Un jour sur deux, Daniel Mangeas, l’inimitable voix du Tour, nous confie ses mémoires de speaker, lui qui fut témoin pendant quarante ans de toutes les arrivées d’étapes du Tour de France. Il tirera sa révérence au terme de la 101ème édition le 27 juillet.
« Chaque jour, sur le Tour de France 1998, est un feuilleton à l’issue duquel on s’interroge sur ce qui va encore nous tomber dessus. Ce sera un Tour pénible à vivre, pour les coureurs comme pour les suiveurs. Il y a eu l’annonce de l’arrestation d’un soigneur de Festina avant le Grand Départ de Dublin, l’arrestation de Bruno Roussel à Cholet, la mise hors course de l’équipe Festina avant le contre-la-montre entre Meyrignac-l’Église et Corrèze, les perquisitions, un mouvement de protestation des coureurs vers le Cap d’Agde, la neutralisation de l’étape d’Aix-les-Bains… Ce jour-là, à quatre jours du terme du Tour, on s’est demandés si le Tour allait arriver à Paris.
Ce mercredi à Aix-les-Bains, moi qui suis toujours neutre, je prends fait et cause en prenant le public à témoin. Que le Tour de France n’arrive pas à Paris me paraît inconcevable. Aujourd’hui, je ne prendrais peut-être pas ce risque-là, mais ce jour-là les gens applaudissent. Ils veulent eux aussi que le Tour arrive à Paris. Le lendemain matin, des coureurs vont venir me voir : « dis Daniel, on s’est fait siffler toute la journée, que leur as-tu dit pour qu’on soit applaudis sur la ligne d’arrivée ? »
Il est vrai que des coureurs ont parfois commis des erreurs. On sait aujourd’hui qu’il y a eu des dérives, pas que dans le cyclisme, mais 1998 a peut-être été un mal pour un bien. Il y a eu une prise de conscience de la part du sport cycliste. Beaucoup de gens sont restés dans leur tête sur cette époque de 1998, mais les jeunes coureurs que je vois aujourd’hui sont biens dans leur peau, bien dans leur tête. Et je me dis que ce jour-là à Aix-les-Bains ça a été une bonne chose que le Tour de France ait continué, ne serait-ce que pour les coureurs qui sont aujourd’hui dans le peloton et peuvent être montrés en exemple. Je ne pense pas me tromper en disant que chez 90 % d’entre eux, le dopage ne figure pas dans leur vocabulaire.
Il n’empêche que ce Tour 1998, j’ai eu hâte qu’il se termine. Je me mettais à la place du patron du Tour, Jean-Marie Leblanc, qui a dû avoir de sacrées insomnies. Le Tour de France est une caisse de résonnance extraordinaire. C’est l’événement sportif annuel le plus télévisé au monde, tous les médias sont là…
Au lendemain de cette étape d’Aix-les-Bains, de nouvelles équipes ont quitté le Tour. Nous nous sommes demandés combien de coureurs en finiraient sur les Champs, finalement ils sont 96 cette année-là à franchir la ligne d’arrivée finale, Tom Steels en tête. Tous les décideurs du vélo étaient contents que ce soit fini. A partir de là l’heure était venue de se retrousser les manches pour effacer tout cela et redonner une belle image au sport cycliste. Ce qu’il est en train de reconquérir. »
Daniel Mangeas