Il se murmure qu’il existe un conflit, voire que le chaos est proche. Une chose est sûre, à l’arrivée à Bourg-en-Bresse, c’est une unanime déception qui anime l’ensemble de la formation RadioShack-Nissan. En difficulté depuis le début de la semaine, Andy Schleck a cette fois sombré sur les 53,5 kilomètres de contre-la-montre proposés, jeté à terre par une terrible rafale de vent. Comme si les éléments naturels avaient, eux aussi, décidé de se mettre en travers de sa route.
Car si jusqu’ici l’encadrement de l’équipe américaine savait « qu’Andy ne serait pas opérationnel au début du Dauphiné » (Alain Gallopin), le chrono devait servir de vrai test. Johan Bruyneel confirme : « c’était une importante journée, pas tellement pour le résultat mais surtout pour la forme d’Andy. Nous voulions savoir comment il s’en sortirait sur une telle longueur. » On n’en saura finalement rien avant le Tour de France. On ne saura pas grand-chose non plus de ce qui se passe réellement au sein de la formation américaine, si ce n’est que le patron c’est Bruyneel. Et même les frères Schleck doivent le respecter, comme le confirme leur directeur sportif français. « Il n’y a pas de problème Schleck, explique-t-il. Johan c’est le patron, il met des règles et tout le monde doit les suivre, même les Schleck. Tout ce qui se dit dans les médias, on a l’habitude, on n’y fait pas trop attention. »
Pourtant, on sent Alain Gallopin sur la réserve, agacé par une sorte d’acharnement médiatique qui voudrait que tout aille mal. Aux polémiques, le DS préfère répondre sur le terrain, il a toujours été comme ça et c’est là aussi une grande vertu. Avec justesse, il rappelle que « Tony Gallopin (NDLR : son neveu) fait des résultats et donc l’ambiance est excellente. » Ces dirigeants-là en ont connu d’autres, des situations difficiles. Certes sous un autre nom d’équipe, Astana, mais dans des proportions telles que la presse, déjà, s’était emparée du problème.
Cette fois-ci, il semblerait que pour clarifier la position de chacun, un rappel de l’ordre hiérarchique ait été choisi. Aussi, l’homme de confiance des Schleck, Kim Andersen, n’échappe pas à la règle. « Sa non-participation au Tour est décidée depuis décembre. Le Tour c’est Johan Bruyneel, Dirk Demol et moi-même, répond Alain Gallopin, sans trop comprendre la surenchère des médias. Après, il fallait en parler en décembre. »
Au lieu de gonfler quelque polémique que ce soit, les jours à venir doivent servir un regain de confiance après le cuisant échec du contre-la-montre de Bourg-en-Bresse, précise Johan Bruyneel. Car le plan fixé au départ semblait respecté. « Je dois analyser le SRM mais je pense que les 10 premiers kilomètres étaient vraiment bons, ajoute le Belge. Le plan était de vraiment se focaliser sur soi-même, pas sur les temps de référence ou le classement. Nous avions programmé de rester très réguliers et d’avoir une bonne performance régulière. »
Et si tous ces « on-dit » autour de la formation américaine étaient finalement infondés ? Une chose est sûre, c’est que les défaillances du cadet des frères luxembourgeois semblent avoir, à chaque fois, une explication. Un manque de rythme en début de semaine, une chute jeudi, il manquerait finalement un peu de chance à Andy Schleck. Un peu de chance et son frère à ses côtés ? « Johan donnera sa décision, je ne suis pas le manager », répond Alain Gallopin. Un rappel à la hiérarchie, encore, et une réelle incertitude car si Johan Bruyneel a bien une petite idée en tête, rien n’est encore fixé et les résultats de Frank Schleck sur le prochain Tour de Suisse pourraient peser lourd dans la balance.
Jusqu’à dimanche, sur les routes du Dauphiné, Andy Schleck sera observé sous tous les angles. Pas question de faire n’importe quoi pour autant, le plan fixé au départ sera a priori respecté. Aussi, quelles que soient les séquelles de sa chute, « il doit absolument finir ce Dauphiné car il a besoin de courir et de rythme. Il faudra ensuite voir quelles seront les sensations dans la montagne », explique avec beaucoup de sagesse Johan Bruyneel. Il a finalement de la chance, Andy Schleck, d’être aussi bien entouré, quelles que soient les réponses à ce que l’on ne sait pas…
Parce que dans ce supposé rapport de force, Johan Bruyneel prend ses responsabilités. Et, les traits tirés au terme du contre-la-montre, c’est en véritable patron qu’il prend la parole pour rappeler que la situation est sous contrôle. Comme en 2009, finalement, quand il avait fallu gérer un conflit d’intérêt plus que d’égo entre Lance Armstrong et Alberto Contador, car le Texan a toujours été bien meilleur communiquant. Tout n’est finalement qu’une question de pouvoir. Si spirale conflictuelle il y a depuis la fusion entre RadioShack et Leopard, alors, rappeler la hiérarchie est une solution.
Il faut également penser aux résultats car à y regarder de plus près, c’est de là que les polémiques ont été lancées. Loin des objectifs fixés en début de saison, il paraît normal qu’aujourd’hui, les frères presque siamois soient recardés et rappelés à leur devoir, comme dans toute entreprise qui se vaut. Là encore, c’est le rôle de Bruyneel et il a la légitimité pour cela, la réussite de sa méthode n’a jamais été remise en question et pour cause.
Il jouit d’une intelligence redoutable et d’un passé doré. En recrutant les frères Schleck, il avait conscience du risque qu’il prenait. Il savait que ce qui avait marché avec Lance Armstrong ne marcherait pas forcément avec Andy et Frank, « car chaque individu est différent, alors il faut s’adapter. » Il savait qu’il devrait redistribuer les rôles et leur apprendre à courir l’un sans l’autre. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’à trois semaines du départ du Tour de France s’élèveraient tant de doutes sur ses capacités à réussir ce qui se révèle être un bien grand défi.
Alors, oui, il n’est pas aussi proche de son leader qu’il ne l’était avec Armstrong, mais comment pourrait-il en être autrement ? Ces remarques-là n’ont pour objectif que de remuer le couteau dans une plaie qui n’a pas forcément lieu d’être. Finalement, Alain Gallopin est un directeur sportif hors pair, Johan Bruyneel un manager hors norme. Les deux savent travailler ensemble et leur professionnalisme est plus que redoutable. Mais le dernier cité plus encore que le premier se retrouve confronté à un de ses plus grands défis. Il a maintenant trois semaines pour rééquilibrer les dissensions qui peuvent exister au sein de son entreprise et en éloigner les doutes tant médiatiques que confidentiels. Entre temps il devra décider si oui ou non Frank Schleck accompagnera son frère au mois de juillet. Ce sera assurément une des clés à un défi peut-être plus managérial que sportif, son grand défi. – Simon Bernard