Toute la semaine, notre consultant Nicolas Fritsch nous apporte en cinq épisodes son analyse sur l’intérêt du Tour de France 2016.
« La force collective de l’équipe Sky et son emprise sur la course ont amené certains acteurs de notre sport, dont le directeur du Tour de France Christian Prudhomme lui-même, à proposer une réduction des effectifs, et cela me semble être une bonne idée au regard également du niveau de performance globale des coureurs du Tour. Il ne s’agirait pas non plus d’être drastique en passant de neuf à sept coureurs par équipe comme je l’ai lu parfois, car quid d’une chute lors des toujours très nerveux premiers jours qui priverait un leader de deux de ses équipiers ? Il n’aurait alors plus que quatre coureurs autour de lui, et demandez à certains directeurs sportifs à quel point il peut être long et triste d’accomplir un Tour à quatre ou cinq…
Partir à huit coureurs par équipe permettrait également de réduire le nombre de participants tout en augmentant le nombre d’équipes au départ. On sait à quel point la tension règne aujourd’hui lors des premières étapes, sur des routes toujours moins adaptées aux courses cyclistes. En supprimant un coureur on pourrait inviter une équipe supplémentaire tout en ne faisant partir que 184 coureurs au lieu de 198 aujourd’hui, soit une diminution non négligeable de 7 % des participants. Et qui dit une équipe de plus dit une ambition de plus. Et donc, en théorie, plus d’animation !
Attention cependant, il ne s’agit assurément pas d’une solution miracle, de LA réponse à nos maux actuels… et cela pourrait peut-être même s’avérer contre-productif ! Un Kiryienka qui roule, pour rappel champion du monde du contre-la-montre en titre, c’est un rouleur compte double ou triple. Et un Poels qui grimpe, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège cette année, c’est un grimpeur compte double ou triple ! Les équipes plus modestes ne comptent pas, et ne pourront pas compter, dans leurs rangs d’équipiers aussi forts, essentiellement pour des raisons budgétaires.
Cette mesure vaut tout de même le coup d’être testée dans la durée, et le terrain nous apportera la réponse, comme toujours !
Et les bonifications ? Face au constat du manque d’attaques, dû notamment au tempo rédhibitoire, mais tenable pour les leaders, imposé par la Sky, pourquoi ne pas envisager un système de bonifications au sommet des cols, significatives et dégressives en fonction de la catégorie à laquelle appartiennent les ascensions ? J’y vois au moins deux bonnes raisons. La première est évidemment chronométrique et le gain, chiffré, apparaît alors de manière matérielle et immédiate. J’ose espérer que ce serait une incitation aux grandes offensives, avec l’espoir, pour les meilleurs grimpeurs, de gagner un maximum de temps sur ces étapes, que ce soit aux arrivées évidemment, mais également en cours de route. La deuxième est une conséquence : à défaut de favoriser les longues échappées, cela pourrait permettre de dévoiler les forces et les faiblesses des uns et des autres, ce que n’autorisent pas les ascensions au train. Je reste persuadé que nous avons assisté à de nombreuses étapes disputées sous forme de longues processions et rythmées par le train imposé par l’équipe du leader, suffisamment soutenu pour décourager les attaques, alors même qu’une seule d’entre elles aurait suffit à faire tomber les masques. Une violente accélération dans le dernier kilomètre d’un col, ayant pour but d’engranger les secondes, pourrait ainsi au final se chiffrer en minutes à la vue d’un leader en difficulté, ou plus simplement d’un de ses équipiers, ou d’un membre du Top 10, toujours limite, mais toujours là.
Autre conséquence : le maillot à pois aurait alors plus de probabilités d’être porté par celui qui est réellement le meilleur grimpeur, alors même que ce classement a perdu de sa valeur, sportivement mais aussi aux yeux du grand public, n’étant que très rarement disputé par les leaders. Il récompense à présent plus un baroudeur des cimes (Majka est ainsi le coureur ayant passé le plus de kilomètres en tête sur ce Tour !) que le meilleur des grimpeurs, tout comme le maillot vert récompense un baroudeur des plaines (et un peu des cimes aussi pour un Sagan au talent multiforme !) à défaut du meilleur sprinteur. Finalement il n’y a pas une grande visibilité pour le téléspectateur qui ne comprend pas que Froome, Bardet ou Quintana ne soient pas vêtus du maillot blanc à pois rouges.
A contrario, il faut tout de même anticiper sur le fait que cela pourrait ne faire qu’accentuer encore la domination d’un coureur, et que cela inciterait également les équipes à cadenasser les étapes, à limiter les échappées, et à favoriser la course de leurs leaders plutôt que celle des outsiders. Mais au fond c’est ce que le public attend, une course où les meilleurs s’affrontent chaque jour pour la victoire plutôt qu’une course à deux échelles comme cette année, avec des vainqueurs d’étapes pour la plupart inconnus du « téléspectateur moyen ». Pour info, Quintana, pourtant 3ème du classement général final, n’a ainsi que deux Top 10 cette année, dont une 10ème place lors du chrono de Megève et donc une simple 5ème place à Saint-Gervais Mont-Blanc ! »