En juillet, Mikaël Chérel (Ag2r La Mondiale) nous ouvre son journal de bord à l’occasion de sa troisième participation au Tour de France. Le lieutenant de Romain Bardet, avec qui il fait chambre, nous fait découvrir son univers.
Mikaël, vous avez terminé la première semaine du Tour de France sous antibiotiques. Quel est à présent votre état de forme ?
J’ai contracté une sinusite qui m’est ensuite tombée sur les bronches. Je suis sous antibiotiques depuis cinq jours mais sur trois semaines, chacun a son lot de mésaventures. J’ai eu la chance que ça m’affecte principalement sur des étapes mineures comme celles de Fougères et Mûr-de-Bretagne, ce qui n’est pas le cas de Ben Gastauer qui souffre lui aussi d’une sinusite depuis l’entrée dans les Pyrénées… La journée de repos m’a fait du bien. J’ai pu me soigner et récupérer. Aujourd’hui je suis en voie de guérison.
Le point noir de votre première semaine, ça a été de fait le contre-la-montre par équipes ?
J’étais très pris dimanche. Dès l’échauffement, j’ai senti que je n’avais pas de jambes. J’avais du mal à tenir le protocole d’échauffement établi, à tenir les watts. Il était prévu que je ne passe pas de relais sur la première dizaine de kilomètres, mais j’ai sauté au bout d’une douzaine de kilomètres. Peu de temps après, j’ai récupéré Johan Vansummeren, et nous avons fini le contre-la-montre tous les deux. J’étais très déçu dimanche soir mais les coureurs et le staff m’ont apporté leur soutien. Ça a été le point noir, oui, sans quoi j’étais très satisfait de mes sensations et du travail collectif.
Les sensations sont revenues, il s’en est fallu de peu que vous accompagniez la bonne échappée vers Cauterets ?
J’ai pu me mêler à la bagarre pour l’échappée. J’ai attaqué dans la côte de Mauvezin après 70 kilomètres. Un petit groupe est rentré sur moi, j’ai essayé de courir intelligemment et suis passé 3ème au sommet du grimpeur derrière Teklehaimanot et Voeckler. Et puis je me suis fait contrer à la bascule. Nous étions à bloc depuis 70 kilomètres, j’ai eu un moment d’hésitation, et j’ai loupé le coup comme ça. Il faut réagir sur l’instant sur ce genre de course. Si je veux prendre l’échappée pour essayer de gagner une étape, il me faudra moins hésiter. A moi de retenir la leçon.
Mardi vers La Pierre-Saint-Martin, beaucoup de favoris ont calé, à commencer par Jean-Christophe Péraud et Romain Bardet, comment vous l’expliquez-vous ?
Jicé avait limité la casse hier, aujourd’hui il a sombré. Je n’ai pas d’explication quant à sa contre-performance. Quant à Romain, depuis deux jours, il vomit sur le vélo et n’arrive pas à se ravitailler en course. Il est gêné au niveau intestinal. S’agissant des autres favoris, il faut souligner qu’on a changé de braquet. Personnellement je suis passé du 53×11 au 36×28. Il fait très chaud, ce qui affaiblit les organismes, et pour couronner le tout cette étape intervenait au lendemain d’une journée de repos qui reste toujours compliquée à gérer.
Justement, comment avez-vous négocié cette journée du lundi ?
Lors d’une journée de repos, l’organisme a tendance à se mettre en veille. Il faut essayer de le stimuler en pratiquant une récupération active. Je me suis attaché à faire deux heures de vélo avec Romain quand une majorité de l’équipe a préféré faire une bonne heure de vélo pour récupérer davantage. Chacun met à profit son expérience pour essayer de récupérer au mieux et être le plus performant possible le lendemain.
Bien gérer une journée de repos, ça passe aussi par l’alimentation. Quelle est votre recette ?
Chacun réagit différemment et se doit de faire sa propre expérience. Me concernant, j’avais tendance par le passé à entreprendre ce que je fais à la maison les jours où je ne roule pas : un régime dissocié de glucides, c’est-à-dire que je réserve la consommation de glucides à l’heure du dîner en vue de l’étape du lendemain. Au petit-déjeuner et au déjeuner, je mange essentiellement des acides gras polyinsaturés avec des protéines. Ça permet à l’organisme de ne pas stocker et de récupérer au mieux. Mais sur le Tour, l’organisme est tellement mis à contribution que cette formule ne me réussissait pas. Je repartais la jambe vide le lendemain. J’ai donc gardé ma petite portion de glucides dans mon bol alimentaire, que ce soit au petit-déjeuner, au déjeuner ou au dîner. Ça m’a permis de repartir avec de bonnes jambes mardi. Je reproduirai cette gestion de la nourriture sur la seconde journée de repos.
A l’entrée du Tour dans les Pyrénées, l’équipe Ag2r La Mondiale, qui avait beaucoup d’ambition, doit redéfinir ses objectifs. Comment remobilise-t-on un leader comme Romain Bardet, votre compagnon de chambre ?
C’est un cheminement compliqué d’un point de vue psychologique. Dans ces moments, il faut essayer de retrouver du positif et aller de l’avant. Nous ne sommes qu’en deuxième semaine. Nous sommes sur la plus belle course du monde, il ne faut ni se morfondre ni s’appitoyer mais aller de l’avant et se dire qu’il reste encore une vingtaine de cols à gravir et de belles choses à accomplir. On est solidaires les uns des autres, et c’est le message qui est employé également par tout le staff. L’objectif, à présent, c’est de remporter une nouvelle victoire d’étape. Romain est convaincu qu’une victoire d’étape sur le Tour serait aussi belle qu’une place dans le Top 10 au général.
Une victoire comme celle obtenue par Alexis Vuillermoz à Mûr-de-Bretagne. Comment avez-vous célébré ce superbe succès d’étape samedi dernier ?
C’était une euphorie contenue. Evidemment, nous avons trinqué au champagne. C’était une journée magnifique, un instant à immortaliser. Nous nous sommes tous réunis pour trinquer le soir. La présence des médias nous faisait ressentir la grandeur de ce qu’avait réalisé Alexis. Maintenant, si nous avons célébré cette victoire, nous ne nous écartons pas de notre hygiène de vie. Pour ma part, si j’ai trinqué, je n’ai pas bu une gorgée de champagne. Ça ne m’aurait pas porté préjudice pour l’étape du lendemain mais c’est ma ligne de conduite et je m’y tiens. L’essentiel, c’était de célébrer ce Graal que représente pour une équipe une victoire d’étape sur le Tour.
Propos recueillis le 15 juillet 2015.