On a beau apparenter Paris-Roubaix à une classique d’un autre temps, la poussière qui parfois se pose sur le pavé du Nord n’a jamais le temps d’y séjourner bien longtemps, soulevée un dimanche d’avril par an par des guerriers d’une autre trempe. Une quinzaine d’années durant, Tom Boonen (Etixx-Quick Step) aura été de ceux qui bouffent du pavé avec une voracité prodigieuse. De ces champions qui, plus qu’un nom sur un palmarès, fut-il répété quatre fois au livre d’or de la reine des classiques, laisseront une empreinte profonde à ces courses élevées au rang de monuments.
L’histoire ne dit pas encore si l’on reverra un jour la silhouette de l’Anversois pénétrer en tête sous les vivats du vélodrome de Roubaix, comme en ce dimanche 10 avril. A 35 ans, Boonen reste évasif quant à l’issue qu’il souhaite donner à sa carrière. Sa privation de Flandriennes il y a un an et des résultats en demi-teinte sur la campagne 2016, alors qu’il était donné fini il y a six mois après une fracture de l’os temporal, ont alimenté les spéculations autour de la fin de carrière du champion flamand. Or ceux qui avaient voulu sonner trop vite le glas d’un coureur de cette envergure ont pris une leçon dans une édition de Paris-Roubaix qui portera longtemps le sceau du Campinois. A une précision près : Tom Boonen n’a pas gagné.
Il n’avait plus rien à prouver sur les secteurs pavés qui font l’âme de l’Enfer du Nord. Mais en remontant sur son vélo plus vite que le corps médical ne se l’était imaginé, évoquant une revalidation de six mois après sa grave chute au Tour d’Abu Dhabi, Tom Boonen n’avait qu’une idée en tête : s’adjuger un cinquième et dernier Paris-Roubaix. Ce jour. Ses prestations récentes en Flandre ne plaidaient pas en sa faveur, mais l’Anversois savait mieux que quiconque que l’expérience et la résistance à l’usure feraient la différence. Et il était bien déterminé à user de ces qualités pour faire plier ceux sur lesquels se focalisait avant tout les attentions : Fabian Cancellara (Trek-Segafredo) et Peter Sagan (Tinkoff).
Les deux hommes, auteurs d’un duel à distance au Tour des Flandres dimanche dernier, n’auront jamais pu peser dans la course à la victoire, écartés d’un peloton que tirait le néophyte Tony Martin (Etixx-Quick Step) dans le secteur de Maing, quand ils furent bouchonnés par une chute. Il restait 115 kilomètres et le plus gros des pavés. Mais ceux qui avaient été épargnés par l’encombrement de Maing choisissaient de profiter de l’aubaine. Tony Martin ne se relevait plus, car dans son sillage demeurait Tom Boonen, flanqué d’une poignée d’outsiders parmi lesquels Edvald Boasson-Hagen (Dimension Data), Ian Stannard (Team Sky) et Sep Vanmarcke (Team LottoNL-Jumbo).
Ensemble, ces garçons rejoignaient la Trouée d’Arenberg avec déjà 1’15 » d’avance sur le peloton. Pour fondre à une soixantaine de kilomètres de Roubaix sur les rescapés d’une échappée matinale lancée à seize (Backaert, Bozic, Chavanel, Daniel, Declercq, Erviti, Janse Van Rensburg, Kump, Le Bon, Martinez, Morkov, Nielsen, Puccio et Wallays) et dont l’épatant Mathew Hayman (Orica-GreenEdge), en tête depuis le kilomètre 75, allait demeurer le dernier rescapé auprès du groupe Boonen. Groupe que composaient encore Boasson-Hagen, Erviti, Haussler, Hayman, Saramotins, Stannard, Rowe, Sieberg et Vanmarcke en sortant du secteur de Mons-en-Pévèle à 45 kilomètres de l’arrivée. Un secteur qui allait mettre fin aux espoirs d’un retour de Fabian Cancellara et Peter Sagan.
Quelques kilomètres plus tôt, alors que leur retard était retombé à 35 secondes sur les pavés d’Orchies, le Suisse et le Slovaque avaient tenté de rentrer ensemble. Sans parvenir à se défaire d’un petit peloton poursuivant au sein duquel ils progressaient donc à Mons-en-Pévèle. Quand la roue avant de Fabian Cancellara se déroba sur une section boueuse. Le triple vainqueur de Paris-Roubaix s’écrasait sur la pierre. Et il fallait un numéro d’acrobate à Peter Sagan, dans sa roue, pour enjamber le vélo qui s’était subitement couché devant lui. Dès lors les deux hommes étaient hors jeu. La victoire sur le vélodrome allait concerner les dix de tête.
Qui n’étaient plus que cinq à Camphin-en-Pévèle, Ian Stannard entraînant sur son accélération Edvald Boasson-Hagen, Tom Boonen, Mathew Hayman et Sep Vanmarcke à 20 kilomètres du but. Soit les cinq hommes qui allaient s’expliquer au sprint sur l’anneau de béton roubaisien, les derniers secteurs n’ayant pu faire la décision. Sep Vanmarcke avait pourtant bien tenté sa chance dans le Carrefour de l’Arbre, dont il était sorti avec 4 secondes d’avance. Son avantage montait même à 10 secondes à la sortie de Gruson, mais ses poursuivants s’entendaient suffisamment bien pour le reprendre à 12 kilomètres du but. Et entretenir un suspense insoutenable. Chacun y allait alors de son accélération sans parvenir à faire le break.
Et l’on entendait déjà le vélodrome vrombir quand Tom Boonen portait une attaque à 3 kilomètres du but. Mais un homme allait boucher le trou pour renchérir aussi vite : Mathew Hayman. L’Australien de 37 ans bien tassés (il en aura 38 dans dix jours) rentrait sur Boonen, bientôt imité sur le vélodrome par Vanmarcke, Stannard et Boasson-Hagen. Echappé depuis le 75ème kilomètre, celui qui avait déjà rejoint deux fois Roubaix dans le Top 10 (10ème en 2011, 8ème en 2012), manifestait encore un tel état de fraîcheur qu’il allait pouvoir contenir au sprint chacun des quatre coureurs auprès desquels il s’était maintenu jusqu’au bout.
Celui qui n’avait plus levé les bras depuis Paris-Bourges il y a cinq ans venait couper l’herbe sous le pied de Tom Boonen pour devenir le troisième vainqueur le plus âgé de Paris-Roubaix, après Gilbert Duclos-Lassalle (1993), Lucien Lesna (1902) et Pino Cerami (1960). Ou le couronnement d’une vie.
Classement :
1. Mathew Hayman (AUS, Orica-GreenEdge) les 257,5 km en 5h51’53 » (43,9 km/h)
2. Tom Boonen (BEL, Etixx-Quick Step) m.t.
3. Ian Stannard (GBR, Team Sky) m.t.
4. Sep Vanmarcke (BEL, Team LottoNl-Jumbo) m.t.
5. Edvald Boasson-Hagen (NOR, Dimension Data) à 3 sec.
6. Heinrich Haussler (AUS, IAM Cycling) à 1’00 »
7. Marcel Sieberg (ALL, Lotto-Soudal) m.t.
8. Aleksejs Saramotins (LET, IAM Cycling) m.t.
9. Imanol Erviti (ESP, Movistar Team) à 1’07 »
10. Adrien Petit (FRA, Direct Energie) à 2’20 »