La pédalée prodigieuse avec laquelle Vincenzo Nibali (Astana) a bouclé l’ascension de la Planche des Belles Filles a d’autant plus contrasté avec celle de ses poursuivants que le peloton du Tour de France a perdu en route le dernier vainqueur du Tour de France encore en course. Après les abandons d’Andy Schleck (rupture des ligaments croisés du genou) et de Chris Froome (fractures du poignet gauche et de la main droite), c’est Alberto Contador qui s’en est allé, victime selon un premier diagnostic d’une fracture du tibia. Ceux qu’on avait présentés comme les deux grands favoris du Tour 2014, laissant à Vincenzo Nibali un indécent rôle d’arbitre, se sont évaporés coup sur coup quand le coureur italien répond bien présent au rendez-vous qu’il s’était fixé. Il est de retour en jaune au terme d’une interminable première semaine de course.
Mais voilà, alors même qu’il reste les Alpes et les Pyrénées à franchir, qu’on ne voit pas tellement qui pourrait ne serait-ce que combler les deux, trois à quatre minutes conquises par Vincenzo Nibali, essentiellement sur l’étape d’Arenberg mercredi dernier. A l’heure de citer les noms de ses nouveaux adversaires, le Maillot Jaune lui-même semblait ce soir bien embarrassé. « Depuis l’étape d’Arenberg, je m’attendais à tout moment à une attaque d’Alberto Contador, confesse ce soir Vincenzo Nibali. Maintenant, il n’est plus là, mais dans les prochaines étapes nous chercherons à contrôler la course de la même manière que nous l’avons fait depuis le départ du Tour. On voit qu’avec des rivaux comme Alejandro Valverde et Richie Porte (NDLR : cités dans cet ordre) j’ai encore de gros adversaires face à moi, et je vais essayer de préserver mon avantage. »
Pourtant, on n’a encore rien vu de probant de la part d’Alejandro Valverde, et Richie Porte n’offrira à l’évidence pas à Nibali la même adversité qu’un Christopher Froome. La disparition d’Alberto Contador, qui semblait incarner le duelliste parfait, laisse un grand vide. Le Maillot Jaune lui-même s’est désolé du drame qui est survenu sous ses yeux. « J’étais derrière lui quand il est tombé, mais j’ai pu éviter la chute, raconte-t-il. Nous étions en pleine descente, il l’avait abordée derrière moi. De mon côté je laissais volontairement deux ou trois mètres pour prendre mes distances. Soudain il m’a dépassé, très vite, et il est tombé juste devant moi. Je ne sais pas précisément pourquoi il a chuté, mais il est tombé durement. Ça a été une glissade incroyable. Il a roulé par terre à 60 à l’heure ! Un bref instant, j’ai eu peur que le Tour se termine également là pour moi. »
A ce moment de la course, l’équipe Lotto-Belisol menait encore le peloton. « Richie Porte et moi nous sommes parlés, poursuit Nibali. Nous avons ralenti, mais Tony Martin avait encore 4’30 » d’avance et nous avons dû prendre la course en main afin qu’il ne prenne pas un avantage trop important. » Déjà, Alberto Contador avait renoncé, quittant pour la première fois le Tour par la petite porte, celle de son véhicule suiveur, et confortant un peu plus les chances de victoire finale de Vincenzo Nibali alors que la route qui mène aux Champs-Elysées est encore longue, très longue. « C’est difficile de dire ça, estime pour sa part le leader d’Astana. Avant la chute de Contador j’avais déjà un avantage important. J’étais prêt à lutter avec lui et à livrer un grand duel. Mais les chutes font partie du cyclisme, de notre métier, j’en ai moi-même fait l’amère expérience par le passé. »
Il n’empêche que la prestation de très haut niveau délivrée par Vincenzo Nibali à La Planche des Belles Filles semble le mettre à l’abri pour un temps, lui qui s’était tout spécialement préparé à combattre Chris Froome et Alberto Contador, allant jusqu’à calquer leurs démarrages à l’entraînement, derrière le scooter de son entraîneur Paolo Slongo du côté de San Pellegrino. « Après le Dauphiné, sur lequel j’étais bien sans avoir la condition des meilleurs, j’ai beaucoup travaillé les variations de rythme, insiste-t-il. Je savais qu’au Tour de France j’allais devoir me battre contre Contador sur des terrains très raides, et j’étais prêt pour ça. Avec Paolo Slongo, nous avons fait les choses parfaitement pour arriver au top niveau au Tour de France. » Le facteur chance, lui, tient d’une autre histoire.