant la douleur pendant une demi-heure, il se lève pour la première fois de sa selle à la mi-parcours et possède alors une trentaine de secondes d’avance sur la marque de Sosenka. Parcourant la majeure partie de son défi à une moyenne de 50,5 km/h, il trouve les ressources nécessaires pour accélérer dans les dix dernières minutes et porter sa marque au-delà des 51 kilomètres, ce qui le place au niveau de Francesco Moser qui avait parcouru 50,8 kilomètres à Mexico, mais dont le record a été effacé des tablettes.
Ce soir, Jens Voigt est donc un retraité recordman du monde. À dire vrai, et sans remettre en cause l’exploit physique de sa performance, une autre issue aurait été difficilement envisageable compte tenu de l’arsenal aérodynamique dont il pouvait bénéficier par rapport à Merckx, Boardman ou Sosenka. Roues pleines, guidon de triathlète, combinaison de contre-la-montre ont été autant d’atouts dont l’Allemand a pu bénéficier pour accomplir sa performance. L’histoire retiendra qu’il aura été le premier à tenter ce record de l’Heure new look, mais comme le dit le dicton, les records sont faits pour être battus. Par qui ? Et si sa tentative n’était qu’une marque, un point de repère qu’il aurait fixé pour Fabian Cancellara ? Le Suisse est un candidat déclaré pour battre le nouveau record de son coéquipier qui termine ce soir sa carrière professionnelle longue de dix-huit ans de la plus belle des manières. Wunderbar herr Voigt !